C'est pas que je trouve le lycée nase ou quoi que ce soit, au contraire, c'est même trente fois mieux que le collège (et infiniment moins bien que la primaire), mais j'ai pas envie de partir. J'ai pas envie de choisir une fac, un DUT, une école, mes études, une voie, une spécialisation, des diplômes, j'ai pas envie de me soucier d'arriver en retard ou non, j'ai pas envie qu'un jour mon avenir soit mis en jeu (projetez-vous au-delà des études), j'ai pas envie de devenir responsable, de choisir un studio, puis un deux pièce, puis un appart', puis une maison, j'ai pas envie d'y installer une femme, puis un fille, un fils, l'assurance maternité, leurs objets, leurs attaches, leurs souvenirs, j'ai pas envie de me marier, j'ai pas envie de payer la TVA, la vignette automobile, les droits d'enregistrement, de timbre, j'ai pas envie de payer les impôts sur le revenu, la taxe foncière, la taxe d'habitation, la CSG, l'assurance santé, j'ai pas envie de me payer une téloche, j'ai pas envie de me payer un putain de fer à repasser et la table qui va avec, j'ai pas envie de me payer un nouveau parquet, une armoire, un lit, une chambre, puis une autre, un lave-linge et des fringues pour le remplir, un sèche-linge, un lave-vaisselle, des plaques chauffantes, une belle tapisserie, un tapis pour le salon, un canapé en velours satiné en dessous d'une toile de maître sans authenticité acheté en famille dans la brocante du mois de mars, des cannes à pêche pour le week-end avec les petits-enfants, parce que j'aurai vieilli alors que je m'y refusais, et pourquoi je voulais rester jeune, pour continuer à acheter ce que j'avais déjà et mieux me vendre, j'achète pourtant même vieux je ne veux toujours pas payer ma banque, mes assurances, ma couverture sociale, la bouffe du chat et les vacances des enfants, la place au cimetière de ma défunte épouse; je deviens trop vieux, et malade, alors on me place en maison et je crève lentement en regardant l'herbe pâle, perlée de gouttes à travers le cadre embué de la vitre de verre, la bise matinale caresse ma peau comme le souffle froid du jugement dernier, je bois un peu de cet excellent thé à la cannelle dans un tasse en porcelaine rose pâle que je tiens tremblotante jusqu'à mes lèvres sèches et me rappelle que ma vie n'a pas été celle que je voulais.
Voilà comment je vois mon avenir après le lycée, voilà comment je me vois jusqu'à la fin de mes jours, voilà comme je vous vois pour toujours, alors merde il faut que je me bouge, il faut qu'on se bouge et qu'on se barre tous d'ici, qu'on échappe aux qui nous sont inculquées, salut, je pars vivre au gré de mes rêves !