Translucide : La Genèse de Pokémon
Yo le sang. J'vois que le premier Translucide a l'air de vous avoir plu. Cimer pour vos retours positifs, ça m'fait un gros plaisir.
J'vais profiter de cet avant-propos pour parler de l'avenir. En bref, j'ai trois sujets qui vous attendent. Le premier, c'est l'article d'aujourd'hui : il me tient particulièrement à coeur puisqu'on se concentre sur les origines de Pokémon. Les sujets restants, c'est deux trucs ultra-lourds (cet enfoiré de Goupelin a pris la grosse tête) à base d'investigation et de sociologie. Il me faudra un peu de temps pour les terminer. J'veux faire les choses bien.
Voici venue l'heure de s'intéresser à la Genèse de Pokémon. Pas de saga en trois épisodes cette fois, mais un seul et unique article. Vu la longueur de ce qui va suivre, je vous laisse le lien de la vidéo que j'ai montée pour l'occasion ICI. Je placerai un lien à chaque nouvelle partie, au cas où vous voudriez switcher d'un média à l'autre. Vidéo ou article, allez vous chercher un truc à boire ou à manger, et installez-vous confortablement : y'a pas mal de trucs à dire.
Nouvelle charte graphique pour la bannière. Voilà.
1989. Au Japon, une bande d’otakus menés par Satoshi Tajiri vient de sortir son premier jeu. C’est l’achèvement d’un développement indépendant, long de trois ans. Le succès de ce jeu, Quinty, mène les jeunes développeurs à officialiser leur studio qui prend le nom de Game Freak. En quête de réussite, ceux-ci rencontrent les principaux fabricants de consoles de l’époque. Sega, Sony et Nintendo. C’est vers ces derniers que l’équipe de Game Freak se tourne pour présenter son projet le plus ambitieux. Il faut dire que depuis quelques mois déjà, Tajiri nourrit une idée envoûtante. C’est la documentation de la Game Boy qui lui a mis la puce à l’oreille. À travers le câble link, il voit un outil permettant de communiquer plutôt que de s’affronter. Naît l’image symbolique d’un insecte en équilibre sur le câble, passant d’une console à l’autre. C’est ici que démarre l’histoire de Pokémon. Une franchise qui aurait pu ne jamais voir le jour...
UN PROJET SAUVÉ DE PEU
Repêchage
Quand Game Freak dévoile ce qui s’appelle encore Capsule Monsters, les dirigeants de Nintendo commencent par dire non. Pourquoi ? L’idée est trop abstraite, les mécaniques de jeu ne sont pas clairement définies, tout est encore à planifier.
Voilà à quoi ressemblait le concept de Capsule Monsters
Autour de la table des négociations, deux producteurs permettent malgré tout au projet d’être validé. D’un côté, on a Shigeru Miyamoto, le mec derrière Super Mario, The Legend of Zelda, Donkey Kong, qui apportera par la suite sa contribution à Pokémon et permettra au jeu d’être ce qu’il est aujourd’hui. D’autre part se trouve Tsunekazu Ishihara, publicitaire, producteur télé et fondateur du studio APE Inc à l’origine des jeux Earthbound (Mother au Japon). Ce n’est pas la première fois que les chemins d’Ishihara et Tajiri se croisent. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés à l’occasion de la sortie de Mother, jeu que Tajiri avait passé en revue alors qu’il occupait encore un poste de journaliste. Conséquence : à l’heure de Capsule Monsters, Ishihara fait confiance à Tajiri. Surtout, il flaire la possibilité de produire et vendre des produits dérivés. Nintendo valide le projet. Le développement commence.
Ishihara et Miyamoto. Je laisse votre imagination faire le reste.
Rapidement renommé Pocket Monsters pour des raisons de copyright, le jeu est prévu pour fin 91 et doit être l’un des premiers RPG sur Game Boy. Problème, le jeu va constamment être repoussé...
Trois projets pour une petite équipe
En 1990, Game Freak existe officiellement depuis un an et doit déjà jongler avec trois projets. Jerry Boy pour Sony. Talulu le magicien, pour Sega. Reste Pocket Monsters, développé pour Nintendo. Avec une équipe d’une dizaine de membres et une trésorerie précaire, l’affaire semble corsée. Sans compter que tout ne se passe pas comme prévu. Si le développement de Talulu avance bien, Game Freak rencontre des difficultés avec Jerry Boy. En effet, l’équipe avait chargé le Studio Sacom d’une partie du développement pour économiser du temps. Pas de chance, la collaboration se passe mal. Désespérée, l'équipe de Game Freak y met un terme. Le studio a perdu du temps, de l’argent, ne peut plus se permettre de déléguer le développement de Jerry Boy et doit l’assumer seul. L’heure tourne, les échéances arrivent et la situation devient critique. Il faut faire quelque-chose. Sur les trois jeux développés, deux seulement ont une date de sortie exigée. Sans surprise, c’est Jerry Boy et Talulu. Tajiri et ses troupes décident de se concentrer sur ces deux jeux et se voient contraints de repousser Pocket Monsters. Problème, cette décision pourrait engendrer l’annulation du jeu.
Chemins de traverses
Face à un risque pareil, Tajiri a un idée. Il va voir Tsunekazu Ishihara et explique la situation du studio. Le jeune développeur lance alors une diversion. Ishihara est un passionné de puzzle game. Tajiri s’appuie là-dessus pour proposer un petit jeu de réflexion basé sur Yoshi, qui pourrait être développé en express, avec une sortie pour fin 91. Ce projet serait tout à fait réalisable et présenterait peu de risques puisqu’il serait question de tirer les graphismes de Super Mario World. Miyamoto et Ishihara donnent leur feu vert, actent le retard pris par Pokémon sans pour autant le retirer de la liste de commande de Nintendo. Game Freak se retrouve donc avec un quatrième projet. Comme prévu, Mario & Yoshi sortira en décembre 91. Grâce à cette diversion, Pocket Monsters est sauvé.
Et ce ne sera pas l’unique fois où le jeu sera sauvé. À plusieurs reprises, Ishihara persuadera Nintendo de continuer d’investir dans le développement du jeu. Le producteur investira de son côté dans une société détenant un tiers de la franchise, Creatures, destinée à gérer licences et produits dérivés.
UN DÉVELOPPEMENT INTERMINABLE
T'es pas un grand lecteur ? Tu peux switcher et retrouver la suite en vidéo ICI.
Au début des années 1990, Game Freak alterne les développements plus ou moins alimentaires, que Tajiri refuse de bâcler. Résultat : le travail sur Pocket Monsters comme projet de fond va s’étaler sur six ans. Tajiri adopte un rythme de 24 heures de travail pour douze heures de sommeil. Personne ne compte ses heures. Il faut dire que l’industrie vidéoludique est en plein essor avec l’arrivée des consoles à domicile, et que la demande est forte. Ce qui n’empêchera pas les caisses de Game Freak de se vider à plusieurs reprises. Certains employés finiront même par quitter le navire.
Des idées floues
« Pokémon n’était pas un projet comme les autres dans le sens où nous sommes arrivés sans aucun plan. La seule chose que l’on savait, c’est que ce serait un RPG. Nous avions un os, nous avons rajouté de la viande dessus au fur et à mesure, et c’est devenu Pokémon. » - Junichi Masuda
Pour développer le jeu, Game Freak avance à tâtons. L’équipe prend toutes les idées qui viennent. Celles-ci sont programmées à la volée dès qu’un développeur sent qu’il tient quelque-chose. Généralement, les mauvaises idées finissent par être écartées. Le développement de Pocket Monsters avance de trois pas pour reculer de deux. Parmi les concepts passés à la trappe, il a été question, à un moment, que les créatures n’aient pas de barre de vie. Le joueur aurait dû deviner l’état de santé du monstre. Autre idée abandonnée : le joueur aurait pu incarner un Pokémon. Le héros aurait alors gagné des points d’expérience qu’il aurait pu transmettre à ses créatures.
Concept art pour Pocket Monsters
Dans les croquis préparatoires du jeu, on en découvre plus. L’idée que les Pokémon puissent mourir est écartée d’office. Prévu comme un J-RPG classique à l’origine, le jeu ne devait pas comprendre de centres Pokémon mais des auberges où les créatures trouvaient le repos dans leur Poké Ball près du lit, pour se soigner.
Un concept intéressant.
Aussi, le jeu aurait dû être beaucoup plus dur. La fréquence des combats dans les hautes herbes devait être plus élevée. On aurait pu affronter les dresseurs adverses à chaque rencontre, et pas une fois pour toute. De leur côté, les marchands éleveurs devaient être plus nombreux. Dans la version finale, on n’en trouve qu’un seul, proposant un Magicarpe hors-de-prix. Enfin, l’idée de pouvoir capturer les monstres du joueur adverse a été pensée quelques temps avant d’être écartée.
Au fur et à mesure que Tajiri et son équipe testent leurs idées, une certaine « éthique » se construit autour de Pokémon. Ce qui est correct ou non dans cet univers prévu pour les enfants saute aux yeux, et les décisions apportées commencent à couler de source. À l’époque, les bureaux de Game Freak sont situés dans l’ouest de Tokyo, proches d’une école dispensant des cours du soir. Tajiri voit passer beaucoup d’enfants qui n’ont que très peu de temps pour eux. Ce constat influence l’essence même du jeu. Tajiri veut concevoir Pokémon comme un expérience simple, qu’on peut apprécier cinq minutes dans la cours de récré, un quart d’heure le temps d’un trajet en métro ou des heures pendant le week end.
Des influences diverses
Mother
Trailer de la réédition du jeu sous le titre d'Earthbound. Tellement envie d'y jouer. J'vais me monter un p'tit Raspberry Pi sous Recalbox oklm, ça va être plié.
Parmi les jeux ayant influencé le développement de Pocket Monsters, on peut d’abord citer la série Mother, développée par APE Inc. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’en 1995, ce studio fondé par Tsunekazu Ishihara, change de nom pour devenir Creatures, une société possédant un tiers de la franchise pokémon, gèrant les produits dérivés et en charge du développement des spin-off. Mais les liens entres Game Freak et Ape sont serrés avant même la genèse de Creatures puisqu’on retrouve Tsunekazu Ishihara dans les deux camps. Voilà sans doute pourquoi Mother et Pokémon présentent quelques similarités. Dans la série Mother, dont les deux premiers jeux sont parus en 1989 et 1994, le joueur incarne Ninten puis Ness, des garçons d’environ 13 ans, dont la casquette rouge n’est pas sans rappeler celle de Red.
Hé salt1bank ! sa gaz ou koi ?!
Mais c’est pas tout. Comme dans Pokémon, le héros de Mother quitte sa mère pour voyager dans d’autres villages, villes et cavernes afin de collecter huit mélodies, ce qui peut s’apparenter aux huit badges. En parlant de la mère du joueur, comme dans Pokémon on peut aller la retrouver pour être soigné. On peut aussi remarquer que Mother se déroule de nos jours alors que la tendance pour les RPG de l’époque était à la fantasy ou à la science-fiction. Beaucoup ont également rapproché les jeux en raison de la possibilité de se déplacer à bicyclette, ce qui n’est pas commun. Enfin, le boss final de Mother est Giegue. Un alien maléfique en quête d’identité qui n’est pas sans rappeler… Mewtwo.
Ultraman
Satoshi Tajiri avoue avoir aussi été influencé par l’univers d’Ultraman, série télé japonaise débutée en 1966. Son concept ? Une patrouille de scientifiques étudie et contre les méfaits de monstres extraterrestres. A chaque saison, la série se renouvelle et change de nom. Ce sont les capsules Kaiju, qu’on retrouve dans la série UltraSeven diffusée entre 67 et 68, qui ont inspiré les Pokéball, concept central de Pokémon. D’ailleurs, "kaiju" ça veut dire "monstre." Transposé en english, on retrouve le terme "capsule monster". Le titre de départ du projet.
Kitsch 2 ouf. Je pense qu'il ne faut pas négliger l'influence qu'a Ultraman sur Pokémon. Même à l'heure actuelle. On vient quand même de se taper les versions Ultra-Soleil et Ultra-Lune, avec des histoires d'Ultra-Brèches et d'Ultra-Chimères.
Dragon Quest V
Dragon Quest V est un RPG réalisé par Manabu Yamana, sous la direction artistique d’Akira Toriyama et publié par Enix en 1992 au Japon. Dans ce jeu, le joueur rencontre tout un tas de monstres pouvant le rejoindre dans sa quête. Un schéma qui préfigure déjà celui de Pokémon. Par la suite, le jeu donnera lieu à une série de spin-off poussant le concept encore plus loin. Avec Dragon Quest Monsters, dont le premier titre est sorti en 1999, il est question d’élever et d’entraîner des monstres combattant à la place du joueur. Au Japon, où Dragon Quest donne lieu à un véritable culte, cette série dérivée est qualifiée de clone Pokémon et on retrouve les pro-Dragon Quest Monsters contre les pro-Pokémon.
Designer les monstres
La majorité des monstres sont conçus par Ken Sugimori. Mais il n’est pas seul. Toute l’équipe met la main à la pâte. En six ans, ce sont plus d’une centaine de monstres qui voient le jour, malgré les capacités limitées de la Game Boy. Le premier Pokémon à être conçu est Rhinoféros, qui sera aussi le premier à être intégré dans le jeu. Lui succèdent Mélofée et Lokhlass. L’équipe s’inspire de tout ce qui l’entoure. Animaux, objets, plantes, souvenirs d’enfance. Contes et traditions japonaises. Un Pokémon est même la caricature d’un membre de Game Freak. Ce Pokémon c’est Ronflex, inspiré par Koji Nishino, rondouillard et adepte des siestes. La préhistoire est également une source d’inspiration pour les développeurs. Il faut dire qu’en 1993, c’est la folie Jurassic Park, et ça se ressent fortement à travers le paysage culturel. Sans chercher à établir trop de liens, on remarque quand même que les starters sont tous des reptiles. Que les Pokémon les plus puissants de l’époque sont ou s’apparentent à des dragons. Et pour compléter le tableau, viennent s'ajouter les Pokémon fossiles.
Au final, ce sont 190 monstres qui sont conçus et implémentés dans le jeu avant que la liste ne soit réduite à 150, plus Mew. Dans une interview, Shigeki Morimoto, un des programmeurs du jeu explique que les 39 créatures retirées des versions Rouge et Verte correspondent aux 39 emplacements MissingNo dans le dex interne du jeu. Ces monstres seront qualifiés pour figurer dans Pokémon Or & Argent. Parmi ceux-ci, Ho-oh, Lugia, Togepi, Farfuret, Teddiursa, Phanpy, Magby ou encore Elekid.
Le bruit et la fureur
Vu le peu de moyens du studio, la plupart des employés multiplient les casquettes. Junichi Masuda ne déroge pas à la règle. En plus de son rôle comme programmeur, il compose l’ensemble des musiques du jeu. Certaines d’entre elles sont devenues cultes. Masuda s’occupe aussi de réaliser les bruitages des Pokémon. Il développe un logiciel lui permettant de « casser » la carte son de la Game Boy pour en faire sortir des bruits étranges, qu’il attribue aux créatures en fonction de leur gabarit.
Bonus. Deux minutes d'interview de Masuda qui revient sur ses débuts.
La touche de Miyamoto
En tant que producteur et vétéran chez Nintendo, Shigeru Miyamoto supervise Tajiri dans le développement du jeu. Sans lui, la franchise Pokémon n’aurait probablement pas été celle qu’on connaît aujourd’hui. Pour exemple, c’est Miyamoto qui suggère le choix du starter dans le labo du prof Chen. Les enjeux sont posés dès les premières minutes, et le joueur développe un lien avec son compagnon. Les plans initiaux prévoyaient qu’on attrape un premier monstre random avant de se débarrasser de lui et passer à plus puissant. C’est aussi Miyamoto qui trouve l’idée des deux versions ; chacune possédant des créatures exclusives. Ce concept sera repris par d’autres franchises comme The legend of Zelda et Inazuma Eleven, pour ne citer qu’eux. Enfin, vous le savez sûrement déjà, mais le nom du rival, Shigeru, dans la version japonaise, est un hommage à Miyamoto, que Tajiri a toujours admiré.
Le retard du jeu
Autre raison derrière un développement si long : ils ne sont que 12 à avoir conçu Pocket Monsters. Même pour un jeu de Game Boy paru à la fin des années 90, c’est peu. Il faut aussi prendre en compte que durant les six années de conception, Game Freak avait tout le temps un projet parallèle.
Le développement arrive à son terme en octobre 95. Tajiri expliquera en 99 que c’était leur dernière chance de faire passer le projet, en retard de 4 ans. A ce moment, Game Freak espère vendre le jeu pour les fêtes de Noël avec une date fixée au 21 décembre 1995. Contretemps : les produits dérivés et autres partenariats ne sont pas encore prêts. Le jeu finira par sortir en février 1996, à la fin du dernier trimestre scolaire japonais. Sans doute la pire fenêtre possible pour débarquer en rayons.
LES VERSIONS ROUGE ET VERTE
Ca devient long ? Clique ici et la suite sera en vidéo.
Un lancement raté
Si les versions Rouge et Verte sortent avec deux mois de retard, elles souffrent surtout d’un handicap bien plus lourd. Initialement attendu pour 91, Pocket Monsters aurait dû accompagner l’apogée de la Game Boy, lancée en 1989. En 1996, la console a déjà 7 ans d’existence et ses ventes déclinent. Faut dire qu’en cinq ans, le paysage vidéoludique a complètement changé. La période n’offre plus rien de favorable au jeu de Game Freak.
Conséquence : Pocket Monsters Midori et Pocket Monsters Aka démarrent timidement, bien en-dessous des attentes de tous les participants au projet. Il faut savoir que de base, Nintendo partait déjà défaitiste et n’avait produit que « peu » de cartouches : 230 000, avec l’espoir quand même de créer un petit buzz. Finalement, quelques curieux achètent le jeu à sa sortie, séduits par le concept des deux cartouches et intrigués par ce qui doit être l’un des derniers RPG de la Game Boy. 110 000 exemplaires s’écoulent la première semaine. Passé ce délai, les choses se corsent. Moins de 10 000 cartouches trouvent preneurs. Le titre est éjecté du top des 10 meilleurs ventes. En général, c’est à ce moment que s’arrête la carrière d’un jeu…
Mew, ce sauveur
Le Corocoro est un mensuel japonais de plusieurs centaines de pages. On y trouve différents mangas prépubliés et on y parle de jeux vidéo. Née en 1977 et d’abord destiné aux enfants, le magazine est devenu une véritable institution au Japon. Aujourd’hui, il est lu par un écolier sur quatre et touche une majorité d’adultes…
Comme tous les fabricants de consoles de l’époque, Nintendo entretient de bonnes relations avec le Corocoro. Le numéro de février voit donc paraître quelques articles sur Pocket Monsters. Mais c’est au numéro suivant que la magie opère. Alors que les ventes du jeu s’effondrent, le Corocoro du mois de mars relaie une rumeur intrigante. Un certain nombre de joueurs auraient découvert un 151e Pokémon caché, Mew. La rumeur prend racine et les ventes repartent : Pokémon repasse la barre des 20 000 exemplaires par semaine et finit par retrouver sa place dans le top 10 des jeux les plus écoulés.
Officiellement, Mew ne devait pas être inclus dans la première génération de Pokémon. C’est Shigeki Morimoto, programmeur, qui aurait créé la bestiole et l’aurait ajouté au dernier moment, une fois la phase de debug achevée. Les cartouches gagnaient assez d’espace pour un monstre supplémentaire. Voilà pour la version officielle, probablement embellie. En vérité Mew a été le premier nom de Pokémon déposé, le 9 mai 1990. Soit cinq ans avant que les versions Rouge et Verte soient elles-mêmes trademarkées. Bref.
Devant la rumeur de Mew, les équipes de Game Freak et Creatures décident de saisir l’opportunité en plein vol. Un partenariat est noué avec le CoroCoro du mois d’avril afin de « présenter Mew aux enfants ». En plus de ça, le numéro d’avril comporte la première adaptation manga du jeu vidéo : Pokémon Pocket Monsters, de Kosaku Anakubo. Est mis en scène Red, parti à l’aventure en compagnie d’un Mélofée un peu idiot et vedette de cette adaptation. Le manga diverge du reste de l’univers Pokémon puisque la plupart des créatures peuvent parler et apparaissent aux côtés d’animaux.
Le Corocoro du mois d’avril ne s’arrête pas là. Le magazine organise un concours exclusif permettant à une poignée de lecteurs, 20 personnes tirés au sort d’envoyer leur cartouche du jeu pour obtenir Mew. 78 000 participations sont enregistrées. Le bouche à oreille a pris. Entre une com' efficace et la multiplication des produits dérivés, Pokémon finit par s’imposer. Les versions Rouge et Verte continuent leur ascension semaine après semaine. Le phénomène est lancé.
LA VÉRITÉ SUR LES VERSIONS BLEUE ET JAUNE
Pocket Monsters Rouge, Vert, Bleu… Pourquoi trois versions au lieu de deux au Japon ? Qu’est devenue la version Verte en Europe ? Dans cette dernière partie, on répond à ces questions.
La version bleue
Après le succès des versions Rouge et Verte, Game Freak s’attaque rapidement à la suite et entame le développement d’un projet dont le titre provisoire est Pocket Monsters 2.
En parallèle, le CoroCoro qui s’occupe de promouvoir les cartes Pokémon, lance une nouvelle opération autour du jeu. Le magazine propose en exclusivité et par correspondance une nouvelle version inédite : Pocket Monsters version Bleue, en octobre 1996.
Flyer promotionnel pour la version Bleue.
Programmée en vitesse par Game Freak qui se concentre surtout sur Pocket Monsters 2, cette nouvelle édition se révèle être une version améliorée du jeu original. On a droit à quelques corrections de bugs. Des améliorations graphiques. De nouveaux sprites. Plus d’indices sur l’existence de Mew. Un petit lifting pour la caverne azurée. Enfin, certaines créatures difficiles à obtenir dans les versions d’origine voient leur capture facilitée.
À l’image de la distribution de Mew, la demande pour la version Bleue est très forte et le Corocoro doit lancer huit opérations de vente. Le jeu finira par être commercialisé tardivement en magasins, le 10 octobre 1999. Trois ans après le Corocoro et… un mois avant la sortie des versions Or et Argent.
Concernant les versions Bleue et Rouge occidentales, elles sont des adaptations de la version Bleue japonaise. Les développeurs ont réutilisé son moteur graphique, ses sprites et ses textes.
La version jaune
En 1998, au Japon, Pokémon a deux ans. Les fans attendent Pocket Monsters 2 avec impatience et… c’est mal parti. Début mars, Game freak annonce le report de son prochain jeu pour différentes raisons (petite équipe, panne d’inspiration). Pour encaisser ce retard, Nintendo et Creatures commandent une nouvelle version dérivée des originales, qui accompagnera la sortie du premier film. C’est Pokémon Jaune : édition spéciale Pikachu, inspirée du dessin animé, où le héros parcours Kanto avec un Pikachu refusant de rentrer dans sa Pokéball.
On retrouve quelques mini-jeux supplémentaires, quelques correctifs de bug, ainsi que la possibilité d’apprendre Surf à son Pikachu. L’ironie, c’est que le jeu loupe le coche. Complètement surmenés chez Game Freak, le jeu finira par sortir après le film, en septembre 1998. Plutôt décevante pour les fans japonais qui s’attendaient à autre chose après deux ans d’attente, la version se vendra malgré tout à plusieurs millions d’exemplaires...
Le mot de la fin
Avec les versions Rouge, Verte, Bleue et Jaune lancées au Japon, les Pokémon s’apprêtent à traverser les océans pour conquérir les Etats-Unis et le reste du monde. Après des débuts difficiles, rien n’arrête plus les monstres de poche qui semblent avoir franchi la barrière du jeu à la mode pour devenir un phénomène de société. Bientôt, le monde entier va connaître la Pokémania.
Là dessus, je vous dis à bientôt et j'me barre.