Ahah il semble que Pokémon Trash achève sa mutation en jardin d'Epicure du web, quelle probabilité de tomber sur un lecteur de Poictevin ?
J'essaierai de faire un tour sur le "Livre des masques" de Gourmont, à défaut d'attaquer son grand oeuvre, ça me paraît un bon florilège de toute cette littérature.
J'ai la même impression que toi, il affiche un style parfois poussif qui ne peut que témoigner du harassement causé par la recherche forcenée de la bonne image ou tournure, confinant parfois à la prise de tête ; mais contrairement à toi ça ne me gêne pas outre mesure, je ne prends pas ça comme le signe d'un désagréable pédantisme lettré mal assumé, plutôt comme un gage d'humanité. Michaux ne disait-il pas que "aucun mot ne nous est donné" ? Je dirais même que les falsificateurs sont les spontanéistes. Certes tout artiste a intérêt - dans le maintien de sa réputation d'inaccessible individualité - à ce que le public se représente la création comme inspiration, mais entre nous c'est un consensus nocif pour la destination littéraire en général : chacun sait bien que l'écrivain accouche avec douleur, et non par salves fougueuses ; et ne serions-nous pas dégoûtés face à des pages si honnêtes, que leur auteur impute néanmoins à ce mythe incréé ? L'idéal qu'on a pleinement perçu se voit refuser sa vérité et se défile. La beauté de l'imagerie a finalement a quelque chose de compassionnel, on l'admire en sachant cette mascarade futile, et d'autant plus qu'on la sait (tragique nietzschéen).
Le culte de l'immédiateté dans la sensation n'est pas encore assez noble. On ne s'abandonne pas comme ça à une couche superficielle de l'instant présent, ce qui compte c'est le monument que l'on en érige, peu importe la fidélité au substrat, avec le non-chalant plaisir de considérer la première pierre frelatée. Tu parles d'un "principe" conducteur, de connaissance du sujet d'écriture, de vécu, lorsque tout amène à mettre en doute ces fondations ; ce qui devint le choix conscient des fin-de-siècle, retourner à ce qui donne sens au livre en lui-même : faire supporter quelque chose de trop puissant aperçu dans la vie, et par là le porter au niveau de la sublime distraction essentialisée dans la posture de la lecture.
Il y a en fait un parallèle avec ton avis sur Deleuze "le conteur d'histoires", nous excuserons notre jeunesse de chercher avant tout dans les livres une édification par récupérations/interprétations de maximes, visant notre constitution en propre. On peut trouver un reste de candeur à poser comme critère d'évaluation la progression que nous avons accomplie avec l'oeuvre, tout comme à persister dans une définition de la philosophie comme "investigation ayant pour but de penser la vie". Du reste ce même bonhomme a justement professé la philosophie comme "art de créer des concepts", ce qui explique la divergence des paradigmes. On aspire à inculquer nul savoir existentiel ou absolu, juste à dénicher des parcelles de représentations où déchaîner nos capacités créatives, à esthétiser à fond le réel avec nos constructions ; ce qui ne perd pas de vue la consolation face à une vacuité généralisée des choses.
Sinon je te suis quant à la French Theory, sauf que ton avis ne concerne que la définition que le client outre-atlantique idéalise souvent, et ça m'étonnerait que ses acteurs (si on veut bien en trouver) écrivent dans le but escompté, l'honnêteté intellectuelle n'est pas encore à ce point baffouée. Il y a plutôt une terrible complaisance de l'esprit dans l'irrigation de la sécheresse conceptuelle. Et puis pour Baudrillard, ahah fait attention de ne pas tomber dans le supra-élitisme, on parle déjà de lectorats assez réduits pour ne pas les dire plèbe.
Mais t'as l'air vachement cool mec t'as mérité ton Derrida-meme