Chapitre 1
Une cloison blanche, une porte bleue, une cloison blanche, une porte bleue ... La monotonie des lieux était telle que toute activité y était quasiment prévisible, ce qui rendait le climat d'autant plus insalubre. La plupart des hôpitaux psychiatriques avaient pour objectif d'aider leurs patients à se rétablir pour qu'ils puissent s'y réintégrer, mais la Clinique des Songes Bleus avait dans cette perspective une méthode à nulle autre égale se basant sur une continuité interminable dans les faits et gestes pour imposer à l'esprit un nouveau cadre dans lequel seule la soumission était une issue plausible, quand la situation ne s'aggravait pas. Ce système de fonctionnement portait malgré tout ses fruits, puisque la plupart des esprits finissaient au bout d'un moment par perdre leur résistance, aussi les patients entrant à l'intérieur de ces murs étaient de toute catégorie : divorcés récents n'ayant pu supporter la séparation, employés à bout qui ne parvenaient plus à s'adapter à leur situation, dépressifs chroniques. Au fond, la meilleure arme de tout ce système était la peur inspirée par celui-ci, il n'y avait au fond pas d'autre endroit au monde où la séparation entre prison et hôpital psychiatrique était aussi infime. Mais contrairement aux prisons qui finissaient toujours surchargées et en manque de moyens de nos jours, la Clinique des Songes Bleus avait vraiment des frais limités, notamment parce qu'on investissait seulement dans de la nourriture et des calmants. Nul besoin d'un véritable confort, pas besoin de systèmes de soin innovants et extrêmement sophistiqués, non, rien de tout cela. Les choses étaient calculées pour être d'une simplicité déconcertante : soit vous vous soumettiez de bon gré et intégriez la norme qu'on voulait vous imposer, soit on vous gardait jusqu'à ce que vous choisissiez la première chose. Et c'était naturellement une cause perdue d'avance que d'essayer de s'enfuir : l'apparence très épurée de l'intérieur combinée à une réelle complexité de la structure neutralisaient à elles seules la quasi totalité des tentatives d'évasion.
Toutes les structures psychiatriques avaient néanmoins le malheur de tomber sur un individu se révélant forcément plus coriace que le système, et c'est sur celui-ci que nous allons nous attarder. C'était un adolescent au teint assez pâle puisqu'il ne voyait que rarement la lumière du jour, passant la majorité de son temps de sa cellule, et quand il en sortait, c'était uniquement aux rares moments où on laissait les détenus passer un peu de temps à l'air libre, ses yeux vert pouvant alors profiter du mieux qu'ils pouvaient de la lumière du jour. Au niveau physique, il disposait somme toute d'une taille assez élevée, dépassant de peu les cent quatre-vingt centimètres, bien que sa musculature ne soit particulièrement élevée, vu qu'il n'avait pas vraiment l'occasion de s'entraîner sur ce point, mais de toute façon, l'exercice physique ne l'attirait pas de manière générale. Ayant atteint l'âge de dix-sept ans, il avait néanmoins passé le tiers de son existence à l'intérieur de ces murs, ce qui en faisait un phénomène de foire dans son genre. La plupart des enfants humains étaient pourtant réputés pour leur grande flexibilité cérébrale, et les rares fois où ils venaient en ces murs, c'était le plus souvent pour en repartir quelques mois après, l'épreuve de se retrouver coupé de force du monde étant le plus souvent suffisante pour vous faire rentrer dans le rang. Lui, ou plutôt Val comme on le surnommait parmi les pensionnaires, utilisait davantage cette flexibilité pour s'adapter à son adversaire. La faille de la politique employée par cet établissement se trouvait dans le fait qu'on avait toujours affaire à une seule personne à la fois, le but étant d'assurer la continuité toujours recherchée. Le problème était que dans chaque individualité se trouvait également des failles qui ne seraient pas apparues dans une situation collective, et Val avait toujours considéré comme un jeu le fait de trouver ces failles afin de se débarrasser du malheureux qui avait été engagé pour "l'affronter" comme on disait dans le jargon. Il y avait eu près d'une vingtaine de psychologues, pourtant très bien formés au regard de leur profession, qui avaient fini par rejoindre le camp des patients après s'être cassé les dents sur le cas de "Val". Ce qui commençait à irriter sérieusement les dirigeants de l'hôpital, qui devaient désormais rentrer dans leurs comptes des dépenses dans le but de camoufler autant que possible l'affaire et qu'ils avaient de plus en plus de mal à justifier, la réputation des lieux en étant au moins aussi importante que son efficacité, car faisant au fond partie intégrante de cette dernière.
Val avait ainsi à un sermon mensuel avec le professeur Azenkov, russe de son état et accessoirement directeur de l'établissement, concernant son éternel problème comme quoi il avait beau être excellent en mathématiques et autres disciplines théoriques, il ne restait pas moins faible en logique faible en matière de logique sociale, ce à quoi Val répondait toujours de manière cynique en racontant ses performances avec ses docteurs, ce qui avait le don d'irriter Azenkov plus qu'autre chose. Et comme nous l'avions dit plus tôt, la résistance psychique d'un être humain possède immanquablement des limites, et c'est en vertu de ce principe que le vieux professeur décida de convoquer un jour le "jeune délinquant pathologique" comme il l'appelait personnellement, pour lui exposer une idée jusqu'alors inédite.
Val arriva ainsi de manière relativement étonnée dans le bureau du directeur :
"Vous êtes bien étrange, professeur, de casser ainsi mon rythme de sommeil, je croyais que la continuité était au centre des lieux.
"Je sais, je sais", répliqua Azenkov, "mais là, une idée vraiment importante vient de me traverser l'esprit et je tenais à vous en faire part."
"Et pourquoi m'appeler moi, alors? Vous avez suffisamment de collègues auprès de qui partager vos illuminations, non?"
"Parce que vous êtes concernés par l'idée, bien évidemment."
"Attendez, laissez-moi deviner, vous avez encore trouvé une expérience ultime et si jamais je finis par remporter l'épreuve, je gagne ma liberté ..."
"Exactement."
Le jeune adolescent haussa un sourcil pour marquer son étonnement, ce qui était déjà beaucoup venant de sa part.
"Je vous demande pardon?"
"Ne faites pas semblant de ne pas m'avoir compris, votre sourcil a très bien parlé pour vous."
"Excusez-moi, mais le coup de "ma liberté en échange d'une expérience", vous me l'avez déjà servi une bonne dizaine de fois, et pourtant je suis toujours là."
"C'est pour ça qu'on va faire quelque chose de vraiment inédit pour une fois."
"Du genre "me mettre dans un environnement réel pour me tester"?"
"Dans les grandes lignes, c'est à peu près ça."
"Continuez."
Satisfait de l'effet produit sur le jeune, Azenkov décida de poursuivre son exposé.
"Si je provoque le nom d'Angel School, ça évoque quoi à vos oreilles?"
"Cet établissement scolaire près de Tokyo destiné à accueillir les petits génies du monde entier qui provoque chez moi des crises de rire à chaque fois que j'en entends parler?"
"Plus ou moins ..."
"Comment ça, plus ou moins?"
"Parce que je vous y envoie, tout simplement."
"De quoi?"
"Arrêtez donc de faire l'idiot deux minutes, je crois que mon antipathie envers vous augmente encore plus lorsque vous essayez de me prendre pour un imbécile."
"Réaction à peu près normale, mais vous comptez sérieusement m'envoyer là-bas?"
"Oui."
"Et pour faire quoi?"
"L'expérience est assez bête : vous passez un an là-bas et si vous arrivez à tenir jusqu'à la fin de l'année, vous êtes libres."
"Où est l'arnaque?"
"A votre avis?"
"Je ne sais pas, c'est pour ça que je vous pose la question ..."
"Eh bien, parfait, ça rendra les choses plus amusantes à votre sens, à mon avis."
"Donc, en gros, vous m'envoyez un an à Tokyo avec comme seul objectif de parvenir à y rester un an?"
"Non, avant, vous allez passer quelques mois à apprendre le japonais ici, en Amérique ...
"C'est vrai que ça serait utile. Mais sinon, qu'est-ce qui me prouve que vous allez tenir parole?"
"Après votre départ, le protocole exige de vous mettre sur la liste des "personnes en déplacement". Si au bout d'un an, vous n'êtes pas revenus, vous resterez définitivement sur cette liste, avec les conséquences que ça a."
"En gros, vous arrêtez de me suivre officiellement?"
"C'est ça."
"Vous êtes sûrs que vous n'avez rien à me dire sur cette école?"
"Allez, soyons un peu sincère pour une fois", répondit Azenkov avec un léger sourire sur les lèvres, "je vais juste me contenter d'énoncer la différence fondamentale entre cette expérience et tout ce que vous avez connu jusque-là : avant, c'était du un-contre-un."
"Très bien. Alors, marché conclu."
"Parfait. Je vous sers quelque chose?"
"Un bon verre d'eau serait parfait pour moi ..."
Toutes les structures psychiatriques avaient néanmoins le malheur de tomber sur un individu se révélant forcément plus coriace que le système, et c'est sur celui-ci que nous allons nous attarder. C'était un adolescent au teint assez pâle puisqu'il ne voyait que rarement la lumière du jour, passant la majorité de son temps de sa cellule, et quand il en sortait, c'était uniquement aux rares moments où on laissait les détenus passer un peu de temps à l'air libre, ses yeux vert pouvant alors profiter du mieux qu'ils pouvaient de la lumière du jour. Au niveau physique, il disposait somme toute d'une taille assez élevée, dépassant de peu les cent quatre-vingt centimètres, bien que sa musculature ne soit particulièrement élevée, vu qu'il n'avait pas vraiment l'occasion de s'entraîner sur ce point, mais de toute façon, l'exercice physique ne l'attirait pas de manière générale. Ayant atteint l'âge de dix-sept ans, il avait néanmoins passé le tiers de son existence à l'intérieur de ces murs, ce qui en faisait un phénomène de foire dans son genre. La plupart des enfants humains étaient pourtant réputés pour leur grande flexibilité cérébrale, et les rares fois où ils venaient en ces murs, c'était le plus souvent pour en repartir quelques mois après, l'épreuve de se retrouver coupé de force du monde étant le plus souvent suffisante pour vous faire rentrer dans le rang. Lui, ou plutôt Val comme on le surnommait parmi les pensionnaires, utilisait davantage cette flexibilité pour s'adapter à son adversaire. La faille de la politique employée par cet établissement se trouvait dans le fait qu'on avait toujours affaire à une seule personne à la fois, le but étant d'assurer la continuité toujours recherchée. Le problème était que dans chaque individualité se trouvait également des failles qui ne seraient pas apparues dans une situation collective, et Val avait toujours considéré comme un jeu le fait de trouver ces failles afin de se débarrasser du malheureux qui avait été engagé pour "l'affronter" comme on disait dans le jargon. Il y avait eu près d'une vingtaine de psychologues, pourtant très bien formés au regard de leur profession, qui avaient fini par rejoindre le camp des patients après s'être cassé les dents sur le cas de "Val". Ce qui commençait à irriter sérieusement les dirigeants de l'hôpital, qui devaient désormais rentrer dans leurs comptes des dépenses dans le but de camoufler autant que possible l'affaire et qu'ils avaient de plus en plus de mal à justifier, la réputation des lieux en étant au moins aussi importante que son efficacité, car faisant au fond partie intégrante de cette dernière.
Val avait ainsi à un sermon mensuel avec le professeur Azenkov, russe de son état et accessoirement directeur de l'établissement, concernant son éternel problème comme quoi il avait beau être excellent en mathématiques et autres disciplines théoriques, il ne restait pas moins faible en logique faible en matière de logique sociale, ce à quoi Val répondait toujours de manière cynique en racontant ses performances avec ses docteurs, ce qui avait le don d'irriter Azenkov plus qu'autre chose. Et comme nous l'avions dit plus tôt, la résistance psychique d'un être humain possède immanquablement des limites, et c'est en vertu de ce principe que le vieux professeur décida de convoquer un jour le "jeune délinquant pathologique" comme il l'appelait personnellement, pour lui exposer une idée jusqu'alors inédite.
Val arriva ainsi de manière relativement étonnée dans le bureau du directeur :
"Vous êtes bien étrange, professeur, de casser ainsi mon rythme de sommeil, je croyais que la continuité était au centre des lieux.
"Je sais, je sais", répliqua Azenkov, "mais là, une idée vraiment importante vient de me traverser l'esprit et je tenais à vous en faire part."
"Et pourquoi m'appeler moi, alors? Vous avez suffisamment de collègues auprès de qui partager vos illuminations, non?"
"Parce que vous êtes concernés par l'idée, bien évidemment."
"Attendez, laissez-moi deviner, vous avez encore trouvé une expérience ultime et si jamais je finis par remporter l'épreuve, je gagne ma liberté ..."
"Exactement."
Le jeune adolescent haussa un sourcil pour marquer son étonnement, ce qui était déjà beaucoup venant de sa part.
"Je vous demande pardon?"
"Ne faites pas semblant de ne pas m'avoir compris, votre sourcil a très bien parlé pour vous."
"Excusez-moi, mais le coup de "ma liberté en échange d'une expérience", vous me l'avez déjà servi une bonne dizaine de fois, et pourtant je suis toujours là."
"C'est pour ça qu'on va faire quelque chose de vraiment inédit pour une fois."
"Du genre "me mettre dans un environnement réel pour me tester"?"
"Dans les grandes lignes, c'est à peu près ça."
"Continuez."
Satisfait de l'effet produit sur le jeune, Azenkov décida de poursuivre son exposé.
"Si je provoque le nom d'Angel School, ça évoque quoi à vos oreilles?"
"Cet établissement scolaire près de Tokyo destiné à accueillir les petits génies du monde entier qui provoque chez moi des crises de rire à chaque fois que j'en entends parler?"
"Plus ou moins ..."
"Comment ça, plus ou moins?"
"Parce que je vous y envoie, tout simplement."
"De quoi?"
"Arrêtez donc de faire l'idiot deux minutes, je crois que mon antipathie envers vous augmente encore plus lorsque vous essayez de me prendre pour un imbécile."
"Réaction à peu près normale, mais vous comptez sérieusement m'envoyer là-bas?"
"Oui."
"Et pour faire quoi?"
"L'expérience est assez bête : vous passez un an là-bas et si vous arrivez à tenir jusqu'à la fin de l'année, vous êtes libres."
"Où est l'arnaque?"
"A votre avis?"
"Je ne sais pas, c'est pour ça que je vous pose la question ..."
"Eh bien, parfait, ça rendra les choses plus amusantes à votre sens, à mon avis."
"Donc, en gros, vous m'envoyez un an à Tokyo avec comme seul objectif de parvenir à y rester un an?"
"Non, avant, vous allez passer quelques mois à apprendre le japonais ici, en Amérique ...
"C'est vrai que ça serait utile. Mais sinon, qu'est-ce qui me prouve que vous allez tenir parole?"
"Après votre départ, le protocole exige de vous mettre sur la liste des "personnes en déplacement". Si au bout d'un an, vous n'êtes pas revenus, vous resterez définitivement sur cette liste, avec les conséquences que ça a."
"En gros, vous arrêtez de me suivre officiellement?"
"C'est ça."
"Vous êtes sûrs que vous n'avez rien à me dire sur cette école?"
"Allez, soyons un peu sincère pour une fois", répondit Azenkov avec un léger sourire sur les lèvres, "je vais juste me contenter d'énoncer la différence fondamentale entre cette expérience et tout ce que vous avez connu jusque-là : avant, c'était du un-contre-un."
"Très bien. Alors, marché conclu."
"Parfait. Je vous sers quelque chose?"
"Un bon verre d'eau serait parfait pour moi ..."
Ceci est une histoire qui me trottait dans la tête depuis assez longtemps, et Dieu seul sait si un jour, je parviendrais à coucher entièrement sur le papier tout ce que j'avais en tête. Quoi que ce soit, c'est toujours utile de mettre des mots là-dessus, ça permet de se soulager l'esprit, et autant vous en faire profiter.