[Fanfiction] [Terminé] Passé - La fin d'un monde
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Trailokiavijaya
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22 janvier 2013, 23:46
Je m'occupe de ça demain.
Vilgrav-Klaus
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22 janvier 2013, 23:53
T'as l'air presque vexé que quelqu'un soit venu réagir à ce que tu faisais! Je ne sais pas de quel acabit sont les réactions que tu reçois sur les autres forums, mais elles doivent être bien minimalistes si elles ne doivent pas troubler ta mise en page.
Je ne sais pas si je dois me fâcher quand tu dis que ta fic est floodée. Ce que nous avons dit n'est pas irrelevant, même si il ne s'agit pas du fond de ta fanfiction.
Je ne sais pas si je dois me fâcher quand tu dis que ta fic est floodée. Ce que nous avons dit n'est pas irrelevant, même si il ne s'agit pas du fond de ta fanfiction.
Tyranocif Rex
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- 281 posts
22 janvier 2013, 23:55
C'est bien ce que je dis : ça n'a pas sa place ici. Je sais, je suis très formaliste. Sur les autres forums, on me donne l'avis sur la fic et rien que sur la fic. C'est ça la différence. Et surtout, c'est pas structuré pareil (et cherche pas de sites connus, tu trouveras rien là bas) ce qui évite l'anarchie. mais dans tous les cas, je reçois des pavés aussi :3 S'il y avait un topic par chapitre dans un sous-forum, avec un topic généraliste sur les écrits de l'auteur pour poster le genre de débats qu'on a eu ce soir, ça serait l'idéal. Mais je sais hélas que c'est irréalisable ici faute d'ambitions à la mesure de la concurrence (je vous concède que la demande ne doit probablement pas être très élevée hormis quelques rigolos comme moi).
J'ai encore des chapitres à poster tu sais
« Modifié: 23 janvier 2013, 00:02 par Tyranocif Rex »
J'ai encore des chapitres à poster tu sais
Vilgrav-Klaus
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- 1281 posts
23 janvier 2013, 00:17
Ne vend pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Si tu as choisi de publier ici, c'est que la manière dont les réactions pouvaient arriver te convenait malgré les inconforts éventuels. Sinon, c'est que tu ne voulais pas de réactions et que tu faisais ça par dessus la jambe, et alors notre discussion n'a aucun sens.
Peut être que ce n'est pas encore optimisé, loin de là, mais pour que ça le soit, il faut justement que la demande augmente. Pour que la demande augmente, il faut plus d'auteur et des œuvres du coin avec une diffusion au sein du forum par le bouche à oreille. C'est pour que la section puisse avoir la place qu'elle mérite, et donc puisse vous correspondre, à vous, les auteurs, qu'on a besoin que vous veniez y contribuer.
Il faut créer une dynamique. Si jamais la Maison passe la première, elle peut potentiellement avoir à sa disposition un public important, et qui plus est dans lequel se trouvent d'éventuels commentaires particulièrement intéressants.
Le forum le mérite, la section a le droit à la vie.
Postes, postes, c'est ce qu'il faut!
Peut être que ce n'est pas encore optimisé, loin de là, mais pour que ça le soit, il faut justement que la demande augmente. Pour que la demande augmente, il faut plus d'auteur et des œuvres du coin avec une diffusion au sein du forum par le bouche à oreille. C'est pour que la section puisse avoir la place qu'elle mérite, et donc puisse vous correspondre, à vous, les auteurs, qu'on a besoin que vous veniez y contribuer.
Il faut créer une dynamique. Si jamais la Maison passe la première, elle peut potentiellement avoir à sa disposition un public important, et qui plus est dans lequel se trouvent d'éventuels commentaires particulièrement intéressants.
Le forum le mérite, la section a le droit à la vie.
Postes, postes, c'est ce qu'il faut!
Tyranocif Rex
- Membre
- 281 posts
23 janvier 2013, 00:36
De Jadielle à Argenta, il n'y a qu'un chemin. Ce chemin, c'est la Forêt de Jade. Un chemin dangereux, voilà comment le qualifient depuis des générations les voyageurs de tout bord qui passent par ici. La Forêt de Jade, c'est un véritable labyrinthe dans lequel l'ampleur de la végétation rend difficile toute orientation . C'est aussi le repaire de nombreux pokémons sauvages si affectueux avec leurs visiteurs qu'ils ne se privent pas de les piquer au vif, au sens propre comme au figuré. Oui, la Forêt de Jade c'est tout cela à la fois. Ou plus exactement, ça l'était à une époque reculée. Comment ? La plus grande forêt de Kanto, voire même du continent, a changé ? Et bien oui, la Forêt de Jade a changé. J'ai pu, nous avons pu nous en rendre compte en la traversant. Je m'imaginais une forêt gigantesque et menaçante, je n'ai vu qu'un petit bois étriqué où il serait bien difficile de se perdre. Je m'attendais à une forêt d'arbres, j'ai vu une forêt d'arbres. Effectivement, à ceci près que c'était une forêt d'arbres coupés. Cette forêt d'arbres coupés, on ne pouvait y échapper : à l'entrée comme à la sortie de la forêt, il fallait faire une marche de plusieurs kilomètres dans ce décor lunaire. C'était surréel, un peu comme si on avait tondu un gigantesque wattouat. En parcourant ce panorama sinistre, j'avais eu deux réactions successives. La première était un sentiment de terreur, qui me glaçait le sang : que s'était-il passé ici ? Cette forêt, jadis orgueilleuse, était décapitée. La seconde était une question plus rationnelle, mais non dénuée de colère : pourquoi ?
La réponse, pourtant, me faisait face avec arrogance. C'était comme si elle me lançait un défi. Cette réponse, c'était Argenta. Argenta, la ville accrochée sur les flancs du Mont Sélénite, avait elle aussi beaucoup changé. Mais ce changement était différent de celui de l'auguste forêt que nous traversions : loin de régresser, la cité s'était industrialisée et la fumée noire que crachait, constamment, les cheminées des usines de charbon situées sur les hauteurs en constituait la preuve la plus éclatante. Les ressources, sans cesse plus nombreuses, que nécessitait le fonctionnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre des usines expliquait la déforestation qui avait fait ses ravages ici. Le contraste était saisissant, et me faisait prendre conscience encore plus nettement de l'impérieuse nécessité de suivre Octave. L'Homme avait décidément un grain. Paradoxalement pourtant, ce génocide de la nature avait facilité notre arrivée à Argenta. En seulement trois jours, nous étions arrivés à l'entrée de la grande fumeuse de Kanto.
Nous marchions dans la rue principale de la ville. Elle était très longue, et menait tout droit vers les usines de charbon, hissées à des altitudes diverses sur le Mont Sélénite. En revanche, dire que cette avenue était belle tenait plus du mensonge qu'autre chose. Les retombées de particules de charbon sur la ville, contrecoup direct de l'activité industrielle, avaient noirci le sol pavé à un point tel qu'on aurait dit qu'une neige d'ébène recouvrait le plancher des vastes. La population n'était pas plus reluisante. Les trois quarts des badauds avaient pour tout vêtement des guenilles trouées, tandis que le quart restant mendiait et volait avec la complicité de rattata kleptomanes. La santé de tous était misérable : ils toussaient, éternuaient, crachaient. Les rares à avoir la chance de posséder des mouchoirs s'en servaient comme de masques à gaz, les autres faisaient sans et aggravaient l'insalubrité ambiante en éternuant sur leurs voisins. Incommodé par cette avenue où les damnés de la terre allaient et venaient, j'osa m'adresser à Octave pour la première fois depuis notre départ de Jadielle
- C'est atroce ici. On est censés aller où ?
Octave ne dit mot pendant cinq cent mètres. Puis, il finit par sortir de son splendide isolement pour me répondre.
- Tout droit. Mais nous allons prendre les petites rues.
Tout droit, c'était le Mont Sélénite. C'était tout proche, Argenta était une ville peu étendue sur l'axe nord-sud. Elle épousait les flancs de la montagne plutôt que d'être bâtie sur elle. Et pourtant, Octave voulait faire un détour par les petites rues. Je me mis donc à regarder ce qu'il entendait par petites rues. Je regardais à gauche : il y avait effectivement de petites venelles sinistres. Je regardais à droite : c'était rigoureusement la même chose. L'avenue n'était certes pas très avenante avec ses particules de charbon qui encombrent les bronches et ses ouvriers en guenilles, mais au moins l'itinéraire était clairement balisé. Là, c'était un saut vers l'inconnu. Qui aurait envie de se perdre dans un labyrinthe urbain dans une telle ville ? Je n'étais vraiment pas convaincu : je fis donc part de mes doutes au Destogoride.
- Les petites rues ? Mais...tu as vu la gueule qu'elles tirent ? Si on va par-là, non seulement on va perdre du temps, mais en plus on risque de se perdre.
Cette fois, Octave répondit plus rapidement. Il n'attendit pas cinq cents mètres pour me répondre.
- Se perdre, c'est précisément ce que je veux qu'on fasse. Regarde derrière toi.
J'obéis. Des quatre coins d'Argenta, des hommes tout de noir vêtu avaient jailli. Musclés, balafrés et au regard menaçant, ils l'étaient tous. Tous, ils marchaient en cadence vers nous dans une régularité implacable. Un d'entre eux attira mon attention. Non pas qu'il était moins patibulaire que ses collègues : il l'était d'ailleurs encore plus. Mais il avait la particularité d'avoir un visage horriblement mutilé à cause d'une cicatrice profonde qui traversait en diagonale son visage, de l'œil droit jusqu'à la bouche. En plus de cela, des anneaux lourds étaient solidement accrochés sur ses deux bras puissants, donnant le sentiment d'une puissance physique incommensurable à chacun de ses mouvements. Il me faisait peur, et j'avais bien raison de le craindre.
Croisant mon regard, le groupe d'hommes en noir se mit à accélérer soudainement. Octave m'agrippa par le bras et se mit à courir tout aussi soudainement, me forçant à le suivre. Il prit la première venelle sur la gauche. Comme toutes les autres venelles d'Argenta, elle était très mal éclairée et sentait très mauvais. Le groupe d'hommes s'engouffra ensuite à son tour dans l'étroit chemin. La course dans le dédale de rues de la cité s'engagea alors. Dans une intersection, Octave prit le chemin de droite. Le groupe nous suivait de près : on entendait le bruit de leurs pas déchirer le silence du quartier, qui contrastait d'ailleurs nettement avec l'avenue principale que nous venions de quitter. Dans deux autres intersections, Octave prit deux fois de suite la voie de gauche. Il devait espérer perdre nos poursuivants dans ce véritable labyrinthe que j'avais pressenti à peine quelques minutes plus tôt. La conclusion de tout cela est que nous finîmes par retrouver l'avenue. Octave ne s'arrêta pas pour autant : les hommes en noir étaient toujours là. Bousculant les badauds, il décida donc de replonger dans les bas-fonds de la métropole, mais cette fois de l'autre côté. La course reprit alors de plus belle. Une intersection, deux intersections, trois intersections : cela aurait pu durer une éternité. Mais les brutes ne semblaient pas ne serait-ce que commencer à fatiguer.
Mais le pire était encore à venir : face à nous, un cul-de-sac. Un mur de tôle nous faisait en effet face, mettant un terme définitif à notre avancée. Octave stoppa net, me lâcha et laissa échapper une grossièreté.
- Merde !
Il se retourna alors, et moi à sa suite. Les hommes en noir étaient à présent devant nous, et le mur derrière. Nous étions faits comme des rats, ils le savaient et en jubilaient. Les voyant s'approcher, galegon criait pour espérer les intimider. C'était certainement la dernière initiative d'une situation désespérée. Terrifié par ces mines peu pacifiques, j'osa néanmoins poser une question à Octave.
- Qui sont ces hommes ?
Avec une mine défaite mais néanmoins loin d'être soumise, il me répondit tout en regardant l'homme aux anneaux s'avancer vers nous.
- C'est la Brigade Noire...La Milice du Consortium.
Arrivé devant nous, il s'arrêta brutalement. Qu'allait-il nous faire ? D'abord, il se contenta de nous regarder avec sévérité. Puis, avec une violence mais aussi une puissance qui nous surprit tous les deux, il nous prit par le cou avec ses deux bras et nous souleva sans le moindre effort. C'est alors, et alors seulement, qu'il se mit à parler.
- Et bien, qu'avons-nous là ? Deux imprudents qui font du tourisme chez moi. Que venez-vous faire à Argenta ? J'aime pas les nouveaux venus, et j'aime encore moins courir avant le déjeuner, alors je vous préviens : vous avez intérêt à filer doux.
Nous étions en train d'étouffer, et c'est un interrogatoire en règle qu'il nous faisait subir. Aucun de nous deux ne dit mot, d'abord parce que nous en étions incapable et aussi parce que nous ne voulions absolument pas nous trahir. Mais malheureusement, il faut croire que notre mutisme ne satisfaisait pas le bourreau qui nous étranglait. Il se remit à parler, ou plus exactement à hurler.
- J'attends : que venez-vous faire à Argenta ?
Audacieusement, Octave parvint à donner à l'homme une explication. Enfin, parler d'explication était excessif : c'était plutôt un mot d'esprit. Il n'était pas suicidaire non plus.
- Euh, voyez-vous on est vos plus grands fans alors on voulait un autographe de vous.
Il n'apprécia pas. C'était prévisible. Avec une force inouïe et à trois reprises, il nous cogna sur le mur. Je saignais. Octave saignait aussi. Je souffrais. Octave aussi, mais contrairement à moi il ne le montrait pas. Cet homme ne connaissait pas la pitié. Néanmoins, cette brute avait négligé quelque chose : galegon. Me voyant souffrir, le tank sur pattes entra en effet dans une rage folle et non seulement mordit les mollets de la brute épaisse, mais en plus lui sauta dessus. L'homme, surpris, s'écroula par terre avec cent vingt kilos sur lui. Il hurlait.
- Ah, sale bête. Je vais te buter et te faire fondre dans les usines, pourriture !
L'homme et le pokémon se battirent pendant cinq bonnes minutes. Hélas pour nous, un des hommes en noir sortit alors une pokéball en métal de laquelle jaillit un Mackogneur. Le colosse n'eut bien sûr aucun mal à soulever galegon. Mais, avec de la suite dans les idées, il le projeta de manière à ce que le pokémon acier s'encastre dans le mur, qui s'écroula aussitôt. Dans ce déluge de violence, moi et Octave manquâmes de peu la mort : le pokémon armurfer m'effleura en effet d'un cheveu lorsqu'il se transforma en boulet de canon de calibre 90 millimètres.
Après s'être remis de ses émotions et tandis que l'homme aux anneaux se relevait péniblement avec plein de courbatures, Octave eut encore un bon mot. D'ailleurs, j'ignore encore comment il pouvait trouver le temps de faire de l'humour dans des situations pareilles.
- C'est ce qui s'appelle un départ en fanfare.
La masse de muscles était debout. Et elle était en colère.
- Je vais vous faire passer l'envie de vous foutre de ma gueule, les deux gugusses. Sardonis ne m'a pas nommé ici pour que je me fasse ridiculiser par les premiers abrutis venus. Puisque vous ne voulez pas me répondre, on va accélérer la procédure. Ecoutez-moi bien, tous les deux ! Nos espions à Jadielle m'ont rapporté que deux individus avaient l'air de fouiner un peu trop dans des affaires qui ne les regardent pas. Et comme vous êtes les premiers à venir de là-bas depuis ce rapport, ça doit être de vous qu'il s'agit. Par conséquent, vous êtes des suspects. Et la politique de la maison, c'est que tout suspect est un coupable qui s'ignore. Donc, vous allez crever.
Octave souriait. La sérénité qu'il affichait à chaque instant était vraiment perturbante, même pour moi qui était avec lui. Il répondit avec une ironie mordante à l'homme de la Brigade Noire.
- Quelle argumentation imparable ma parole ! Résumons donc : on est un peu trop curieux, donc il faut nous tuer. Mon petit doigt me dit que t'a dû sécher l'école un bon nombre de fois quand t'étais môme pour tenir un raisonnement pareil, mec. Mais dis-moi : pourquoi donc la curiosité est-elle condamnée à mort, homme à l'intellect peu commun ?
La réponse de la brute fut aussi brève que claire.
- Secret Défense, connard !
Immédiatement après, Octave répondit à son tour.
- Réponse typique de petite frappe qui n'a aucune idée des enjeux qui ont cours au-delà de sa pitoyable existence. Mais je compatis : ça doit être dur d'être considéré du matin au soir comme un débile congénital tout juste bon à effectuer les basses besognes de Sardonis. Le truc que tu n'as pas l'air de comprendre, c'est que par ta connerie et celle de tes sbires, tu as détruit le mur derrière nous.
Pas très fin, le colosse se contenta de dire un seul mot qui résumait bien au fond ce qu'il était.
- Et ?
Octave finit ainsi, imperturbable.
- Et nous allons prendre congé. Adieu, passe le bonjour de la part de Sardonis et dis-lui ceci : il ne pourra jamais m'anéantir, pour la simple raison qu'il n'est qu'un esclave.
C'est ce moment-là que choisit Octave pour me prendre à nouveau par la main. Aussitôt après, nous traversâmes le mur détruit avant de nous mettre à courir. Mais cette fois, nous allions réussir à les vaincre. J'avais en effet une idée : utiliser galegon pour les arrêter définitivement. Depuis que le mackogneur d'un des sbires du chef de la Brigade Noire l'avait projeté de l'autre côté du mur, il nous attendait en effet à l'autre bout de la rue. En un regard, il comprit ce que je voulais qu'il fasse. Tout d'abord, il attendit que nous soyons passés derrière lui, c'est-à-dire que nous ayons pris une des deux intersections qui se trouvaient à l'extrémité de la voie : soit à gauche, soit à droite. Octave choisit de prendre le chemin de droite. Puis, et c'est là que se trouvait le coup de génie, alors que la troupe de la Bridage Noire fonçait à pleine vitesse vers nous, galegon se plaça au centre de la venelle de manière à bloquer le chemin. Or, avec quatre-vingt-dix centimètres, le pokémon était suffisamment gros pour bloquer complètement le chemin. Le dispositif était prêt : il suffisait à présent à mon char vivant de se mettre à charger nos poursuivants, la tête de manière à effectuer un coup de bélier ravageur.
Le résultat fut sanglant et d'une horreur telle qu'il vaut mieux passer le détail des évènements sous silence. Tout ce qu'il faut retenir de cette attaque c'est cela : un triomphe total. Tous les miliciens étaient soient morts, soit si grièvement blessés qu'ils étaient mis hors course. La justice immanente était rendue, et l'acier le plus pur l'avait accomplie. Ces assassins étaient morts par là où ils avaient péché. Sa besogne faite, galegon nous rejoignit ensuite rapidement en se fiant à son odorat et aux traces de pas que nous avions laissées. Arrivé juste derrière nous, il se mit à crier pour nous avertir de sa présence. Octave s'arrêta et, en voyant l'état du crâne de Skuld, se mit à éclater de rire. Moi au contraire, j'étais assez choqué il faut bien le dire. Sa tête, et plus largement son corps, était immaculée de sang. Le Destogoride trouvait ça amusant. Si amusant d'ailleurs, que cela lui inspira un nouveau mot d'esprit.
- Il faut croire que ton pokémon aime le vin rouge.
Quel humour grinçant ! Tout en répondant à ce cynique infatigable, je lui adressa un regard réprobateur tout en faisant semblant de trouver ce qu'il faisait de dire drôle.
- Très drôle, Octave.
Mais si l'Octave que je connaissais était un comique, et cela je le savais déjà depuis maintenant plus d'un an, il savait aussi redevenir sérieux très rapidement. Après tout, il doit falloir ces deux dimensions pour survivre dans ce monde de fou. Trop de sérieux conduit à la dépréssion. Mais pas assez de sérieux mène au contraire à la mort. Il regardait au loin avec ses yeux bleus comme le cristal : le Mont Sélénite nous attendait, au loin. Tout en ayant sorti un vieux chiffon de ma poche pour débarbouiller Skuld de tout ce sang, j'avais remarqué ce regard. Il semblait ailleurs, l'esprit plongé dans des réflexions si érudites que seul le vieux Xatu aurait pu les sonder. Maintenant que nos relations s'étaient détendues, renforcées par l'épreuve que nous venions de vivre ensemble, j'engageai le dialogue plus facilement.
- Tu ne veux toujours pas me dire où est-ce qu'on va et ce que tu attends de moi ?
Adossé sur une des parois de la venelle, il cessa de fixer le Mont Sélénite pour tourner son regard vers moi et me répondre. J'avais enfin réussi à attirer l'attention de cet homme bien mystérieux.
- N'aie crainte, tu sauras tout très bientôt. Mais puisque la Brigade Noire ne va plus nous importuner maintenant, je peux bien commencer ici. Nous allons au cœur du Mont Sélénite : là-bas, se trouve ma Bibliothèque. Voit-tu, le Consortium a peut-être brûlé tout le savoir amassé au cours des siècles par les Destogorides lors de cet assaut funeste dont je t'ai parlé la dernière fois, pendant des années j'ai pris le soin de rassembler les copies de tout le savoir du monde dans un endroit secret. Cet endroit, retiré du monde et par conséquent protégé de ses tourments, c'est là que nous allons.
Intrigué par cette nouvelle, je lui répondis ensuite.
- Je vois...Et tu penses que le savoir qui se cache là-bas nous aidera à trouver des réponses ? Car j'ai encore en mémoire ce que m'a dit Rudolph Estenia : « La Lune Blanche parviendra certainement à affaiblir la Lune Noire, mais pas à empêcher le destin de s'accomplir ». Tu crois qu'il existe une autre solution pour contrecarrer les plans du Consortium ?
En entendant ces mots, Octave sourit. Puis, il répondit à son tour.
- Rudolph Estenia...Voit-tu, ce bon vieux Professeur a à la fois tord et raison. Il a raison dans l'état du monde d'aujourd'hui. Mais il a tort dans l'état du monde d'hier. La vérité, c'est que pour Rudolph Estenia comme pour beaucoup d'autres choses, tu apprendras bien vite que tout n'est jamais tout blanc ou tout noir. Le monde est gris, et surtout il est changeant. Mais ne te pose pas trop de questions pour l'instant : je te dirais tout ce que tu dois savoir dans la Bibliothèque.
Voilà qui était étrange : plus il répondait à mes questions, plus le mystère s'épaississait. Mais, comme il me l'avait demandé, j'essaya de chasser toutes ces questions qui m'assaillaient de ma tête. Les heures passèrent donc, à ne rien faire de spécial. Nous reprenions des forces, et en particulier mon pokémon qui avait besoin de repos pour réparer les fractures accumulées dans son blindage au cours de ces deux combats qu'il avait mené dans la journée. La nuit commençait à tomber. Je venais juste de terminer le nettoyage de mon pokémon de tout ce sang qu'il avait sur lui. C'est ce moment que choisit Octave pour reprendre la route. Il me dit simplement, sobrement mais fermement ces quelques mots.
- Solaroc va bientôt remplacer Seleroc. C'est le moment d'y aller. Dépêchons-nous, Rubens déteste attendre.
Et quand on dit reprendre la route, Octave ne la reprenait pas à moitié : c'était au pas de course. J'avais du mal à le suivre, mais je parvins au bout d'un moment à m'habituer à son rythme et à réagir sur ce qu'il venait de dire.
- Tu as parlé de Rubens...C'est qui ?
Le Destogoride répondit légèrement. A vrai dire, à chaque pas qui nous rapprochait du Mont Sélénite il semblait plus détendu et avenant.
- Mon peintre. Je plaisante. C'est le nom que j'ai donné à mon archiviste, qui est aussi mon unique pokémon. Tu verras : comme tous les bibliothécaires il est un peu sec mais quand on lui demande quelque chose, il le fait avec zèle.
C'est tout ce qu'il me dit jusqu'à notre arrivée jusqu'à cette fameuse bibliothèque secrète. Pour y accéder, nous commençâmes tout d'abord par rejoindre l'avenue par laquelle nous étions arrivé en entrant à Argenta. Puis, il fallait gravir les contreforts du Mont Sélénite. Le dénivelé était important, mais notre motivation commune était trop forte pour qu'une simple montagne, fut-elle habitée par des mélofée, ne nous fasse reculer. Sur le chemin, galegon nous obligea à faire une petite halte près des usines charbonnières. Pour faire quoi, on pourrait se demander ? Mais pour manger bien sûr ! Le pokémon avait des besoins tels que pour sa croissance il devait manger des kilos entiers de fer par jour. Les fondations des usines, voilà qui semblait l'intéresser au plus haut point. Après notre départ, un détail doit toutefois être noté : il semblerait que toutes les usines d'Argenta se soit subitement écroulées. Mais qui cela peut bien intéresser après tout ? Ah oui effectivement, les ouvriers et les capitaines d'industrie. J'avais oublié ce détail.
Toujours est-il qu'après plusieurs heures de randonnée à travers la montagne, et plusieurs autres à se perdre et se reperdre dans les grottes labyrinthiques du Mont Sélénite, Octave me demanda de m'arrêter.
- Stop ! Nous sommes arrivés.
Je regardais partout autour de moi : il n'y avait que des murs de pierre peuplés quasiment exclusivement de nosferapti. Quant au sol, les cailloux se confondaient aisément avec les racaillou. Bref, il n'y avait rien ici de surprenant pour une grotte de la région de Kanto. Dans un mélange d'incompréhension et de fatigue, j'exprima mon scepticisme à Octave. Il en rit, avant de me répondre factuellement.
- Mais la Bibliothèque se trouve dans nul autre endroit qu'ici. Elle est en face de toi, le temps de donner le mot de passe à Rubens.
Le Destogoride recula, tout en me faisant reculer par la même occasion. Puis, il remplit ses poumons avec de l'air pour pouvoir annoncer clairement à voix haute le fameux mot de passe.
- J'aime la peinture hollandaise, surtout quand elle travaille avec Alexandrie !
A cet instant, le mur en face de nous se fractionna avant que les deux parties de ce qui était en fait une sorte de portail en pierre ne se séparent vers le haut et vers le bas dans un fracas qui faisait résonner un écho puissant dans toute la grotte. Lorsque le silence revint dans le Mont Sélénite, une bibliothèque immense nous attendait. On en voyait même pas le fond. Octave entra à l'intérieur, et moi à sa suite. Le portail se ferma ensuite immédiatement. En voyant un tel camouflage, pas étonnant du coup que personne n'ait jamais trouvé cette bibliothèque. A gauche comme à droite, des étagères géantes étaient remplies de livres. Le gigantisme ambiant semblait presque menaçant, à tel point que je me sentais tout petit face à tant de savoir. Au centre enfin, se trouvait un guichet rempli d'une montagne de livres qui faisait qu'on ne voyait même pas si un guichetier se trouvait ou non à l'intérieur. Je regardais rapidement les titres : ils traitaient presque exclusivement d'Histoire et de mythologie. Ne voyant pas son archiviste, Octave regarda un peu partout. Il était tout aussi perplexe que moi. A voix basse mais néanmoins audible, il osa poser cette question.
- Rubens, tu es là ?
Chapitre XX - La Brigade Noire
Spoiler
9 Avril - 4 AM
Narrateur : Inconnu
Narrateur : Inconnu
De Jadielle à Argenta, il n'y a qu'un chemin. Ce chemin, c'est la Forêt de Jade. Un chemin dangereux, voilà comment le qualifient depuis des générations les voyageurs de tout bord qui passent par ici. La Forêt de Jade, c'est un véritable labyrinthe dans lequel l'ampleur de la végétation rend difficile toute orientation . C'est aussi le repaire de nombreux pokémons sauvages si affectueux avec leurs visiteurs qu'ils ne se privent pas de les piquer au vif, au sens propre comme au figuré. Oui, la Forêt de Jade c'est tout cela à la fois. Ou plus exactement, ça l'était à une époque reculée. Comment ? La plus grande forêt de Kanto, voire même du continent, a changé ? Et bien oui, la Forêt de Jade a changé. J'ai pu, nous avons pu nous en rendre compte en la traversant. Je m'imaginais une forêt gigantesque et menaçante, je n'ai vu qu'un petit bois étriqué où il serait bien difficile de se perdre. Je m'attendais à une forêt d'arbres, j'ai vu une forêt d'arbres. Effectivement, à ceci près que c'était une forêt d'arbres coupés. Cette forêt d'arbres coupés, on ne pouvait y échapper : à l'entrée comme à la sortie de la forêt, il fallait faire une marche de plusieurs kilomètres dans ce décor lunaire. C'était surréel, un peu comme si on avait tondu un gigantesque wattouat. En parcourant ce panorama sinistre, j'avais eu deux réactions successives. La première était un sentiment de terreur, qui me glaçait le sang : que s'était-il passé ici ? Cette forêt, jadis orgueilleuse, était décapitée. La seconde était une question plus rationnelle, mais non dénuée de colère : pourquoi ?
La réponse, pourtant, me faisait face avec arrogance. C'était comme si elle me lançait un défi. Cette réponse, c'était Argenta. Argenta, la ville accrochée sur les flancs du Mont Sélénite, avait elle aussi beaucoup changé. Mais ce changement était différent de celui de l'auguste forêt que nous traversions : loin de régresser, la cité s'était industrialisée et la fumée noire que crachait, constamment, les cheminées des usines de charbon situées sur les hauteurs en constituait la preuve la plus éclatante. Les ressources, sans cesse plus nombreuses, que nécessitait le fonctionnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre des usines expliquait la déforestation qui avait fait ses ravages ici. Le contraste était saisissant, et me faisait prendre conscience encore plus nettement de l'impérieuse nécessité de suivre Octave. L'Homme avait décidément un grain. Paradoxalement pourtant, ce génocide de la nature avait facilité notre arrivée à Argenta. En seulement trois jours, nous étions arrivés à l'entrée de la grande fumeuse de Kanto.
Nous marchions dans la rue principale de la ville. Elle était très longue, et menait tout droit vers les usines de charbon, hissées à des altitudes diverses sur le Mont Sélénite. En revanche, dire que cette avenue était belle tenait plus du mensonge qu'autre chose. Les retombées de particules de charbon sur la ville, contrecoup direct de l'activité industrielle, avaient noirci le sol pavé à un point tel qu'on aurait dit qu'une neige d'ébène recouvrait le plancher des vastes. La population n'était pas plus reluisante. Les trois quarts des badauds avaient pour tout vêtement des guenilles trouées, tandis que le quart restant mendiait et volait avec la complicité de rattata kleptomanes. La santé de tous était misérable : ils toussaient, éternuaient, crachaient. Les rares à avoir la chance de posséder des mouchoirs s'en servaient comme de masques à gaz, les autres faisaient sans et aggravaient l'insalubrité ambiante en éternuant sur leurs voisins. Incommodé par cette avenue où les damnés de la terre allaient et venaient, j'osa m'adresser à Octave pour la première fois depuis notre départ de Jadielle
- C'est atroce ici. On est censés aller où ?
Octave ne dit mot pendant cinq cent mètres. Puis, il finit par sortir de son splendide isolement pour me répondre.
- Tout droit. Mais nous allons prendre les petites rues.
Tout droit, c'était le Mont Sélénite. C'était tout proche, Argenta était une ville peu étendue sur l'axe nord-sud. Elle épousait les flancs de la montagne plutôt que d'être bâtie sur elle. Et pourtant, Octave voulait faire un détour par les petites rues. Je me mis donc à regarder ce qu'il entendait par petites rues. Je regardais à gauche : il y avait effectivement de petites venelles sinistres. Je regardais à droite : c'était rigoureusement la même chose. L'avenue n'était certes pas très avenante avec ses particules de charbon qui encombrent les bronches et ses ouvriers en guenilles, mais au moins l'itinéraire était clairement balisé. Là, c'était un saut vers l'inconnu. Qui aurait envie de se perdre dans un labyrinthe urbain dans une telle ville ? Je n'étais vraiment pas convaincu : je fis donc part de mes doutes au Destogoride.
- Les petites rues ? Mais...tu as vu la gueule qu'elles tirent ? Si on va par-là, non seulement on va perdre du temps, mais en plus on risque de se perdre.
Cette fois, Octave répondit plus rapidement. Il n'attendit pas cinq cents mètres pour me répondre.
- Se perdre, c'est précisément ce que je veux qu'on fasse. Regarde derrière toi.
J'obéis. Des quatre coins d'Argenta, des hommes tout de noir vêtu avaient jailli. Musclés, balafrés et au regard menaçant, ils l'étaient tous. Tous, ils marchaient en cadence vers nous dans une régularité implacable. Un d'entre eux attira mon attention. Non pas qu'il était moins patibulaire que ses collègues : il l'était d'ailleurs encore plus. Mais il avait la particularité d'avoir un visage horriblement mutilé à cause d'une cicatrice profonde qui traversait en diagonale son visage, de l'œil droit jusqu'à la bouche. En plus de cela, des anneaux lourds étaient solidement accrochés sur ses deux bras puissants, donnant le sentiment d'une puissance physique incommensurable à chacun de ses mouvements. Il me faisait peur, et j'avais bien raison de le craindre.
Croisant mon regard, le groupe d'hommes en noir se mit à accélérer soudainement. Octave m'agrippa par le bras et se mit à courir tout aussi soudainement, me forçant à le suivre. Il prit la première venelle sur la gauche. Comme toutes les autres venelles d'Argenta, elle était très mal éclairée et sentait très mauvais. Le groupe d'hommes s'engouffra ensuite à son tour dans l'étroit chemin. La course dans le dédale de rues de la cité s'engagea alors. Dans une intersection, Octave prit le chemin de droite. Le groupe nous suivait de près : on entendait le bruit de leurs pas déchirer le silence du quartier, qui contrastait d'ailleurs nettement avec l'avenue principale que nous venions de quitter. Dans deux autres intersections, Octave prit deux fois de suite la voie de gauche. Il devait espérer perdre nos poursuivants dans ce véritable labyrinthe que j'avais pressenti à peine quelques minutes plus tôt. La conclusion de tout cela est que nous finîmes par retrouver l'avenue. Octave ne s'arrêta pas pour autant : les hommes en noir étaient toujours là. Bousculant les badauds, il décida donc de replonger dans les bas-fonds de la métropole, mais cette fois de l'autre côté. La course reprit alors de plus belle. Une intersection, deux intersections, trois intersections : cela aurait pu durer une éternité. Mais les brutes ne semblaient pas ne serait-ce que commencer à fatiguer.
Mais le pire était encore à venir : face à nous, un cul-de-sac. Un mur de tôle nous faisait en effet face, mettant un terme définitif à notre avancée. Octave stoppa net, me lâcha et laissa échapper une grossièreté.
- Merde !
Il se retourna alors, et moi à sa suite. Les hommes en noir étaient à présent devant nous, et le mur derrière. Nous étions faits comme des rats, ils le savaient et en jubilaient. Les voyant s'approcher, galegon criait pour espérer les intimider. C'était certainement la dernière initiative d'une situation désespérée. Terrifié par ces mines peu pacifiques, j'osa néanmoins poser une question à Octave.
- Qui sont ces hommes ?
Avec une mine défaite mais néanmoins loin d'être soumise, il me répondit tout en regardant l'homme aux anneaux s'avancer vers nous.
- C'est la Brigade Noire...La Milice du Consortium.
Arrivé devant nous, il s'arrêta brutalement. Qu'allait-il nous faire ? D'abord, il se contenta de nous regarder avec sévérité. Puis, avec une violence mais aussi une puissance qui nous surprit tous les deux, il nous prit par le cou avec ses deux bras et nous souleva sans le moindre effort. C'est alors, et alors seulement, qu'il se mit à parler.
- Et bien, qu'avons-nous là ? Deux imprudents qui font du tourisme chez moi. Que venez-vous faire à Argenta ? J'aime pas les nouveaux venus, et j'aime encore moins courir avant le déjeuner, alors je vous préviens : vous avez intérêt à filer doux.
Nous étions en train d'étouffer, et c'est un interrogatoire en règle qu'il nous faisait subir. Aucun de nous deux ne dit mot, d'abord parce que nous en étions incapable et aussi parce que nous ne voulions absolument pas nous trahir. Mais malheureusement, il faut croire que notre mutisme ne satisfaisait pas le bourreau qui nous étranglait. Il se remit à parler, ou plus exactement à hurler.
- J'attends : que venez-vous faire à Argenta ?
Audacieusement, Octave parvint à donner à l'homme une explication. Enfin, parler d'explication était excessif : c'était plutôt un mot d'esprit. Il n'était pas suicidaire non plus.
- Euh, voyez-vous on est vos plus grands fans alors on voulait un autographe de vous.
Il n'apprécia pas. C'était prévisible. Avec une force inouïe et à trois reprises, il nous cogna sur le mur. Je saignais. Octave saignait aussi. Je souffrais. Octave aussi, mais contrairement à moi il ne le montrait pas. Cet homme ne connaissait pas la pitié. Néanmoins, cette brute avait négligé quelque chose : galegon. Me voyant souffrir, le tank sur pattes entra en effet dans une rage folle et non seulement mordit les mollets de la brute épaisse, mais en plus lui sauta dessus. L'homme, surpris, s'écroula par terre avec cent vingt kilos sur lui. Il hurlait.
- Ah, sale bête. Je vais te buter et te faire fondre dans les usines, pourriture !
L'homme et le pokémon se battirent pendant cinq bonnes minutes. Hélas pour nous, un des hommes en noir sortit alors une pokéball en métal de laquelle jaillit un Mackogneur. Le colosse n'eut bien sûr aucun mal à soulever galegon. Mais, avec de la suite dans les idées, il le projeta de manière à ce que le pokémon acier s'encastre dans le mur, qui s'écroula aussitôt. Dans ce déluge de violence, moi et Octave manquâmes de peu la mort : le pokémon armurfer m'effleura en effet d'un cheveu lorsqu'il se transforma en boulet de canon de calibre 90 millimètres.
Après s'être remis de ses émotions et tandis que l'homme aux anneaux se relevait péniblement avec plein de courbatures, Octave eut encore un bon mot. D'ailleurs, j'ignore encore comment il pouvait trouver le temps de faire de l'humour dans des situations pareilles.
- C'est ce qui s'appelle un départ en fanfare.
La masse de muscles était debout. Et elle était en colère.
- Je vais vous faire passer l'envie de vous foutre de ma gueule, les deux gugusses. Sardonis ne m'a pas nommé ici pour que je me fasse ridiculiser par les premiers abrutis venus. Puisque vous ne voulez pas me répondre, on va accélérer la procédure. Ecoutez-moi bien, tous les deux ! Nos espions à Jadielle m'ont rapporté que deux individus avaient l'air de fouiner un peu trop dans des affaires qui ne les regardent pas. Et comme vous êtes les premiers à venir de là-bas depuis ce rapport, ça doit être de vous qu'il s'agit. Par conséquent, vous êtes des suspects. Et la politique de la maison, c'est que tout suspect est un coupable qui s'ignore. Donc, vous allez crever.
Octave souriait. La sérénité qu'il affichait à chaque instant était vraiment perturbante, même pour moi qui était avec lui. Il répondit avec une ironie mordante à l'homme de la Brigade Noire.
- Quelle argumentation imparable ma parole ! Résumons donc : on est un peu trop curieux, donc il faut nous tuer. Mon petit doigt me dit que t'a dû sécher l'école un bon nombre de fois quand t'étais môme pour tenir un raisonnement pareil, mec. Mais dis-moi : pourquoi donc la curiosité est-elle condamnée à mort, homme à l'intellect peu commun ?
La réponse de la brute fut aussi brève que claire.
- Secret Défense, connard !
Immédiatement après, Octave répondit à son tour.
- Réponse typique de petite frappe qui n'a aucune idée des enjeux qui ont cours au-delà de sa pitoyable existence. Mais je compatis : ça doit être dur d'être considéré du matin au soir comme un débile congénital tout juste bon à effectuer les basses besognes de Sardonis. Le truc que tu n'as pas l'air de comprendre, c'est que par ta connerie et celle de tes sbires, tu as détruit le mur derrière nous.
Pas très fin, le colosse se contenta de dire un seul mot qui résumait bien au fond ce qu'il était.
- Et ?
Octave finit ainsi, imperturbable.
- Et nous allons prendre congé. Adieu, passe le bonjour de la part de Sardonis et dis-lui ceci : il ne pourra jamais m'anéantir, pour la simple raison qu'il n'est qu'un esclave.
C'est ce moment-là que choisit Octave pour me prendre à nouveau par la main. Aussitôt après, nous traversâmes le mur détruit avant de nous mettre à courir. Mais cette fois, nous allions réussir à les vaincre. J'avais en effet une idée : utiliser galegon pour les arrêter définitivement. Depuis que le mackogneur d'un des sbires du chef de la Brigade Noire l'avait projeté de l'autre côté du mur, il nous attendait en effet à l'autre bout de la rue. En un regard, il comprit ce que je voulais qu'il fasse. Tout d'abord, il attendit que nous soyons passés derrière lui, c'est-à-dire que nous ayons pris une des deux intersections qui se trouvaient à l'extrémité de la voie : soit à gauche, soit à droite. Octave choisit de prendre le chemin de droite. Puis, et c'est là que se trouvait le coup de génie, alors que la troupe de la Bridage Noire fonçait à pleine vitesse vers nous, galegon se plaça au centre de la venelle de manière à bloquer le chemin. Or, avec quatre-vingt-dix centimètres, le pokémon était suffisamment gros pour bloquer complètement le chemin. Le dispositif était prêt : il suffisait à présent à mon char vivant de se mettre à charger nos poursuivants, la tête de manière à effectuer un coup de bélier ravageur.
Le résultat fut sanglant et d'une horreur telle qu'il vaut mieux passer le détail des évènements sous silence. Tout ce qu'il faut retenir de cette attaque c'est cela : un triomphe total. Tous les miliciens étaient soient morts, soit si grièvement blessés qu'ils étaient mis hors course. La justice immanente était rendue, et l'acier le plus pur l'avait accomplie. Ces assassins étaient morts par là où ils avaient péché. Sa besogne faite, galegon nous rejoignit ensuite rapidement en se fiant à son odorat et aux traces de pas que nous avions laissées. Arrivé juste derrière nous, il se mit à crier pour nous avertir de sa présence. Octave s'arrêta et, en voyant l'état du crâne de Skuld, se mit à éclater de rire. Moi au contraire, j'étais assez choqué il faut bien le dire. Sa tête, et plus largement son corps, était immaculée de sang. Le Destogoride trouvait ça amusant. Si amusant d'ailleurs, que cela lui inspira un nouveau mot d'esprit.
- Il faut croire que ton pokémon aime le vin rouge.
Quel humour grinçant ! Tout en répondant à ce cynique infatigable, je lui adressa un regard réprobateur tout en faisant semblant de trouver ce qu'il faisait de dire drôle.
- Très drôle, Octave.
Mais si l'Octave que je connaissais était un comique, et cela je le savais déjà depuis maintenant plus d'un an, il savait aussi redevenir sérieux très rapidement. Après tout, il doit falloir ces deux dimensions pour survivre dans ce monde de fou. Trop de sérieux conduit à la dépréssion. Mais pas assez de sérieux mène au contraire à la mort. Il regardait au loin avec ses yeux bleus comme le cristal : le Mont Sélénite nous attendait, au loin. Tout en ayant sorti un vieux chiffon de ma poche pour débarbouiller Skuld de tout ce sang, j'avais remarqué ce regard. Il semblait ailleurs, l'esprit plongé dans des réflexions si érudites que seul le vieux Xatu aurait pu les sonder. Maintenant que nos relations s'étaient détendues, renforcées par l'épreuve que nous venions de vivre ensemble, j'engageai le dialogue plus facilement.
- Tu ne veux toujours pas me dire où est-ce qu'on va et ce que tu attends de moi ?
Adossé sur une des parois de la venelle, il cessa de fixer le Mont Sélénite pour tourner son regard vers moi et me répondre. J'avais enfin réussi à attirer l'attention de cet homme bien mystérieux.
- N'aie crainte, tu sauras tout très bientôt. Mais puisque la Brigade Noire ne va plus nous importuner maintenant, je peux bien commencer ici. Nous allons au cœur du Mont Sélénite : là-bas, se trouve ma Bibliothèque. Voit-tu, le Consortium a peut-être brûlé tout le savoir amassé au cours des siècles par les Destogorides lors de cet assaut funeste dont je t'ai parlé la dernière fois, pendant des années j'ai pris le soin de rassembler les copies de tout le savoir du monde dans un endroit secret. Cet endroit, retiré du monde et par conséquent protégé de ses tourments, c'est là que nous allons.
Intrigué par cette nouvelle, je lui répondis ensuite.
- Je vois...Et tu penses que le savoir qui se cache là-bas nous aidera à trouver des réponses ? Car j'ai encore en mémoire ce que m'a dit Rudolph Estenia : « La Lune Blanche parviendra certainement à affaiblir la Lune Noire, mais pas à empêcher le destin de s'accomplir ». Tu crois qu'il existe une autre solution pour contrecarrer les plans du Consortium ?
En entendant ces mots, Octave sourit. Puis, il répondit à son tour.
- Rudolph Estenia...Voit-tu, ce bon vieux Professeur a à la fois tord et raison. Il a raison dans l'état du monde d'aujourd'hui. Mais il a tort dans l'état du monde d'hier. La vérité, c'est que pour Rudolph Estenia comme pour beaucoup d'autres choses, tu apprendras bien vite que tout n'est jamais tout blanc ou tout noir. Le monde est gris, et surtout il est changeant. Mais ne te pose pas trop de questions pour l'instant : je te dirais tout ce que tu dois savoir dans la Bibliothèque.
Voilà qui était étrange : plus il répondait à mes questions, plus le mystère s'épaississait. Mais, comme il me l'avait demandé, j'essaya de chasser toutes ces questions qui m'assaillaient de ma tête. Les heures passèrent donc, à ne rien faire de spécial. Nous reprenions des forces, et en particulier mon pokémon qui avait besoin de repos pour réparer les fractures accumulées dans son blindage au cours de ces deux combats qu'il avait mené dans la journée. La nuit commençait à tomber. Je venais juste de terminer le nettoyage de mon pokémon de tout ce sang qu'il avait sur lui. C'est ce moment que choisit Octave pour reprendre la route. Il me dit simplement, sobrement mais fermement ces quelques mots.
- Solaroc va bientôt remplacer Seleroc. C'est le moment d'y aller. Dépêchons-nous, Rubens déteste attendre.
Et quand on dit reprendre la route, Octave ne la reprenait pas à moitié : c'était au pas de course. J'avais du mal à le suivre, mais je parvins au bout d'un moment à m'habituer à son rythme et à réagir sur ce qu'il venait de dire.
- Tu as parlé de Rubens...C'est qui ?
Le Destogoride répondit légèrement. A vrai dire, à chaque pas qui nous rapprochait du Mont Sélénite il semblait plus détendu et avenant.
- Mon peintre. Je plaisante. C'est le nom que j'ai donné à mon archiviste, qui est aussi mon unique pokémon. Tu verras : comme tous les bibliothécaires il est un peu sec mais quand on lui demande quelque chose, il le fait avec zèle.
C'est tout ce qu'il me dit jusqu'à notre arrivée jusqu'à cette fameuse bibliothèque secrète. Pour y accéder, nous commençâmes tout d'abord par rejoindre l'avenue par laquelle nous étions arrivé en entrant à Argenta. Puis, il fallait gravir les contreforts du Mont Sélénite. Le dénivelé était important, mais notre motivation commune était trop forte pour qu'une simple montagne, fut-elle habitée par des mélofée, ne nous fasse reculer. Sur le chemin, galegon nous obligea à faire une petite halte près des usines charbonnières. Pour faire quoi, on pourrait se demander ? Mais pour manger bien sûr ! Le pokémon avait des besoins tels que pour sa croissance il devait manger des kilos entiers de fer par jour. Les fondations des usines, voilà qui semblait l'intéresser au plus haut point. Après notre départ, un détail doit toutefois être noté : il semblerait que toutes les usines d'Argenta se soit subitement écroulées. Mais qui cela peut bien intéresser après tout ? Ah oui effectivement, les ouvriers et les capitaines d'industrie. J'avais oublié ce détail.
Toujours est-il qu'après plusieurs heures de randonnée à travers la montagne, et plusieurs autres à se perdre et se reperdre dans les grottes labyrinthiques du Mont Sélénite, Octave me demanda de m'arrêter.
- Stop ! Nous sommes arrivés.
Je regardais partout autour de moi : il n'y avait que des murs de pierre peuplés quasiment exclusivement de nosferapti. Quant au sol, les cailloux se confondaient aisément avec les racaillou. Bref, il n'y avait rien ici de surprenant pour une grotte de la région de Kanto. Dans un mélange d'incompréhension et de fatigue, j'exprima mon scepticisme à Octave. Il en rit, avant de me répondre factuellement.
- Mais la Bibliothèque se trouve dans nul autre endroit qu'ici. Elle est en face de toi, le temps de donner le mot de passe à Rubens.
Le Destogoride recula, tout en me faisant reculer par la même occasion. Puis, il remplit ses poumons avec de l'air pour pouvoir annoncer clairement à voix haute le fameux mot de passe.
- J'aime la peinture hollandaise, surtout quand elle travaille avec Alexandrie !
A cet instant, le mur en face de nous se fractionna avant que les deux parties de ce qui était en fait une sorte de portail en pierre ne se séparent vers le haut et vers le bas dans un fracas qui faisait résonner un écho puissant dans toute la grotte. Lorsque le silence revint dans le Mont Sélénite, une bibliothèque immense nous attendait. On en voyait même pas le fond. Octave entra à l'intérieur, et moi à sa suite. Le portail se ferma ensuite immédiatement. En voyant un tel camouflage, pas étonnant du coup que personne n'ait jamais trouvé cette bibliothèque. A gauche comme à droite, des étagères géantes étaient remplies de livres. Le gigantisme ambiant semblait presque menaçant, à tel point que je me sentais tout petit face à tant de savoir. Au centre enfin, se trouvait un guichet rempli d'une montagne de livres qui faisait qu'on ne voyait même pas si un guichetier se trouvait ou non à l'intérieur. Je regardais rapidement les titres : ils traitaient presque exclusivement d'Histoire et de mythologie. Ne voyant pas son archiviste, Octave regarda un peu partout. Il était tout aussi perplexe que moi. A voix basse mais néanmoins audible, il osa poser cette question.
- Rubens, tu es là ?
Tyranocif Rex
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23 janvier 2013, 00:38
La question d'Octave n'eut aucune réponse. La Bibliothèque restait résolument silencieuse. Octave s'impatientait. Il posa une seconde fois sa question, un peu plus fort. C'est à ce moment-là que, brusquement et sans crier gare, un cri jaillit qui semblait venir de la rangée de livres se trouvant à notre gauche.
- Silence ! J'arrive.
La voix, très sèche et chevrotante, c'était celle d'un queulorior chargé de livres qui venait à notre rencontre. Sa longue queue enduite d'une peinture verte s'agitait dans tous les sens, signe qui trahissait une nervosité impossible à cacher. Il se déplaçait si silencieusement qu'il avait complètement passé inaperçu. Son regard était tout aussi sévère que sa voix. Pas de doute possible : ça ne pouvait être que Rubens. Arrivé au niveau du guichet, le pokémon posa ses livres sur une des piles de livres avant de se retourner vers Octave et lui parler.
- Ah bah ce n'est pas trop tôt, Octave ! J'ai failli attendre. Bon : comme tu me l'avais demandé, je t'ai mis de côté les livres que tu m'avais demandé de chercher.
Il se tourna ensuite vers moi un instant, avant de revenir vers son maître. Le pokémon continua ensuite, en parlant de moi en des termes qui m'énervaient quelque peu.
- Alors c'est lui le Prophète ? Ce gringalet n'a pas l'air très fin.
Je m'apprêtais à rabattre le caquet de ce pokémon arrogant, mais Octave coupa court à la dispute naissante en mettant son bras entre moi et le pokémon. Il demanda ensuite au bibliothécaire ronchon de prendre congé de nous.
- Bien Rubens, je te remercie. Je ne doute pas un instant qu'une grande amitié va naître entre vous, mais tu dois avoir du travail. Nous ne te retenons pas plus longuement.
Discipliné, le pokémon d'Octave retourna aussitôt à ses occupations tout en grommelant. Après s'être assuré que son compagnon avait définitivement disparu dans la jungle d'étagères qui constituait l'essentiel de la bibliothèque, le Destogoride prit quelques -uns des livres disposés sur le guichet. Une fois fait, il me demanda de le suivre. Nous nous engouffrâmes dans le dédale d'étagères à notre tour. Tout en collant de près mon guide de peur de me perdre, je contemplais tous ces livres. Certains avaient l'air particulièrement ancien si j'en croyais la poussière qui s'était amassée sur leurs reliures. Tant de savoir était réuni ici. Combien de ces ouvrages étaient restés inconnus du reste du monde pendant des siècles ? Au bout d'un moment, probablement un quart d'heure, nous arrivâmes dans une sorte de clairière dans cette jungle de livres. Les étagères avaient en effet cédé la place à une très grande table circulaire, autour de laquelle un nombre considérable de chaises étaient disposées. Cela devait être la salle de lecture de la bibliothèque. C'est là qu'Octave décida de s'arrêter. Il posa ses livres sur la table, s'assit et m'invita à faire de même. Je m'assis donc à sa droite. L'érudit prit ensuite la parole, tandis que je l'écoutais pieusement.
- Comme je te l'ai dit à Argenta, mon rêve a toujours été de réunir en un lieu unique tout le savoir du monde. Ici, nulle question ne reste sans réponse. Si je t'ai amené jusqu'ici, c'est pour que tu comprennes quel est l'état réel du monde et ce que tu dois faire pour lutter efficacement contre le Consortium. Je sais que depuis que tu m'as quitté l'année dernière, durant ces évènements funestes que tu connais, de l'eau a dû couler sous les ponts. C'est pourquoi, avant de faire quoi que ce soit il faut que tous tes doutes se soient dissipés.
Le premier doute à dissiper, c'est l'idée selon laquelle quoi que nous fassions nos adversaires seront toujours plus puissants que nous. C'est l'argument de Rudolph Estenia. J'ignore dans quelles circonstances il t'a dit cela. Mais si j'en crois mon expérience, je soupçonne qu'il voulait le faire pour que la passivité te transforme en un de ses pantins. Il a toujours agi ainsi. Même quand j'étudiais avec lui les sciences, il y a bien longtemps, il s'amusait toujours à manipuler les gens pour retourner toute situation à son avantage.
En écoutant mon mentor faire le constat froid de ce que j'avais enduré dans le laboratoire de ce scientifique il n'y a pas si longtemps que ça, la colère montait en moi. Ce savant fou m'aurait manipulé pour anéantir toute velléité de résistance en moi ? Non, ça ne pouvait pas être possible pourtant : son argumentaire semblait cohérent et logique. Comment la Lune Blanche pouvait-elle anéantir Kyurem, alors que ce pokémon a la capacité de détruire à l'aide de son souffle glacial toute forme de vie en un instant ? Le rapport de force était trop déséquilibré pour que le succès devienne ne serait-ce que plausible. Les réponses que m'apporta par la suite Octave détruisirent ce dogme que j'avais étrangement intégré comme une certitude avec une simplicité déconcertante.
- Je t'ai déjà dit que Rudolph Estenia a à la fois tort et raison car il se base sur un paradigme du monde qui n'est pas celui qui doit normalement avoir cours. Regarde cette gravure, qui a été trouvée aux Colonnes Lances il y a des siècles. Tu peux voir que le Xort'Majora, c'est-à-dire Kyurem, se trouve en dehors du Panthéon. Il se terre loin, très loin dans les profondeurs de la terre dans un sommeil éternel. Au même titre que Giratina, il a subi un bannissement. Mais contrairement à Giratina qui n'a été qu'exilé dans une autre dimension pour être parvenu à contrôler son pouvoir au prix d'une scission avec Darkrai, Kyurem n'a pas d'âme. Il n'a pas d'âme, car Kyurem est le premier des fils d'Arceus. Il a été conçu avant même le Trio Originel qui a insufflé l'âme aux pokémons, véritable concentré de la vérité, de la volonté et du courage. C'est donc un dieu archaïque, à opposer aux dieux classiques que tu connais bien. Sans âme, il ne sait se contrôler. Kyurem n'est par conséquent qu'une arme de destruction vouée soit au sommeil, soit à l'accomplissement de ce pourquoi il a été créé : détruire la vie. On peut le comparer à un feu qui ne meurt que lorsqu'il n'a plus rien à brûler.
J'en arrive maintenant au point le plus important de mon explication : quel est le rapport avec la thèse de Rudolph Estenia, me demanderas-tu ? Et bien, pour te répondre pour de bon laisse-moi te raconter une petite histoire. Jadis, il y a très longtemps, la puissance et la violence grandit tellement qu'il mettait en péril le pouvoir d'Arceus sur le cosmos. Le Dieu Primordial voulut donc s'en débarrasser. Au terme d'un combat apocalyptique qui menaça de détruire le monde, Kyurem fut vaincu et banni au centre de la terre. Or, aujourd'hui la Lune Noire est devenue si puissante qu'elle est parvenue très récemment à exiler Arceus et les Douze dans le Monde Distorsion. Tu comprends maintenant à quel point le raisonnement de Rudolph Estenia ne tient pas debout ?
Tout devenait subitement clair comme de l'eau de roche. Je me rendais aussi compte à quel point Octave était quelqu'un d'exceptionnel. De la chance, j'en avais certainement d'être à ses côtés. Nos adversaires, en revanche, n'en avaient aucune face à quelqu'un de si érudit. Les brumes se dissipaient dans mon esprit, laissant enfin de la place à l'espoir et l'enthousiasme. Spontanément, je répondis au brillant exposé d'Octave.
- Tu veux dire qu'Arceus et les Douze sont capables de vaincre Kyurem ? Mais alors, rien n'est perdu !
Octave souriait. Il était ravi de la mine que j'affichais à présent. L'homme de lettres semblait visiblement préférer ce genre de questions annonciatrices d'actions au doute que j'affichais encore quelques minutes plus tôt. Il répondit donc bien volontiers.
- En effet. J'imagine que tu vois mieux du coup ce qu'il faut faire pour contrecarrer les plans funestes de la Lune Noire. L'objectif est simple à comprendre, plus difficile à réaliser : il faut libérer les Douze ainsi qu'Arceus des griffes de la Lune Noire. Mais pour accéder au monde Distorsion, il faut normalement demander l'aide combinée des dieux du Temps et de l'Espace, Dialga et Palkia. Mais c'est impossible dans la situation actuelle, car eux comme tous les autres croupissent là-bas, privés de leurs pouvoirs.
Une idée venait soudain de me traverser l'esprit. J'interrompis donc Octave pour la lui soumettre.
- J'ai une idée ! Tu sais, peu après que je t'ai quitté à Néo-Mauville, Giratina m'a emmené dans le monde Distorsion pour me parler. Il m'a ensuite ramené dans notre monde sans la moindre difficulté. Tu ne penses pas que nous pourrions faire appel à lui pour atteindre notre objectif ?
L'idée semblait ingénieuse : si Giratina pouvait faire entrer et sortir du monde Distorsion qui il voulait, s'en servir comme d'un cheval de Troie ne me semblait pas si utopique. Mais la réponse du Destogoride coupa court à cette possibilité.
- Si c'était si facile, j'aurais déjà essayé. Mais il s'avère que le monde Distorsion n'est pas une simple porte d'immeuble dans laquelle on peut entrer en demandant simplement au concierge de nous ouvrir. C'est une forteresse dont les portes ne s'ouvrent que très rarement vers le monde des mortels. Si Giratina a pris le risque de te transporter dans ce monde dangereux, c'est qu'il devait avoir une bonne raison pour le faire. Surtout, cela devait être avant la chute d'Arceus. Maintenant, il doit au mieux être sous l'étroite surveillance des sbires de la Lune Noire et au pire peut-être a-t-il déjà rejoint Arceus et ses pairs dans cette prison dimensionnelle. Dans les deux cas de figure, nous ne pouvons pas compter sur son aide. Il va falloir y aller par nos propres moyens.
Mon enthousiasme était retombé. Tout en faisant la moue en signe d'abattement, je repris la parole.
- Mais comment veux-tu ouvrir un passage vers une dimension que seules certaines entités peuvent ouvrir, alors que les entités en question sont entre les mains de la Lune Noire ? C'est comme vouloir ouvrir une porte blindée sans mot de passe !
Malgré l'absence apparente de solution, Octave restait serein. Il feuilletait un des livres qu'il avait posé sur la table. Après quelques minutes de recherche, il finit par tomber sur quelque chose qui l'intriguait. Cela ressemblait à une carte du monde sur laquelle des croix rouges étaient marquées au-dessous de symboles mystérieux. J'avais l'impression de reconnaître certaines régions : Johto, Kanto ou encore Sinnoh. Finalement, le visage du Destogoride s'illumina avant de se mettre à sourire. C'était bon signe. Il releva la tête, déplaça la carte vers ma direction de manière à ce que je puisse l'étudier de plus près avant de se remettre à parler en pointant du doigt différents endroits de la carte au cours de son explication.
- J'ai trouvé une solution. Ça va être très périlleux, mais c'est le seul moyen d'aller au monde Distorsion. Observe avec attention cette carte : elle a été dressée il y a longtemps par un explorateur anonyme. Voit-tu, pour que les Douze puissent intervenir sur le monde terrestre en cas de problème, ils ont fait ériger treize portails disséminés un peu partout dans le monde dans des temples qui regorgent de pièges en tout genre pour dissuader les simples mortels de rentrer en contact avec ces divinités. Treize portails pour treize Dieux : un par divinité. Ces portails agissent comme des vases communicants entre les dieux et le monde terrestre. Mais il y a autre chose : ces portails ne mènent pas simplement aux Colonnes Lances. Les textes anciens disent qu'ils mènent vers le lieu où se trouve physiquement le dieu auquel est rattaché le portail. En clair, cela veut dire que si nous localisons ces portails, ils nous mèneront directement à la prison dimensionnelle dans laquelle est enfermé chaque dieu.
Le cartographe a indiqué l'emplacement de chaque portail par une croix, ainsi que l'identité du dieu qui y est rattaché par un symbole. Voyons voir...Il semblerait que le portail le plus proche soit celui d'Electhor, dans les ruines de la Centrale. C'est au nord de Lavanville. L'autre portail qui se trouve à Kanto est celui d'Artikodin, dans les Iles Ecumes. Donc, tu préfères commencer par libérer qui ? Electhor ou Artikodin ?
Cette carte était fascinante. Mais en voyant l'emplacement supposé de ces portails, je pressentais que des dangers innombrables nous attendaient là-bas. J'en oubliais presque qu'Octave m'avait posé une question. Que choisir : Electhor, le dieu de la foudre que j'avais déjà rencontré par le passé ou Artikodin, le dieu des glaces éternelles ? Il fallait aussi choisir entre une Centrale désaffectée où le risque de mourir par électrocution en marchant sur un fil à haute tension dénudé était très élevé et une grotte labyrinthique où les tourbillons avaient déjà fait périr plus d'un aventurier par le passé. Dans mon choix, je me rappelais d'Electhor et de ce qu'il avait fait pour moi. Oui, je me souviens de ce jour où il avait tué en une décharge électrique tout un régiment de l'Armée du Consortium. Cette puissance phénoménale et cette lumière aveuglante m'avait sauvé la vie. Je sentais au plus profond de moi que j'avais le devoir de rendre la pareille à ce Dieu du Panthéon. C'est cette réponse que je donnai à Octave, qui répondit aussitôt.
- Tu préfères Electhor ? Je me range à ton choix. Je vais demander à Rubens de préparer deux sacs de survie pour faire face à toute éventualité durant notre voyage. Tu peux te reposer dans la chambre qui se trouve tout au fond de la bibliothèque. Ménagez-vous, toi et ton pokémon. Car ce que nous nous apprêtons à faire, il est très probable que beaucoup ont essayé de le faire par le passé...avec la mort au bout du chemin.
Au vu de sa conclusion, je n'étais guère rassuré. Qui le serait ? Là-bas, dans ce lieu de tous les périls qui nous donnait rendez-vous, il fallait s'attendre à tout sauf à une promenade de santé. Electhor, ton sauveur arrive !
Chapitre XXI - La Bibliothèque d'Octave
Spoiler
9 Avril - 4 AM
Narrateur : Inconnu
Narrateur : Inconnu
La question d'Octave n'eut aucune réponse. La Bibliothèque restait résolument silencieuse. Octave s'impatientait. Il posa une seconde fois sa question, un peu plus fort. C'est à ce moment-là que, brusquement et sans crier gare, un cri jaillit qui semblait venir de la rangée de livres se trouvant à notre gauche.
- Silence ! J'arrive.
La voix, très sèche et chevrotante, c'était celle d'un queulorior chargé de livres qui venait à notre rencontre. Sa longue queue enduite d'une peinture verte s'agitait dans tous les sens, signe qui trahissait une nervosité impossible à cacher. Il se déplaçait si silencieusement qu'il avait complètement passé inaperçu. Son regard était tout aussi sévère que sa voix. Pas de doute possible : ça ne pouvait être que Rubens. Arrivé au niveau du guichet, le pokémon posa ses livres sur une des piles de livres avant de se retourner vers Octave et lui parler.
- Ah bah ce n'est pas trop tôt, Octave ! J'ai failli attendre. Bon : comme tu me l'avais demandé, je t'ai mis de côté les livres que tu m'avais demandé de chercher.
Il se tourna ensuite vers moi un instant, avant de revenir vers son maître. Le pokémon continua ensuite, en parlant de moi en des termes qui m'énervaient quelque peu.
- Alors c'est lui le Prophète ? Ce gringalet n'a pas l'air très fin.
Je m'apprêtais à rabattre le caquet de ce pokémon arrogant, mais Octave coupa court à la dispute naissante en mettant son bras entre moi et le pokémon. Il demanda ensuite au bibliothécaire ronchon de prendre congé de nous.
- Bien Rubens, je te remercie. Je ne doute pas un instant qu'une grande amitié va naître entre vous, mais tu dois avoir du travail. Nous ne te retenons pas plus longuement.
Discipliné, le pokémon d'Octave retourna aussitôt à ses occupations tout en grommelant. Après s'être assuré que son compagnon avait définitivement disparu dans la jungle d'étagères qui constituait l'essentiel de la bibliothèque, le Destogoride prit quelques -uns des livres disposés sur le guichet. Une fois fait, il me demanda de le suivre. Nous nous engouffrâmes dans le dédale d'étagères à notre tour. Tout en collant de près mon guide de peur de me perdre, je contemplais tous ces livres. Certains avaient l'air particulièrement ancien si j'en croyais la poussière qui s'était amassée sur leurs reliures. Tant de savoir était réuni ici. Combien de ces ouvrages étaient restés inconnus du reste du monde pendant des siècles ? Au bout d'un moment, probablement un quart d'heure, nous arrivâmes dans une sorte de clairière dans cette jungle de livres. Les étagères avaient en effet cédé la place à une très grande table circulaire, autour de laquelle un nombre considérable de chaises étaient disposées. Cela devait être la salle de lecture de la bibliothèque. C'est là qu'Octave décida de s'arrêter. Il posa ses livres sur la table, s'assit et m'invita à faire de même. Je m'assis donc à sa droite. L'érudit prit ensuite la parole, tandis que je l'écoutais pieusement.
- Comme je te l'ai dit à Argenta, mon rêve a toujours été de réunir en un lieu unique tout le savoir du monde. Ici, nulle question ne reste sans réponse. Si je t'ai amené jusqu'ici, c'est pour que tu comprennes quel est l'état réel du monde et ce que tu dois faire pour lutter efficacement contre le Consortium. Je sais que depuis que tu m'as quitté l'année dernière, durant ces évènements funestes que tu connais, de l'eau a dû couler sous les ponts. C'est pourquoi, avant de faire quoi que ce soit il faut que tous tes doutes se soient dissipés.
Le premier doute à dissiper, c'est l'idée selon laquelle quoi que nous fassions nos adversaires seront toujours plus puissants que nous. C'est l'argument de Rudolph Estenia. J'ignore dans quelles circonstances il t'a dit cela. Mais si j'en crois mon expérience, je soupçonne qu'il voulait le faire pour que la passivité te transforme en un de ses pantins. Il a toujours agi ainsi. Même quand j'étudiais avec lui les sciences, il y a bien longtemps, il s'amusait toujours à manipuler les gens pour retourner toute situation à son avantage.
En écoutant mon mentor faire le constat froid de ce que j'avais enduré dans le laboratoire de ce scientifique il n'y a pas si longtemps que ça, la colère montait en moi. Ce savant fou m'aurait manipulé pour anéantir toute velléité de résistance en moi ? Non, ça ne pouvait pas être possible pourtant : son argumentaire semblait cohérent et logique. Comment la Lune Blanche pouvait-elle anéantir Kyurem, alors que ce pokémon a la capacité de détruire à l'aide de son souffle glacial toute forme de vie en un instant ? Le rapport de force était trop déséquilibré pour que le succès devienne ne serait-ce que plausible. Les réponses que m'apporta par la suite Octave détruisirent ce dogme que j'avais étrangement intégré comme une certitude avec une simplicité déconcertante.
- Je t'ai déjà dit que Rudolph Estenia a à la fois tort et raison car il se base sur un paradigme du monde qui n'est pas celui qui doit normalement avoir cours. Regarde cette gravure, qui a été trouvée aux Colonnes Lances il y a des siècles. Tu peux voir que le Xort'Majora, c'est-à-dire Kyurem, se trouve en dehors du Panthéon. Il se terre loin, très loin dans les profondeurs de la terre dans un sommeil éternel. Au même titre que Giratina, il a subi un bannissement. Mais contrairement à Giratina qui n'a été qu'exilé dans une autre dimension pour être parvenu à contrôler son pouvoir au prix d'une scission avec Darkrai, Kyurem n'a pas d'âme. Il n'a pas d'âme, car Kyurem est le premier des fils d'Arceus. Il a été conçu avant même le Trio Originel qui a insufflé l'âme aux pokémons, véritable concentré de la vérité, de la volonté et du courage. C'est donc un dieu archaïque, à opposer aux dieux classiques que tu connais bien. Sans âme, il ne sait se contrôler. Kyurem n'est par conséquent qu'une arme de destruction vouée soit au sommeil, soit à l'accomplissement de ce pourquoi il a été créé : détruire la vie. On peut le comparer à un feu qui ne meurt que lorsqu'il n'a plus rien à brûler.
J'en arrive maintenant au point le plus important de mon explication : quel est le rapport avec la thèse de Rudolph Estenia, me demanderas-tu ? Et bien, pour te répondre pour de bon laisse-moi te raconter une petite histoire. Jadis, il y a très longtemps, la puissance et la violence grandit tellement qu'il mettait en péril le pouvoir d'Arceus sur le cosmos. Le Dieu Primordial voulut donc s'en débarrasser. Au terme d'un combat apocalyptique qui menaça de détruire le monde, Kyurem fut vaincu et banni au centre de la terre. Or, aujourd'hui la Lune Noire est devenue si puissante qu'elle est parvenue très récemment à exiler Arceus et les Douze dans le Monde Distorsion. Tu comprends maintenant à quel point le raisonnement de Rudolph Estenia ne tient pas debout ?
Tout devenait subitement clair comme de l'eau de roche. Je me rendais aussi compte à quel point Octave était quelqu'un d'exceptionnel. De la chance, j'en avais certainement d'être à ses côtés. Nos adversaires, en revanche, n'en avaient aucune face à quelqu'un de si érudit. Les brumes se dissipaient dans mon esprit, laissant enfin de la place à l'espoir et l'enthousiasme. Spontanément, je répondis au brillant exposé d'Octave.
- Tu veux dire qu'Arceus et les Douze sont capables de vaincre Kyurem ? Mais alors, rien n'est perdu !
Octave souriait. Il était ravi de la mine que j'affichais à présent. L'homme de lettres semblait visiblement préférer ce genre de questions annonciatrices d'actions au doute que j'affichais encore quelques minutes plus tôt. Il répondit donc bien volontiers.
- En effet. J'imagine que tu vois mieux du coup ce qu'il faut faire pour contrecarrer les plans funestes de la Lune Noire. L'objectif est simple à comprendre, plus difficile à réaliser : il faut libérer les Douze ainsi qu'Arceus des griffes de la Lune Noire. Mais pour accéder au monde Distorsion, il faut normalement demander l'aide combinée des dieux du Temps et de l'Espace, Dialga et Palkia. Mais c'est impossible dans la situation actuelle, car eux comme tous les autres croupissent là-bas, privés de leurs pouvoirs.
Une idée venait soudain de me traverser l'esprit. J'interrompis donc Octave pour la lui soumettre.
- J'ai une idée ! Tu sais, peu après que je t'ai quitté à Néo-Mauville, Giratina m'a emmené dans le monde Distorsion pour me parler. Il m'a ensuite ramené dans notre monde sans la moindre difficulté. Tu ne penses pas que nous pourrions faire appel à lui pour atteindre notre objectif ?
L'idée semblait ingénieuse : si Giratina pouvait faire entrer et sortir du monde Distorsion qui il voulait, s'en servir comme d'un cheval de Troie ne me semblait pas si utopique. Mais la réponse du Destogoride coupa court à cette possibilité.
- Si c'était si facile, j'aurais déjà essayé. Mais il s'avère que le monde Distorsion n'est pas une simple porte d'immeuble dans laquelle on peut entrer en demandant simplement au concierge de nous ouvrir. C'est une forteresse dont les portes ne s'ouvrent que très rarement vers le monde des mortels. Si Giratina a pris le risque de te transporter dans ce monde dangereux, c'est qu'il devait avoir une bonne raison pour le faire. Surtout, cela devait être avant la chute d'Arceus. Maintenant, il doit au mieux être sous l'étroite surveillance des sbires de la Lune Noire et au pire peut-être a-t-il déjà rejoint Arceus et ses pairs dans cette prison dimensionnelle. Dans les deux cas de figure, nous ne pouvons pas compter sur son aide. Il va falloir y aller par nos propres moyens.
Mon enthousiasme était retombé. Tout en faisant la moue en signe d'abattement, je repris la parole.
- Mais comment veux-tu ouvrir un passage vers une dimension que seules certaines entités peuvent ouvrir, alors que les entités en question sont entre les mains de la Lune Noire ? C'est comme vouloir ouvrir une porte blindée sans mot de passe !
Malgré l'absence apparente de solution, Octave restait serein. Il feuilletait un des livres qu'il avait posé sur la table. Après quelques minutes de recherche, il finit par tomber sur quelque chose qui l'intriguait. Cela ressemblait à une carte du monde sur laquelle des croix rouges étaient marquées au-dessous de symboles mystérieux. J'avais l'impression de reconnaître certaines régions : Johto, Kanto ou encore Sinnoh. Finalement, le visage du Destogoride s'illumina avant de se mettre à sourire. C'était bon signe. Il releva la tête, déplaça la carte vers ma direction de manière à ce que je puisse l'étudier de plus près avant de se remettre à parler en pointant du doigt différents endroits de la carte au cours de son explication.
- J'ai trouvé une solution. Ça va être très périlleux, mais c'est le seul moyen d'aller au monde Distorsion. Observe avec attention cette carte : elle a été dressée il y a longtemps par un explorateur anonyme. Voit-tu, pour que les Douze puissent intervenir sur le monde terrestre en cas de problème, ils ont fait ériger treize portails disséminés un peu partout dans le monde dans des temples qui regorgent de pièges en tout genre pour dissuader les simples mortels de rentrer en contact avec ces divinités. Treize portails pour treize Dieux : un par divinité. Ces portails agissent comme des vases communicants entre les dieux et le monde terrestre. Mais il y a autre chose : ces portails ne mènent pas simplement aux Colonnes Lances. Les textes anciens disent qu'ils mènent vers le lieu où se trouve physiquement le dieu auquel est rattaché le portail. En clair, cela veut dire que si nous localisons ces portails, ils nous mèneront directement à la prison dimensionnelle dans laquelle est enfermé chaque dieu.
Le cartographe a indiqué l'emplacement de chaque portail par une croix, ainsi que l'identité du dieu qui y est rattaché par un symbole. Voyons voir...Il semblerait que le portail le plus proche soit celui d'Electhor, dans les ruines de la Centrale. C'est au nord de Lavanville. L'autre portail qui se trouve à Kanto est celui d'Artikodin, dans les Iles Ecumes. Donc, tu préfères commencer par libérer qui ? Electhor ou Artikodin ?
Cette carte était fascinante. Mais en voyant l'emplacement supposé de ces portails, je pressentais que des dangers innombrables nous attendaient là-bas. J'en oubliais presque qu'Octave m'avait posé une question. Que choisir : Electhor, le dieu de la foudre que j'avais déjà rencontré par le passé ou Artikodin, le dieu des glaces éternelles ? Il fallait aussi choisir entre une Centrale désaffectée où le risque de mourir par électrocution en marchant sur un fil à haute tension dénudé était très élevé et une grotte labyrinthique où les tourbillons avaient déjà fait périr plus d'un aventurier par le passé. Dans mon choix, je me rappelais d'Electhor et de ce qu'il avait fait pour moi. Oui, je me souviens de ce jour où il avait tué en une décharge électrique tout un régiment de l'Armée du Consortium. Cette puissance phénoménale et cette lumière aveuglante m'avait sauvé la vie. Je sentais au plus profond de moi que j'avais le devoir de rendre la pareille à ce Dieu du Panthéon. C'est cette réponse que je donnai à Octave, qui répondit aussitôt.
- Tu préfères Electhor ? Je me range à ton choix. Je vais demander à Rubens de préparer deux sacs de survie pour faire face à toute éventualité durant notre voyage. Tu peux te reposer dans la chambre qui se trouve tout au fond de la bibliothèque. Ménagez-vous, toi et ton pokémon. Car ce que nous nous apprêtons à faire, il est très probable que beaucoup ont essayé de le faire par le passé...avec la mort au bout du chemin.
Au vu de sa conclusion, je n'étais guère rassuré. Qui le serait ? Là-bas, dans ce lieu de tous les périls qui nous donnait rendez-vous, il fallait s'attendre à tout sauf à une promenade de santé. Electhor, ton sauveur arrive !
Tyranocif Rex
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23 janvier 2013, 00:41
Il était quatre heures vingt du matin. Une alarme stridente retentit et nous fit sortir en même temps de notre sommeil, mon pokémon et moi. La nuit avait été agitée. Ce n'était pas vraiment de quelconques soucis qui le perturbaient : sur ce plan là, j'avais de quoi être parfaitement serein. Non, la véritable cause de cette agitation était la chaleur. Là où je dormais, c'est-à-dire dans les dortoirs du Groupe Groudon, la chaleur était abominable. Je ne m'en étais pas rendu compte en arrivant dans cette partie du Quartier Général du Parti Concordien, mais le mercure était bien plus élevé qu'à la surface. Et la canicule, quasi permanente dans le désert d'Hoenn, n'arrangeait rien à l'affaire. Bref, non seulement j'avais très mal dormi mais en plus je devais me réveiller très tôt. Cinq minutes à peine après que l'alarme ait retenti, un homme à la voix aussi autoritaire que puissante me sortit définitivement de ma torpeur, comme la plupart de mes camarades de chambrée d'ailleurs.
- Debout là-dedans tas de feignants ! C'est l'heure. Départ à cinq heures.
Chamallot, lui aussi, se réveillait péniblement. La veille, je l'avais placé au pied du lit pour la nuit. En bon chameau, il s'était couché à la manière de ses pairs avec les quatre pattes recroquevillées sous le corps. L'alarme, et le cri qui le suivit, l'importunait tout autant que moi. Et comme moi, il avait adopté le comportement standard de tous les réveils matinaux : se boucher les oreilles à l'aide de ses deux pattes avant. Pourtant, il fallait bien se lever un jour. Quarante minutes plus tard, je me retrouvais avec les autres membres de ma section dans l'hélicoptère qui allait nous déposer au lieu de notre mission. En entrant à l'intérieur de l'exigu véhicule, je me demandais bien à quoi il pourrait bien nous servir. Il fallait tout de même ne pas oublier que nous nous trouvions sur un aérodrome situé à plusieurs kilomètres sous la surface. A moins qu'il soit capable de passer à travers les parois du sous-sol pierreux de la région, rester clouer semblait bien être la seule chose qu'il soit capable de faire. Mais une fois de plus, je restais trop dogmatique.
Je restais trop dogmatique, car un bruit d'engrenages se fit rapidement entendre au fur et à mesure que les hélices de l'hélicoptère se mettaient en marche. Au-dessus de nous, le plafond s'ouvrait en laissant apparaître un passage circulaire vers les hauteurs. C'était un plafond qui n'était qu'en apparence similaire aux autres parois rocheuses. On voyait bien qu'il était composé d'une couche superficielle de roche, qui cachait deux immenses plaques de métal qui s'ouvraient et se fermaient comme un portail. Une fois que le portail fut complètement ouvert, le véhicule sur lequel j'étais embarqué commença à prendre de l'altitude. La magie de la technique avait vaincu une fois de plus le scepticisme étroit d'années d'éducation où dépasser les certitudes était certes un luxe désuet, mais surtout un acte de sédition. Au fond, rejoindre le Parti Concordien avait été pour moi une certaine forme de thérapie.
Le gracieux appareil aérien commença donc son ascension, rythmé par le bruit tranchant de ses hélices. Cette ascension était d'abord lente. Puis, elle accéléra rapidement jusqu'à atteindre une vitesse de croisière tout à fait considérable. Nous nous engouffrions dans l'étroit puits creusé dans la roche que cachait auparavant ce portail camouflé. Au fur et à mesure de la montée, l'air commençait à se refroidir sérieusement sous l'effet de la vitesse. Ce n'était d'ailleurs pas pour me déplaire. Chamallot en revanche, allongé sur mes genoux, n'appréciait pas la baisse de température. Rien n'était plus normal pour un pokémon habitué à vivre sur les flancs des volcans et à toiser, débonnaire, les coulées de lave sans la moindre once de crainte dans le regard. A un moment pourtant, l'hélicoptère finit par ensuite sortir du sol. Brusquement, le panorama changea du tout au tout et les dunes dorées et illuminées par le soleil levant remplacèrent l'environnement claustrophobique dans lequel j'évoluais depuis maintenant plusieurs jours. C'était magnifique à voir. Au loin, le Mont Chimnée était impressionnant comme à son habitude. Mais il l'était encore plus lorsque le soleil des heures précoces ou tardives se mettait à l'illuminer dans des colorations inhabituelles.
Hélas, ce n'était pas en sa direction que nous allions. Le briefing que nous avait fait la veille Saturne était fort clair : la mission que nous devions accomplir se déroulait au sud, non loin de Lavandia. Là, nous devions détruire un puits de pétrole construit et protégé par le Consortium. Tels étaient les ordres. La mission pouvait paraître simple, banale et sans intérêt. Face à l'ampleur des enjeux, elle l'était : ce n'était pas la destruction d'un puits de pétrole qui allait mettre à bas le pouvoir totalitaire du Consortium. Je venais de ce monde-là, et mieux que personne dans le groupe que j'accompagnais je savais face à quoi nous combattions. Des puits de pétrole qui ravagent l'écosystème, nos adversaires en foraient chaque jour. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher de penser que toute grande œuvre commence toujours par des actions de plus petite ampleur. Il fallait bien commencer quelque part.
Une heure passa donc à traverser le désert par la voie des airs en direction de notre destination. Je regardais mes voisins. Ils étaient tous dans cet uniforme rouge et jaune qui était le signe de notre appartenance commune au Groupe Groudon du Parti Concordien. Chacun, pour passer ce fameux temps d'inaction qui précède toujours l'action, avaient son stratagème. Certains dormaient, sans doute pour ne pas défaillir face aux ordres de nos supérieurs. D'autres écrivaient je ne sais quelles réflexions dans un carnet de notes. D'autres, enfin, faisaient des blagues à leurs camarades. Tous étaient anxieux, mais aucun ne voulait le montrer. Mais l'heure du débarquement venue, tous redevinrent sérieux à l'unisson car désireux de faire de leur mieux. C'était cela, l'esprit de corps.
Car oui, l'heure de rejoindre le plancher des vaches était enfin venue. Le responsable de l'opération, assis pendant tout le voyage à la droite du pilote, nous en avertit. C'était le même homme froid et soucieux de la discipline qui nous avait réveillés sans ménagement deux petites heures auparavant. Comme tous les officiers du Groupe Groudon, sa musculature était aussi impressionnante que sa mine était patibulaire. J'ignore combien d'heures de culturisme il avait dû endurer pour en arriver à ce résultat, mais elles devaient être nombreuses. Bref, nous baissions d'altitude. Par le hublot, on pouvait voir notre cible un peu au sud qui crachait une fumée noire, encerclée par quatre miradors dans lesquels on pouvait voir la silhouette vague de soldats du Consortium. Quant à l'hélicoptère, pour ne pas éveiller l'attention il se posa dans une vallée voisine située non loin de là. Le véhicule se vida ensuite de ses soldats, tout en coupant ses moteurs pour faire le moins de bruit possible. En même temps que les autres, je descendis donc de l'appareil.
Le sol était sablonneux, toujours aussi désespérément sablonneux. Tout en regardant les environs, j'avais l'impression étrange d'être déjà venu ici. Je me souvenais. Je me souvenais de ce jour où Irène m'avait sauvé des griffes mortelles du désert. Pourquoi m'étais-je aventuré aussi loin vers le nord ? Si je me souvenais du passé lointain comme très proche, j'avais la stupeur de me rendre compte que je ne parvenais pas à me rappeler ce que je pouvais bien avoir eu à faire aussi loin de tout. Etait-ce une mission que m'avait chargé d'accomplir Sardonis ? J'étais incapable de répondre à cette question. Et pourtant, je me rappelais de cet endroit. Plongé dans mes pensées, je ne me rendais pas compte que l'officier musclé me criait dessus pour m'intimer l'ordre de rejoindre le reste de la cohorte. Honteux, je m'excusai rapidement avant de rejoindre mes frères d'armes qui se tenaient au garde à vous. Un silence martial régnait qui me rappelait mes années de service dans l'Armée du Consortium. C'est l'officier qui le rompit, en réalisant un dernier briefing avant l'action.
- Bien. Je suis le Lieutenant Hursin et je suis chargé du bon déroulement de la mission. Ma politique est claire : plus vite le travail sera fait, plus vite nous serons rentrés et moins de risques nous prendrons. C'est pourquoi le rôle que je vais assigner à chacun d'entre vous devra être respecté à la lettre. En mission, la première chose à savoir c'est que de votre comportement dépendra la survie de vos pairs.
Au-delà de la montagne qui se trouve derrière moi, les forces du Consortium protègent le puits de pétrole qui est notre cible. Pour pouvoir placer la bombe et partir rapidement, il faut donc avant tout neutraliser la résistance adverse. Elle est concentrée en priorité sur les quatre miradors qui encerclent le puits. Vous serez donc divisés en quatre groupes d'intervention chargés de l'attaque de ces points de résistance, ainsi que d'un groupe de soutien en cas de coup dur et d'un sixième chargé de la destruction de la cible. Pas de questions ? Bien : rompez et au travail !
Le second du lieutenant, qui se trouvait sur sa gauche pendant tout le temps du briefing, se chargea ensuite de la création des groupes. Le hasard des choses fit que je finis par me retrouver dans le sixième groupe, soit le même que le lieutenant Hursin. Les préparatifs terminés, nous nous mirent ensuite tous en direction de ce fameux puits d'or noir. Nous étions tous concentrés, tels des sportifs ne pouvant se permettre d'échouer. Quant à moi, je me souvenais des hommes en armes que j'avais vus tantôt sur les miradors. Cela ne promettait pas d'être facile. Après avoir marché quelques kilomètres, nous arrivâmes finalement devant le champ de bataille. Nous avancions prudemment. Dans le plan que nous devions suivre, l'effet de surprise était capital. La stratégie du lieutenant Hursin se mit donc en œuvre rapidement et avec discipline : les quatre groupes offensifs se dirigeaient vers les miradors, armés des soldats contrôlant les pokémons les plus puissants, tandis que mon groupe avançait vers le puits de pétrole. Le groupe de soutien, quant à lui, restait caché en arrière.
Et pourtant, une surprise de taille nous attendait. Arrivés au sommet de chaque mirador sans que le moindre bruit de combat n'ait déchiré le désert, les quatre groupes d'assaut nous firent signe que la voie était libre. J'avançais, moi et mon groupe, très rapidement en direction du puits de pétrole. Il n'y avait toujours pas l'ombre d'un soldat qui apparaisse. Pourtant, je n'avais pas rêvé. Dans l'hélicoptère, j'avais distingué clairement des soldats en uniforme, tout de gris vêtus comme le veut le code vestimentaire des sbires de Sardonis. Où étaient-ils tous passés ? Je n'étais pas rassuré. Personne n'était rassuré, mais il fallait continuer. Bientôt, nous arrivions devant le fameux puits de pétrole qui extractait en continu ce liquide visqueux qui fait le mal de l'écosystème et le bien des assoiffés de la technique. Nous y étions presque. Un des hommes du petit groupe de dix hommes que j'accompagnais posa enfin la bombe sur la paroi métallique qui protégeait le cœur de la machine commandant le système d'extraction. C'est alors que quelque chose d'incroyable, au sens propre du terme, se produisit.
La bombe était en effet en train d'être armée, quand soudainement le ciel se recouvrit de nuages noirs comme le charbon. Quelques instants plus tôt, le soleil brillait fort sans nuages pour remettre en cause sa domination sans partage sur le désert. Et pourtant, sans que le moindre signe météorologique ne puisse l'expliquer, ce ciel s'obscurcissait de secondes en secondes. En quelques minutes, le soleil avait derrière ces nuages d'ébène et la lumière avait tant de mal à percer qu'on se serait cru au beau milieu de la nuit. Pourtant, il n'était que huit heures vingt-deux selon ma montre. Tous, nous nous étions retournés vers le ciel pour essayer de comprendre ce qui se passait. Un brin paniqué, je m'adressai au lieutenant Hursin qui se tenait juste devant moi. Il avait l'air pétrifié.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Il semblait avoir toutes les difficultés pour répondre. Fixant maladivement ce ciel noir, il me répondit laborieusement.
- Bordel, mais j'en ai aucune idée !
A un moment, son regard semblait se fixer sur un point du ciel, plus obscur que le reste. C'était une sorte de fumée noire qui partait de l'horizon, et qui semblait se rapprocher de nous à toute vitesse. D'un geste, il sortit sa pokéball de sa ceinture et en fit jaillir un imposant hariyama qui se dressa héroïquement entre nous et l'étrange fumée noire. La chose continua d'abord sa course, jusqu'à esquiver brutalement le pokémon et tourner à une vitesse vertigineuse autour du puits de pétrole. Cela surprit le lieutenant expérimenté. Au fur et à mesure que l'entité effectuait ses rotations, elle répandait une fumée encore plus opaque qu'elle qui obscurcissait encore plus un environnement déjà considérablement altéré. Nous ne parvenions désormais à plus rien voir. Puis, ce fut le silence. Beaucoup criaient et se répondaient pour essayer de se localiser, mais nul ne s'entendait. Moi-même, je n'entendais rien. Très rapidement pourtant, j'entendis un cri me glacer le sang.
- Au secours !
Ce premier cri était éloigné de moi. Très rapidement ensuite, j'entendis un deuxième puis un troisième cri.
- Laissez-moi tranquille ! Non !
Les cris de secours s'enchaînaient à présent sans que je ne puisse rien faire. Paniqué, terrorisé, je courais avec mon pokémon dans le noir. Les cris étaient à présent très proches. Mais je ne devais pas m'arrêter. Je ne devais m'arrêter à aucun prix. Les cris m'effrayaient, mais l'obscurité n'arrangeait rien à la situation. D'un éclair de lucidité, je me rappelai que j'avais une chance que n'avaient aucun de mes frères d'armes : j'avais un pokémon d'un des deux types capables de briser le voile du néant. J'ordonnai à mon chamallot de prendre une grande inspiration pour relâcher plus grosse boule de feu qu'il soit capable de produire. Mon chameau, et une puissante boule incandescente jaillit de sa bouche. La lumière qu'elle émettait sur son chemin me fit réaliser l'horreur de la situation. Partout devant moi, des cadavres s'étendaient. Mais le pire était à venir. La boule de feu mourut au loin, peut-être cinquante mètres devant moi. Là, j'avais cru voir une sorte de corps spectral s'acharner sur un des survivants. La boule de feu l'avait surpris : il s'était retourné en ma direction. Dans l'obscure noirceur du désespoir, deux yeux cristallins me faisaient face. Et ils n'étaient pas du tout, mais alors pas du tout amicaux. Il se mit alors à foncer sur moi. Tentant vainement de me répondre, mon pokémon lui jeta quelques boules de feu. Oh, elles arrivèrent certes au contact. Mais elles n'eurent aucun effet. Cette créature avait une puissance anormalement élevée.
In extremis, je parvins à l'esquiver. Dans cette esquive, j'avais réussi à découvrir une autre partie de son anatomie : il y avait une sorte d'excroissance blanche de son corps qui s'étendait au-dessus de sa tête, ainsi qu'une bouche gigantesque de couleur rouge. Ce monstre, était-ce vraiment un pokémon. Je courais avec l'énergie du désespoir pour échapper au joug de l'entité malfaisante tout en parvenant à lui échapper deux autres fois. A un moment pourtant, il réussit à me surprendre en arrivant sur ma gauche. J'osai soutenir son regard. Cette chose était encore plus monstrueuse que ce que je craignais. Mais surtout, il se mit à me parler par télépathie ce qui n'arrangea en rien mon moral déjà. Sa voix était irréelle, comme si elle était l'incarnation de la nuit.
- Où crois-tu aller, pauvre mortel, alors que c'est moi qui contrôle les règles du jeu ? J'ai absorbé tous tes semblables, et ton tour est venu. Tu es pris au piège, laisse les ténèbres t'envahir.
Instantanément après avoir dit cela, je sentis un corps immatériel me prendre par les pieds et me soulever avec une simplicité incroyable. Je me trouvais à présent à une hauteur inconnue du sol. Le néant, avec ses yeux et sa bouche, me faisait face. Tout en me fixant, je sentais des ondes jaillir de son visage et m'envahir. La faiblesse m'envahissait. Cette faiblesse se transforma ensuite en sommeil. Un sommeil lourd et léger à la fois, où je voyais des choses heureuses et des choses horribles en même temps. Tout cela donnait l'impression d'un kaléidoscope géant où ces mêmes yeux et cette même bouche me fixait tout en riant. Abominable, ce rire l'était assurément. Mais la créature finit toutefois par me dire quelque chose d'étrange, que je ne compris pas sur le moment dans cette sorte de confusion morbide dans laquelle je me trouvais. Et pourtant, alors que j'étais à sa merci ce sont bien ces mots qu'il me dit alors que je m'avouais vaincu dans cette lutte inégale contre cet être maléfique.
- Je ne vais pas te tuer comme les autres, tu peux encore m'être utile. Souviens-toi bien de mon nom : je suis la Lune Noire, et je vais détruire ce monde que tu chéris tant.
Chapitre XXII - Le piège de la Lune Noire
Spoiler
7 Avril - 4 AM
Narrateur : Denaro Wolf
Narrateur : Denaro Wolf
Il était quatre heures vingt du matin. Une alarme stridente retentit et nous fit sortir en même temps de notre sommeil, mon pokémon et moi. La nuit avait été agitée. Ce n'était pas vraiment de quelconques soucis qui le perturbaient : sur ce plan là, j'avais de quoi être parfaitement serein. Non, la véritable cause de cette agitation était la chaleur. Là où je dormais, c'est-à-dire dans les dortoirs du Groupe Groudon, la chaleur était abominable. Je ne m'en étais pas rendu compte en arrivant dans cette partie du Quartier Général du Parti Concordien, mais le mercure était bien plus élevé qu'à la surface. Et la canicule, quasi permanente dans le désert d'Hoenn, n'arrangeait rien à l'affaire. Bref, non seulement j'avais très mal dormi mais en plus je devais me réveiller très tôt. Cinq minutes à peine après que l'alarme ait retenti, un homme à la voix aussi autoritaire que puissante me sortit définitivement de ma torpeur, comme la plupart de mes camarades de chambrée d'ailleurs.
- Debout là-dedans tas de feignants ! C'est l'heure. Départ à cinq heures.
Chamallot, lui aussi, se réveillait péniblement. La veille, je l'avais placé au pied du lit pour la nuit. En bon chameau, il s'était couché à la manière de ses pairs avec les quatre pattes recroquevillées sous le corps. L'alarme, et le cri qui le suivit, l'importunait tout autant que moi. Et comme moi, il avait adopté le comportement standard de tous les réveils matinaux : se boucher les oreilles à l'aide de ses deux pattes avant. Pourtant, il fallait bien se lever un jour. Quarante minutes plus tard, je me retrouvais avec les autres membres de ma section dans l'hélicoptère qui allait nous déposer au lieu de notre mission. En entrant à l'intérieur de l'exigu véhicule, je me demandais bien à quoi il pourrait bien nous servir. Il fallait tout de même ne pas oublier que nous nous trouvions sur un aérodrome situé à plusieurs kilomètres sous la surface. A moins qu'il soit capable de passer à travers les parois du sous-sol pierreux de la région, rester clouer semblait bien être la seule chose qu'il soit capable de faire. Mais une fois de plus, je restais trop dogmatique.
Je restais trop dogmatique, car un bruit d'engrenages se fit rapidement entendre au fur et à mesure que les hélices de l'hélicoptère se mettaient en marche. Au-dessus de nous, le plafond s'ouvrait en laissant apparaître un passage circulaire vers les hauteurs. C'était un plafond qui n'était qu'en apparence similaire aux autres parois rocheuses. On voyait bien qu'il était composé d'une couche superficielle de roche, qui cachait deux immenses plaques de métal qui s'ouvraient et se fermaient comme un portail. Une fois que le portail fut complètement ouvert, le véhicule sur lequel j'étais embarqué commença à prendre de l'altitude. La magie de la technique avait vaincu une fois de plus le scepticisme étroit d'années d'éducation où dépasser les certitudes était certes un luxe désuet, mais surtout un acte de sédition. Au fond, rejoindre le Parti Concordien avait été pour moi une certaine forme de thérapie.
Le gracieux appareil aérien commença donc son ascension, rythmé par le bruit tranchant de ses hélices. Cette ascension était d'abord lente. Puis, elle accéléra rapidement jusqu'à atteindre une vitesse de croisière tout à fait considérable. Nous nous engouffrions dans l'étroit puits creusé dans la roche que cachait auparavant ce portail camouflé. Au fur et à mesure de la montée, l'air commençait à se refroidir sérieusement sous l'effet de la vitesse. Ce n'était d'ailleurs pas pour me déplaire. Chamallot en revanche, allongé sur mes genoux, n'appréciait pas la baisse de température. Rien n'était plus normal pour un pokémon habitué à vivre sur les flancs des volcans et à toiser, débonnaire, les coulées de lave sans la moindre once de crainte dans le regard. A un moment pourtant, l'hélicoptère finit par ensuite sortir du sol. Brusquement, le panorama changea du tout au tout et les dunes dorées et illuminées par le soleil levant remplacèrent l'environnement claustrophobique dans lequel j'évoluais depuis maintenant plusieurs jours. C'était magnifique à voir. Au loin, le Mont Chimnée était impressionnant comme à son habitude. Mais il l'était encore plus lorsque le soleil des heures précoces ou tardives se mettait à l'illuminer dans des colorations inhabituelles.
Hélas, ce n'était pas en sa direction que nous allions. Le briefing que nous avait fait la veille Saturne était fort clair : la mission que nous devions accomplir se déroulait au sud, non loin de Lavandia. Là, nous devions détruire un puits de pétrole construit et protégé par le Consortium. Tels étaient les ordres. La mission pouvait paraître simple, banale et sans intérêt. Face à l'ampleur des enjeux, elle l'était : ce n'était pas la destruction d'un puits de pétrole qui allait mettre à bas le pouvoir totalitaire du Consortium. Je venais de ce monde-là, et mieux que personne dans le groupe que j'accompagnais je savais face à quoi nous combattions. Des puits de pétrole qui ravagent l'écosystème, nos adversaires en foraient chaque jour. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher de penser que toute grande œuvre commence toujours par des actions de plus petite ampleur. Il fallait bien commencer quelque part.
Une heure passa donc à traverser le désert par la voie des airs en direction de notre destination. Je regardais mes voisins. Ils étaient tous dans cet uniforme rouge et jaune qui était le signe de notre appartenance commune au Groupe Groudon du Parti Concordien. Chacun, pour passer ce fameux temps d'inaction qui précède toujours l'action, avaient son stratagème. Certains dormaient, sans doute pour ne pas défaillir face aux ordres de nos supérieurs. D'autres écrivaient je ne sais quelles réflexions dans un carnet de notes. D'autres, enfin, faisaient des blagues à leurs camarades. Tous étaient anxieux, mais aucun ne voulait le montrer. Mais l'heure du débarquement venue, tous redevinrent sérieux à l'unisson car désireux de faire de leur mieux. C'était cela, l'esprit de corps.
Car oui, l'heure de rejoindre le plancher des vaches était enfin venue. Le responsable de l'opération, assis pendant tout le voyage à la droite du pilote, nous en avertit. C'était le même homme froid et soucieux de la discipline qui nous avait réveillés sans ménagement deux petites heures auparavant. Comme tous les officiers du Groupe Groudon, sa musculature était aussi impressionnante que sa mine était patibulaire. J'ignore combien d'heures de culturisme il avait dû endurer pour en arriver à ce résultat, mais elles devaient être nombreuses. Bref, nous baissions d'altitude. Par le hublot, on pouvait voir notre cible un peu au sud qui crachait une fumée noire, encerclée par quatre miradors dans lesquels on pouvait voir la silhouette vague de soldats du Consortium. Quant à l'hélicoptère, pour ne pas éveiller l'attention il se posa dans une vallée voisine située non loin de là. Le véhicule se vida ensuite de ses soldats, tout en coupant ses moteurs pour faire le moins de bruit possible. En même temps que les autres, je descendis donc de l'appareil.
Le sol était sablonneux, toujours aussi désespérément sablonneux. Tout en regardant les environs, j'avais l'impression étrange d'être déjà venu ici. Je me souvenais. Je me souvenais de ce jour où Irène m'avait sauvé des griffes mortelles du désert. Pourquoi m'étais-je aventuré aussi loin vers le nord ? Si je me souvenais du passé lointain comme très proche, j'avais la stupeur de me rendre compte que je ne parvenais pas à me rappeler ce que je pouvais bien avoir eu à faire aussi loin de tout. Etait-ce une mission que m'avait chargé d'accomplir Sardonis ? J'étais incapable de répondre à cette question. Et pourtant, je me rappelais de cet endroit. Plongé dans mes pensées, je ne me rendais pas compte que l'officier musclé me criait dessus pour m'intimer l'ordre de rejoindre le reste de la cohorte. Honteux, je m'excusai rapidement avant de rejoindre mes frères d'armes qui se tenaient au garde à vous. Un silence martial régnait qui me rappelait mes années de service dans l'Armée du Consortium. C'est l'officier qui le rompit, en réalisant un dernier briefing avant l'action.
- Bien. Je suis le Lieutenant Hursin et je suis chargé du bon déroulement de la mission. Ma politique est claire : plus vite le travail sera fait, plus vite nous serons rentrés et moins de risques nous prendrons. C'est pourquoi le rôle que je vais assigner à chacun d'entre vous devra être respecté à la lettre. En mission, la première chose à savoir c'est que de votre comportement dépendra la survie de vos pairs.
Au-delà de la montagne qui se trouve derrière moi, les forces du Consortium protègent le puits de pétrole qui est notre cible. Pour pouvoir placer la bombe et partir rapidement, il faut donc avant tout neutraliser la résistance adverse. Elle est concentrée en priorité sur les quatre miradors qui encerclent le puits. Vous serez donc divisés en quatre groupes d'intervention chargés de l'attaque de ces points de résistance, ainsi que d'un groupe de soutien en cas de coup dur et d'un sixième chargé de la destruction de la cible. Pas de questions ? Bien : rompez et au travail !
Le second du lieutenant, qui se trouvait sur sa gauche pendant tout le temps du briefing, se chargea ensuite de la création des groupes. Le hasard des choses fit que je finis par me retrouver dans le sixième groupe, soit le même que le lieutenant Hursin. Les préparatifs terminés, nous nous mirent ensuite tous en direction de ce fameux puits d'or noir. Nous étions tous concentrés, tels des sportifs ne pouvant se permettre d'échouer. Quant à moi, je me souvenais des hommes en armes que j'avais vus tantôt sur les miradors. Cela ne promettait pas d'être facile. Après avoir marché quelques kilomètres, nous arrivâmes finalement devant le champ de bataille. Nous avancions prudemment. Dans le plan que nous devions suivre, l'effet de surprise était capital. La stratégie du lieutenant Hursin se mit donc en œuvre rapidement et avec discipline : les quatre groupes offensifs se dirigeaient vers les miradors, armés des soldats contrôlant les pokémons les plus puissants, tandis que mon groupe avançait vers le puits de pétrole. Le groupe de soutien, quant à lui, restait caché en arrière.
Et pourtant, une surprise de taille nous attendait. Arrivés au sommet de chaque mirador sans que le moindre bruit de combat n'ait déchiré le désert, les quatre groupes d'assaut nous firent signe que la voie était libre. J'avançais, moi et mon groupe, très rapidement en direction du puits de pétrole. Il n'y avait toujours pas l'ombre d'un soldat qui apparaisse. Pourtant, je n'avais pas rêvé. Dans l'hélicoptère, j'avais distingué clairement des soldats en uniforme, tout de gris vêtus comme le veut le code vestimentaire des sbires de Sardonis. Où étaient-ils tous passés ? Je n'étais pas rassuré. Personne n'était rassuré, mais il fallait continuer. Bientôt, nous arrivions devant le fameux puits de pétrole qui extractait en continu ce liquide visqueux qui fait le mal de l'écosystème et le bien des assoiffés de la technique. Nous y étions presque. Un des hommes du petit groupe de dix hommes que j'accompagnais posa enfin la bombe sur la paroi métallique qui protégeait le cœur de la machine commandant le système d'extraction. C'est alors que quelque chose d'incroyable, au sens propre du terme, se produisit.
La bombe était en effet en train d'être armée, quand soudainement le ciel se recouvrit de nuages noirs comme le charbon. Quelques instants plus tôt, le soleil brillait fort sans nuages pour remettre en cause sa domination sans partage sur le désert. Et pourtant, sans que le moindre signe météorologique ne puisse l'expliquer, ce ciel s'obscurcissait de secondes en secondes. En quelques minutes, le soleil avait derrière ces nuages d'ébène et la lumière avait tant de mal à percer qu'on se serait cru au beau milieu de la nuit. Pourtant, il n'était que huit heures vingt-deux selon ma montre. Tous, nous nous étions retournés vers le ciel pour essayer de comprendre ce qui se passait. Un brin paniqué, je m'adressai au lieutenant Hursin qui se tenait juste devant moi. Il avait l'air pétrifié.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Il semblait avoir toutes les difficultés pour répondre. Fixant maladivement ce ciel noir, il me répondit laborieusement.
- Bordel, mais j'en ai aucune idée !
A un moment, son regard semblait se fixer sur un point du ciel, plus obscur que le reste. C'était une sorte de fumée noire qui partait de l'horizon, et qui semblait se rapprocher de nous à toute vitesse. D'un geste, il sortit sa pokéball de sa ceinture et en fit jaillir un imposant hariyama qui se dressa héroïquement entre nous et l'étrange fumée noire. La chose continua d'abord sa course, jusqu'à esquiver brutalement le pokémon et tourner à une vitesse vertigineuse autour du puits de pétrole. Cela surprit le lieutenant expérimenté. Au fur et à mesure que l'entité effectuait ses rotations, elle répandait une fumée encore plus opaque qu'elle qui obscurcissait encore plus un environnement déjà considérablement altéré. Nous ne parvenions désormais à plus rien voir. Puis, ce fut le silence. Beaucoup criaient et se répondaient pour essayer de se localiser, mais nul ne s'entendait. Moi-même, je n'entendais rien. Très rapidement pourtant, j'entendis un cri me glacer le sang.
- Au secours !
Ce premier cri était éloigné de moi. Très rapidement ensuite, j'entendis un deuxième puis un troisième cri.
- Laissez-moi tranquille ! Non !
Les cris de secours s'enchaînaient à présent sans que je ne puisse rien faire. Paniqué, terrorisé, je courais avec mon pokémon dans le noir. Les cris étaient à présent très proches. Mais je ne devais pas m'arrêter. Je ne devais m'arrêter à aucun prix. Les cris m'effrayaient, mais l'obscurité n'arrangeait rien à la situation. D'un éclair de lucidité, je me rappelai que j'avais une chance que n'avaient aucun de mes frères d'armes : j'avais un pokémon d'un des deux types capables de briser le voile du néant. J'ordonnai à mon chamallot de prendre une grande inspiration pour relâcher plus grosse boule de feu qu'il soit capable de produire. Mon chameau, et une puissante boule incandescente jaillit de sa bouche. La lumière qu'elle émettait sur son chemin me fit réaliser l'horreur de la situation. Partout devant moi, des cadavres s'étendaient. Mais le pire était à venir. La boule de feu mourut au loin, peut-être cinquante mètres devant moi. Là, j'avais cru voir une sorte de corps spectral s'acharner sur un des survivants. La boule de feu l'avait surpris : il s'était retourné en ma direction. Dans l'obscure noirceur du désespoir, deux yeux cristallins me faisaient face. Et ils n'étaient pas du tout, mais alors pas du tout amicaux. Il se mit alors à foncer sur moi. Tentant vainement de me répondre, mon pokémon lui jeta quelques boules de feu. Oh, elles arrivèrent certes au contact. Mais elles n'eurent aucun effet. Cette créature avait une puissance anormalement élevée.
In extremis, je parvins à l'esquiver. Dans cette esquive, j'avais réussi à découvrir une autre partie de son anatomie : il y avait une sorte d'excroissance blanche de son corps qui s'étendait au-dessus de sa tête, ainsi qu'une bouche gigantesque de couleur rouge. Ce monstre, était-ce vraiment un pokémon. Je courais avec l'énergie du désespoir pour échapper au joug de l'entité malfaisante tout en parvenant à lui échapper deux autres fois. A un moment pourtant, il réussit à me surprendre en arrivant sur ma gauche. J'osai soutenir son regard. Cette chose était encore plus monstrueuse que ce que je craignais. Mais surtout, il se mit à me parler par télépathie ce qui n'arrangea en rien mon moral déjà. Sa voix était irréelle, comme si elle était l'incarnation de la nuit.
- Où crois-tu aller, pauvre mortel, alors que c'est moi qui contrôle les règles du jeu ? J'ai absorbé tous tes semblables, et ton tour est venu. Tu es pris au piège, laisse les ténèbres t'envahir.
Instantanément après avoir dit cela, je sentis un corps immatériel me prendre par les pieds et me soulever avec une simplicité incroyable. Je me trouvais à présent à une hauteur inconnue du sol. Le néant, avec ses yeux et sa bouche, me faisait face. Tout en me fixant, je sentais des ondes jaillir de son visage et m'envahir. La faiblesse m'envahissait. Cette faiblesse se transforma ensuite en sommeil. Un sommeil lourd et léger à la fois, où je voyais des choses heureuses et des choses horribles en même temps. Tout cela donnait l'impression d'un kaléidoscope géant où ces mêmes yeux et cette même bouche me fixait tout en riant. Abominable, ce rire l'était assurément. Mais la créature finit toutefois par me dire quelque chose d'étrange, que je ne compris pas sur le moment dans cette sorte de confusion morbide dans laquelle je me trouvais. Et pourtant, alors que j'étais à sa merci ce sont bien ces mots qu'il me dit alors que je m'avouais vaincu dans cette lutte inégale contre cet être maléfique.
- Je ne vais pas te tuer comme les autres, tu peux encore m'être utile. Souviens-toi bien de mon nom : je suis la Lune Noire, et je vais détruire ce monde que tu chéris tant.
Tyranocif Rex
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23 janvier 2013, 00:43
Nous partîmes donc le lendemain d'Argenta, soucieux d'atteindre au plus vite la célèbre centrale de Kanto. Célèbre, l'édifice l'était assurément : depuis que l'Homme avait maîtrisé le principe de la production électrique, l'endroit avait toujours été crucial dans l'approvisionnement en énergie des villes orientales de la région. Un dicton local disait même la chose suivante : « lorsque l'Orient s'éteint, Céladopole agonise ». Il serait faux de dire qu'il s'agissait de la seule centrale de tout Kanto, mais c'était de loin la plus importante en termes de production et c'est pourquoi on a coutume de lui attribuer une majuscule lorsqu'on la mentionne. Tout cela, c'est Octave qui me l'apprit au cours de notre voyage vers l'est. Le trajet ne devait durer qu'une semaine, m'avait-il dit le jour de notre départ tout en consultant obsessionnellement les cartes de la région que Rubens lui avait donné. C'était le matin du 10 Avril. Lorsque nous arrivâmes enfin à destination, nous étions le 26 Avril. Une remarque se devait donc d'être faite : le trajet avait été beaucoup plus long que prévu. Il avait d'ailleurs été si long qu'Octave s'était mis, pour passer le temps il faut croire, à partager sa docte science avec moi. Les thèmes étaient fort variés, de l'anodin au crucial. Mais pour ne pas mourir d'ennui, il fallait bien s'occuper.
Pourquoi diable cela avait-il été si long ? Par Arceus, pour une raison toute simple : les cartes de Queulorior étaient fort sympathiques par les effets stylistiques délicieusement archaïques qui y figuraient, mais elles n'étaient pas à jour. Certaines villes avaient disparu, d'autres avaient changé de nom et d'autres enfin ne figuraient carrément pas sur le document topographique. Bref, tout cela formait un joyeux désordre et bien malin pouvait être celui qui était capable de s'y retrouver dans ce méli-mélo de routes réelles ou imaginaires. Toujours est-il qu'après des semaines passées à chercher son chemin, nous étions enfin arrivés à proximité de la Centrale. Il devait être huit heures du matin, et malgré l'hiver finissant il faisait toujours un froid mordant. L'influence du climat montagnard se faisait sentir jusqu'ici. Une brume opaque recouvrait la vallée dans laquelle nous nous trouvions. Ce n'allait certainement pas être la faiblesse du soleil matinal qui allait changer quelque chose à cette vision réduite. Les faits étaient là, et bien là : voir à plus de cinq mètres relevait du miracle. Si la Centrale ne se trouvait pas juste devant nos yeux, cette complication météorologique aurait d'ailleurs été le prétexte de nouveaux errements dans le Kanto septentrional.
La Centrale : parlons-en d'ailleurs de ce vénérable édifice. Jadis, elle devait être illuminée de mille feux vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Jadis, le bruit des machines devait assourdir les riverains. Mais des riverains, n'y en avait-il jamais eu dans ce lieu de perdition, entre montagne et océan ? Aujourd'hui, ce qu'Octave et moi découvrions était rien de moins qu'une ruine désespérément silencieuse. Malgré la brume, nous parvenions à distinguer sur le sol quantité de débris en tous genres qui semblaient avoir été détachée de la structure principale par une déflagration d'origine inconnue. Etait-ce une explosion ou...autre chose ? La visibilité dont nous bénéficiions ne permettait pas de le démontrer. Surtout, nous n'avions pas fait tout ce périple juste pour étudier des gravats. Skuld, à l'inverse de nous qui tentions d'éviter ces débris qui risquaient de nous blesser, était aux anges. Dès qu'il repérait un débris en fer, son premier réflexe était de foncer droit sur lui pour dévorer tout ce minerai de fer. Cela avait au moins le mérite de rompre le silence de mort qui régnait dans ce lieu sinistre.
Après un certain temps passé à faire le tour de l'édifice dévasté, Octave m'interpella pour me signaler qu'il avait localisé l'entrée. Il n'y avait pas de porte, sauf à considérer que les deux tôles froissées qui nous bloquait l'accès à l'intérieur de la centrale en ruines avaient jadis joué ce rôle. Face à l'obstacle, le Destogoride s'arrêta net et se mit à réfléchir tout en grattant son menton barbu avec une de ses mains. Assez rapidement ensuite, il me dit.
- Bon, si j'en crois les bruits que fait ton pokémon derrière nous il semble affamé. Et bien, je pense qu'on va se servir de son appétit pour débloquer cette entrée. J'imagine que tu as compris où je veux en venir...
Evidemment que j'avais compris où il voulait en venir. Ce n'était pas moi avec ma musculature modeste qui allait détruire deux couches de tôle qui devaient peser chacune plusieurs dizaines de kilos. Je sifflai donc Skuld. Le brouillard altérait certes la visibilité, mais en rien la propagation des sons. Quelques secondes plus tard, il accourut vers moi, fendant la brume avec son front tranchant. Une fois arrivé devant moi, le cavalier blindé stoppa net sa charge. C'est alors que, après m'être accroupi pour me mettre à son niveau, je lui donnai mes ordres.
- Tu vois l'entrée bloquée là-bas ? Je veux que tu débloque le passage pour nous en la chargeant. Si tu réussis, tu pourras dévorer tout ce métal délicieux.
Aussitôt dit, aussitôt fait : à peine m'étais-je relevé que mon pokémon était reparti quelques mètres en arrière avant de se mettre dans l'axe de l'entrée et prendre du recul. La discipline de cette espèce de pokémon m'a toujours étonné, à moins que ce que je prenais pour de la discipline n'était en fait qu'une gourmandise rendue nécessaire par la biologie. Bref, après avoir pris préparé sa première attaque le pokémon armurfer se mit à charger. Dans l'intervalle, nous avions bien évidemment fait en sorte de ne pas nous trouver sur le passage. Les conséquences d'un choc avec un galegon en pleine charge étaient incalculables, et les sbires de la Brigade Noire en avaient déjà fait les frais à Argenta, au début du mois. Le bruit des pas de la créature blindée causaient à chaque contact sur le sol de petites secousses sismiques qui étaient suffisamment fortes pour que je sente la terre vibrer sous mes pieds. Finalement, le moment du contact arriva enfin et la victoire fut totale. Dans un fracas assourdissant, le char d'assaut qui me servait de pokémon propulsa les deux tôles de métal loin à l'intérieur de la Centrale avant de finir sa course encastré dans un des murs de le Centrale. Le choc final avait été violent, probablement encore plus que le premier. Et pourtant, Skuld n'avait rien. Le crâne enfoncé profondément dans la paroi de la première pièce de la Centrale, il s'en extraya péniblement. Puis, il regarda les alentours jusqu'à localiser et dévorer le fruit de tous ses efforts. Quelques minutes plus tard, des deux imposantes tôles d'acier qui nous barraient la route il y a peu il ne restait plus rien. Nous pouvions enfin pénétrer dans l'obscurité métallique de l'usine à l'abandon.
C'est Octave qui entra en premier. Je le suivis de près, impressionné par l'ambiance claustrophobique qui régnait à l'intérieur. Le Destogoride, voyant l'absence totale d'éclairage à l'intérieur, posa son sac à dos sur le sol afin d'en extraire une lampe de poche électrique. De mon côté, j'avais sifflé de nouveau afin de rappeler Skuld à mes pieds. Nous étions de nouveau réunis, et finalement la lumière arriva enfin. Mon compagnon de route, avant de s'enfoncer davantage dans la Centrale, commença tout d'abord par faire une rapide reconnaissance des lieux à l'aide de son outil électroluminescent. La pièce était assez petite, rectangulaire et les parois étaient remplies de ce qui semblait avoir été des machines électriques si l'on en croyait les compteurs de kilowatts brisés qui se trouvaient dessus. Quant au toit, il était partiellement arraché : cela devait être cela que Skuld avait dévoré tout à l'heure, à l'extérieur. Après avoir fait le tour du propriétaire, le Destogoride me fit signe de le rejoindre au centre de la pièce. Il avait sorti une des cartes anciennes qu'il m'avait fait découvrir tantôt, avant notre départ. Sur la dite carte, qu'il éclairait avec sa lampe électrique, figurait un plan de la Centrale avec une croix rouge au cœur de l'édifice. C'est une fois et une fois seulement que je l'avais rejoint qu'Octave me donna un dernier briefing.
- Bien, comme tu peux le voir sur la carte nous sommes entrés dans la Centrale par l'entrée sud. Pour accéder au Temple de la Colère, il nous faut atteindre la salle du réacteur. Une fois là-bas, il faudra trouver le passage secret. Reste près de moi, qui sait ce qui peut nous attendre à l'intérieur.
Alors, nous nous mîmes en route. En pénétrant dans les abysses de l'usine désaffectée, on se rendait encore mieux compte de l'ambiance sinistre qui régnait ici. L'obscurité y était certes pour beaucoup, mais l'essentiel était ailleurs. Partout autour de nous, on ne voyait que fils électriques dénudés qu'il fallait éviter avec la grande prudence, machines éventrées et murs arrachés. Parfois, des faux contacts illuminaient brusquement la Centrale avant de la laisser replonger dans le noir. L'itinéraire que nous suivions était, du fait de l'état déplorable du lieu, sinueux. Tantôt, un mur éventré nous fournissait un raccourci inespéré vers la salle du réacteur. Tantôt, ce même mur éventré constituait un obstacle insurmontable sur notre chemin que galegon devait détruire sans ménagement. La Centrale, ce n'était plus que cela : des pièces et des corridors ravagés par le passage du temps ou d'un fléau aussi omniprésent qu'impossible à identifier. Finalement pourtant, après bien des péripéties nous arrivèrent au terme de notre voyage dans le royaume de la mort. La salle du réacteur était une salle immense tant en superficie qu'en hauteur, et surtout elle semblait être encore plus ravagée que le reste de l'édifice. Eclairant avec sa lampe ce qu'il restait du réacteur, Octave laissa échapper quelques mots de soulagement.
- Nous y voilà enfin. Tu as vu la gueule du réacteur ? Vu sa taille, pas étonnant que la Centrale ait implosé.
Implosé, c'était bien le qualificatif qui s'imposait. Le générateur électrique avait beau être immense et disposer apparemment d'un blindage très épais, cela ne l'avait pas empêché d'exploser et de dévaster avec lui tout l'édifice qui l'accueillait. Son sommet était fracturé en profondeur et donnait à ses extrémités une forme de fleur, ce qui était caractéristique d'une implosion. Nous avions donc une première réponse quant à la cause de la dévastation qui régnait dans la Centrale : le réacteur central, qui produisait jadis des millions de kilowattheures, avait explosé. Mais qu'est-ce qui avait bien pu causer cette explosion ? Bien sûr, nous n'étions pas venus ici pour analyser le site. Mais tant de mystères me plongeaient dans une perplexité profonde.
- Fuyez, pauvres fous !
Jaillissant derrière moi des ténèbres, c'est le bruit d'une voix irritée accompagnée d'un coup dans le dos qui me sortit de cette perplexité. Le coup était si puissant qu'il me projeta sur le sol froid et rocailleux de l'usine. Surpris, Octave se retourna d'un bond vers moi. J'étais à terre. Le Destogoride, après avoir regardé un peu partout sans voir l'ombre d'un agresseur, se mit à crier.
- Qui est là ?
La voix se refit rapidement entendre. Mais avant de répondre à Octave, un rire dément résonna tel un écho dans toute la Centrale. Qu'était cet être mystérieux qui nous parlait ?
- Octave...Tu ne me reconnais pas ? Tu me déçois, vieux compagnon...
Ces simples mots interloquèrent, proprement, Octave. Quelle qu'était l'identité de l'étrange voix irritée, elle connaissait Octave. Avide de réponses, Octave répondit immédiatement.
- Comment connaissez-vous mon nom ?
Un nouveau rire dément suivit la réplique d'Octave. Et après que le temps de la folie soit passé de nouveau, le temps des derniers mots vint finalement.
- Tu sauras bien assez tôt qui je suis...Mais si vous bravez mon avertissement, vous devrez en assumer les conséquences. Si votre choix est d'aller affronter votre anéantissement, ainsi soit-il. Mais je vous aurais prévenu.
A l'écoute de ce discours aussi moralisateur que brumeux comme le climat local, je me relevai avant de répondre à la voix. La réponse était certes spontanée. On ne peut pas dire qu'elle était sage, ni même subtile.
- Foutaises !
Mais la voix ne répondit rien. En lieu et place de réponse, un vacarme assourdissant jaillit du néant suivi d'une bourrasque d'énergie partie du sol pour disparaître dans les cieux. La bourrasque était si puissante qu'elle déchira le voile d'ébène de la Centrale, et même plus largement de cette nuit qui n'en finissait pas de s'achever. La mort des sens reprit ensuite ses droits dans ce tombeau électrique où nous errions depuis maintenant une heure. Quant à Octave, il resta prostré quelques minutes. Cette rencontre pas tout à fait hostile, mais pas non plus amicale que nous venions de faire lui avait laissé des séquelles et cela se sentait. Après le départ de la mystérieuse connaissance du Destogoride, il s'était écroulé sur une des parois du réacteur qui avaient le mérite d'être encore debout. Pour le rassurer, mais aussi pour me rassurer moi-même, je l'aidai à se relever avant de lui dire quelques mots.
- Ne t'en fais pas, ça devait être un des sbires de la Lune Noire. J'espère que tu ne crois pas un traître mot du baratin qu'il nous a sorti.
Octave resta tout d'abord silencieux, avant de répondre péniblement.
- Non, il ne nous voulait aucun mal. Il voulait simplement nous avertir du danger qui nous attend.
Je repris mon calme. Il est vrai que je n'avais pas l'expérience d'Octave, peut-être savait-il des choses qui m'échappaient. Mais j'avais subi la perversité des Xort'Udur, alors venant de la part de la Lune Noire on pouvait être en droit de s'attendre à tout et surtout au pire. Sans me laisser le temps de continuer, le vieux sage reprit l'initiative.
- J'ai jadis connu un Destogoride qui ressemblait à cet être mystérieux, mais cela ne peut être lui : il est mort depuis longtemps. Bref, j'ai le sentiment que nous en apprendrons plus sur lui dans le futur. En attendant, nous avons perdu suffisamment de temps : viens, il faut que nous trouvions ce passage secret. Tu as une idée d'où il pourrait se cacher ?
Ce n'est pas moi qui répondit à la question d'Octave, mais le cri d'un galegon de l'autre côté du réacteur. Bon, bien évidemment ce n'était pas n'importe quel galegon : c'était Skuld. Il semblait avoir découvert quelque chose. Armé de sa lampe torche, Octave accourra alors vers le pokémon avec moi à sa suite. Ce que mon pokémon avait découvert, c'était un pavé de pierre encastré derrière le réacteur. En apparence, le pavé n'avait rien de particulier. Et pourtant, à y regarder de plus près on pouvait voir des inscriptions zarbi cachées sous la poussière. Le Destogoride inspecta attentivement le fameux pavé et rendit finalement son verdict.
- Cela ne fait aucun doute : c'est le fameux passage secret que nous cherchions. Ton pokémon est décidément loin d'être un idiot, jeune homme. Normalement, si on effectue une pression assez forte sur la dalle le chemin devrait s'ouvrir...
A ces mots, Octave se releva et marcha sur la fameuse dalle. Mais rien ne se passa. Il retenta une seconde fois, sautant à pieds joints. Rien ne se passa non plus. Mon mentor, constatant ses échecs, s'adressa alors à moi.
- Etrange, je ne dois pas être suffisamment lourd pour déclencher le mécanisme. Demande à Skuld de se placer sur la dalle dans ce cas, lui au moins devrait faire le poids.
Conscient qu'il n'y avait pas de temps à perdre, je sifflai Skuld. Pendant l'examen de la dalle, il semblait s'ennuyer terriblement puisqu'il était parti s'amuser à jouer au bélier sur une des parois de la salle à proximité de nous. Bien évidemment, il répondit présent immédiatement comme à son habitude. Il prit d'abord de l'élan. Il commença ensuite à charger et, quelques mètres avant le bloc de pierre qui était notre cible, il sauta brusquement en l'air pour retomber miraculeusement dans l'axe. Ses quatre lourdes pattes blindées s'écrasèrent ainsi de justesse sur le fameux pavé. Le choc était si fort qu'il résonna dans toute la Centrale. Cent vingt kilos venaient de s'abattre sur la dalle. Est-ce que cela avait été suffisant ? Après que l'onde de choc ait fini de se propager dans toute la pièce à la manière de l'épicentre d'un petit séisme, le silence reprit alors ses droits. Octave et moi, nous redoutions un troisième échec. Et puis, finalement, le miracle se produisit. On entendit sous nos pieds un cliquetis s'enclencher puis, très rapidement, la dalle commença à s'enfoncer dans les profondeurs de la terre avec galegon au-dessus d'elle. Le processus se poursuivit pendant plusieurs minutes sous nos yeux ébahis. Au fur et à mesure de la descente de la dalle, on pouvait également voir des aspérités dans la roche dont l'alternance régulière faisait penser à une sorte d'échelle.
Au bout d'un moment, un second cliquetis se fit entendre. Le son était cette fois beaucoup plus éloigné. La seule chose que l'on entendait à présent était les bruits sourds des pas de Skuld, loin dans les entrailles de la terre. C'était à présent à nous de descendre. Avant de braver le vertige et de m'engager sur l'échelle, je lançai un rapide regard furtif dans le trou béant qui me faisait désormais face. On ne voyait même pas le fond. Je n'étais pas très rassuré : après tout, c'était bien la première que j'allais devoir escalader un précipice aussi profond. Mais il fallait pourtant bien se lancer. Alors je finis par m'engager, pressé il est vrai par la nervosité d'Octave qui semblait en avoir plus qu'assez de cette Centrale sinistre. Il me suivit peu après dans ce puits étroit. Plus on descendait, plus il faisait frais et humide. J'en avais des frissons.
Mais heureusement, toutes les mauvaises choses ont une fin. Mes pieds finirent en effet par retrouver cette dalle qu'avait piétiné Skuld il y a peu. Arrivé au sol, je me dégageai ensuite de l'échelle naturelle qui nous avait permis d'arriver jusque-là et je continuai sur l'unique chemin qui s'offrait à moi. Je devais retrouver Skuld : où avait-il bien pu passer ? Bon, il n'avait pu aller bien loin. Tout en avançant, j'observais l'endroit où je me trouvais. Cela n'avait pas l'air pour l'instant d'être bien différent de la Centrale : la seule différence était que l'éclairage était bien meilleur grâce aux torches qui éclairaient le chemin ici et là. Qui avait bien pu les placer là, je n'en avais pas la moindre idée mais de toute façon à partir d'ici il ne fallait plus s'attendre à quoi que ce soit rationnel. Je devais me préparer à pénétrer dans un temple millénaire bâti par les dieux, pas à un camp de vacances. En tout cas, à en juger l'état de la pierre des murs comme du plafond bas ainsi que le nombre incalculable de toiles d'araignée qui étaient disséminées un peu partout, l'endroit avait l'air très ancien.
Mais je m'attendais tout de même à mieux. Pour le moment, on avait plus l'impression d'errer dans une mine que dans un sanctuaire. Je manquais à chaque fois de me cogner la tête sur le plafond. Finalement heureusement, je parvins au terme de mon périple. Et le moins qu'il fallait dire, c'était que nous n'avions pas fait le voyage pour rien. Brutalement et presque sans crier gare, au détour d'un virage, une vaste salle rectangulaire entièrement construite en or apparut. Les quatre torches situées respectivement sur la partie occidentale et orientale de la pièce donnaient une coloration orangée presque irréelle à l'endroit. En face de moi, de l'autre côté, se trouvait une porte monumentale constituée du même matériau que le reste de la pièce. Enfin, dans les murs transversaux, on pouvait admirer deux magnifiques stèles dorées et symétriques. C'est ici, dans cet endroit peu commun il faut bien le dire, que je retrouvai Skuld. Il était en train de cogner inutilement sur la fameuse porte monumentale. Aucun de ses coups ne faisait subir le moindre des dommages à l'ouvrage architectural en question. Je me précipitai vers lui afin de le calmer. Une force mystérieuse semblait l'attirer irrésistiblement vers ce qui se cachait de l'autre côté du portail. Péniblement et laborieusement, je finis néanmoins à réussir à le calmer après quelques efforts démesurés et qui n'était pourtant rien par rapport à ce qui nous attendait plus loin. Je le savais pertinemment, mais pour le moment il fallait attendre Octave. Lui seul savait comment faire pour aller plus loin.
Au bout d'une dizaine de minutes, je commençais à m'inquiéter. S'était-il perdu ? Avait-il oublié quelque chose ? Je me faisais un sang d'encre, et ce d'autant plus que sans lui je n'allais pas pouvoir faire grand-chose. Pour patienter, mon pokémon et moi avions adopté deux méthodes différentes. Lui, il s'était endormi à proximité de la porte. Avec tout le fer qu'il avait absorbé aujourd'hui, du sommeil il en avait bien besoin. Moi, pour ne pas me faire un sang d'encre je m'étais décidé à étudier un peu cette mystérieuse stèle en or. Au-dessus et en bas, on pouvait lire l'inscription suivante en langage zarbi. Instinctivement, je la lus à haute voix et l'écho de la pièce donna à cette intonation un air presque incantatoire.
Tout en lisant, je regardais l'image de la stèle. Qu'est-ce qui était représenté ? A gauche, on voyait un oiseau gigantesque au long bec crochu projeter avec ses ailes des éclairs qui fendaient l'air et dévastaient une horde de monstres situés sur la droite de la fresque. On pouvait reconnaître certains pokémons, et en particulier la Lune Noire à l'extrême de la fresque qui semblait faire face à l'oiseau électrique. C'était la seule entité qui regardait le volatile, toutes les autres créatures étaient focalisées vers l'ici-bas. L'ici-bas où la tête de Kyurem sortait littéralement du sol, comme attirée par ce déchainement de violence. Oui, belle la stèle l'était assurément. Et j'avais même le sentiment qu'elle était d'une actualité brûlante. Soudain, la voix d'Octave me fit sursauter et me sortit brutalement de ces considérations artistiques.
- Ah, je vois que tu as découvert une des Douze Titanomachies.
Je me retournai : c'était bien lui, mon mentor que j'attendais depuis un bon bout de temps. Finalement il ne lui était rien arrivé : il fallait vraiment que j'arrête de m'inquiéter pour un rien. Heureux de le revoir quoique intrigué parce qu'il venait de me dire, je lui répondis.
- Ouf tu es là : je me demandais si tu n'étais pas tombé entre les fils de la toile d'un migalos. Par contre, tu as parlé de Titanomachie ? Tu veux dire que cette stèle porte ce nom ?
Mon ignorance faisait décidément tout le temps sourire Octave, même s'il aimait toujours partager son pouvoir. Il me répondit donc à son tour.
- Ce n'est pas seulement cette stèle qui porte ce nom, mon jeune ami. Toutes les stèles de chaque sanctuaire des Douze portent ce nom, car la légende raconte qu'elles narrent l'histoire du combat entre les Douze et Kyurem. C'est précisément cela la Titanomachie : la guerre entre les dieux du Panthéon et ceux des âges plus archaïques. Ne me dis pas que tu as déjà oublié tout ce que je t'ai dit dans la Bibliothèque le mois dernier. Ah, ce que tu peux être désespérant quand tu t'y mets. Mais ce n'est pas grave. Tu m'attendais dis-tu ? Tu ne devrais pas être si pressé. Ce moment de repos que tu viens d'avoir, c'est peut-être le dernier que tu auras avant longtemps...
Et voilà, il fallait s'y attendre : Octave le moralisateur avait encore frappé. Je me contentai de soupirer, ce n'était pas vraiment utile de se disputer dans un endroit à un moment pareil. Cela aurait même été de très mauvais goût. Je me contentai de demander au Destogoride comment il comptait s'y prendre pour ouvrir le portail. Sa réponse fut cinglante. Visiblement, il avait décidé depuis son arrivée d'adopter un ton beaucoup plus offensif à mon égard. Etait-ce parce que le combat tant attendu allait très bientôt avoir lieu ? On était en droit de le penser.
- Tu oublies que je suis un Destogoride. Maintenant prépare-toi, parce que les choses sérieuses vont enfin commencer. Je vais ouvrir le portail dimensionnel.
Chapitre XXIII - La titanomachie d'Electhor
Spoiler
26 Avril - 4 AM
Narrateur : Inconnu
Narrateur : Inconnu
Nous partîmes donc le lendemain d'Argenta, soucieux d'atteindre au plus vite la célèbre centrale de Kanto. Célèbre, l'édifice l'était assurément : depuis que l'Homme avait maîtrisé le principe de la production électrique, l'endroit avait toujours été crucial dans l'approvisionnement en énergie des villes orientales de la région. Un dicton local disait même la chose suivante : « lorsque l'Orient s'éteint, Céladopole agonise ». Il serait faux de dire qu'il s'agissait de la seule centrale de tout Kanto, mais c'était de loin la plus importante en termes de production et c'est pourquoi on a coutume de lui attribuer une majuscule lorsqu'on la mentionne. Tout cela, c'est Octave qui me l'apprit au cours de notre voyage vers l'est. Le trajet ne devait durer qu'une semaine, m'avait-il dit le jour de notre départ tout en consultant obsessionnellement les cartes de la région que Rubens lui avait donné. C'était le matin du 10 Avril. Lorsque nous arrivâmes enfin à destination, nous étions le 26 Avril. Une remarque se devait donc d'être faite : le trajet avait été beaucoup plus long que prévu. Il avait d'ailleurs été si long qu'Octave s'était mis, pour passer le temps il faut croire, à partager sa docte science avec moi. Les thèmes étaient fort variés, de l'anodin au crucial. Mais pour ne pas mourir d'ennui, il fallait bien s'occuper.
Pourquoi diable cela avait-il été si long ? Par Arceus, pour une raison toute simple : les cartes de Queulorior étaient fort sympathiques par les effets stylistiques délicieusement archaïques qui y figuraient, mais elles n'étaient pas à jour. Certaines villes avaient disparu, d'autres avaient changé de nom et d'autres enfin ne figuraient carrément pas sur le document topographique. Bref, tout cela formait un joyeux désordre et bien malin pouvait être celui qui était capable de s'y retrouver dans ce méli-mélo de routes réelles ou imaginaires. Toujours est-il qu'après des semaines passées à chercher son chemin, nous étions enfin arrivés à proximité de la Centrale. Il devait être huit heures du matin, et malgré l'hiver finissant il faisait toujours un froid mordant. L'influence du climat montagnard se faisait sentir jusqu'ici. Une brume opaque recouvrait la vallée dans laquelle nous nous trouvions. Ce n'allait certainement pas être la faiblesse du soleil matinal qui allait changer quelque chose à cette vision réduite. Les faits étaient là, et bien là : voir à plus de cinq mètres relevait du miracle. Si la Centrale ne se trouvait pas juste devant nos yeux, cette complication météorologique aurait d'ailleurs été le prétexte de nouveaux errements dans le Kanto septentrional.
La Centrale : parlons-en d'ailleurs de ce vénérable édifice. Jadis, elle devait être illuminée de mille feux vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Jadis, le bruit des machines devait assourdir les riverains. Mais des riverains, n'y en avait-il jamais eu dans ce lieu de perdition, entre montagne et océan ? Aujourd'hui, ce qu'Octave et moi découvrions était rien de moins qu'une ruine désespérément silencieuse. Malgré la brume, nous parvenions à distinguer sur le sol quantité de débris en tous genres qui semblaient avoir été détachée de la structure principale par une déflagration d'origine inconnue. Etait-ce une explosion ou...autre chose ? La visibilité dont nous bénéficiions ne permettait pas de le démontrer. Surtout, nous n'avions pas fait tout ce périple juste pour étudier des gravats. Skuld, à l'inverse de nous qui tentions d'éviter ces débris qui risquaient de nous blesser, était aux anges. Dès qu'il repérait un débris en fer, son premier réflexe était de foncer droit sur lui pour dévorer tout ce minerai de fer. Cela avait au moins le mérite de rompre le silence de mort qui régnait dans ce lieu sinistre.
Après un certain temps passé à faire le tour de l'édifice dévasté, Octave m'interpella pour me signaler qu'il avait localisé l'entrée. Il n'y avait pas de porte, sauf à considérer que les deux tôles froissées qui nous bloquait l'accès à l'intérieur de la centrale en ruines avaient jadis joué ce rôle. Face à l'obstacle, le Destogoride s'arrêta net et se mit à réfléchir tout en grattant son menton barbu avec une de ses mains. Assez rapidement ensuite, il me dit.
- Bon, si j'en crois les bruits que fait ton pokémon derrière nous il semble affamé. Et bien, je pense qu'on va se servir de son appétit pour débloquer cette entrée. J'imagine que tu as compris où je veux en venir...
Evidemment que j'avais compris où il voulait en venir. Ce n'était pas moi avec ma musculature modeste qui allait détruire deux couches de tôle qui devaient peser chacune plusieurs dizaines de kilos. Je sifflai donc Skuld. Le brouillard altérait certes la visibilité, mais en rien la propagation des sons. Quelques secondes plus tard, il accourut vers moi, fendant la brume avec son front tranchant. Une fois arrivé devant moi, le cavalier blindé stoppa net sa charge. C'est alors que, après m'être accroupi pour me mettre à son niveau, je lui donnai mes ordres.
- Tu vois l'entrée bloquée là-bas ? Je veux que tu débloque le passage pour nous en la chargeant. Si tu réussis, tu pourras dévorer tout ce métal délicieux.
Aussitôt dit, aussitôt fait : à peine m'étais-je relevé que mon pokémon était reparti quelques mètres en arrière avant de se mettre dans l'axe de l'entrée et prendre du recul. La discipline de cette espèce de pokémon m'a toujours étonné, à moins que ce que je prenais pour de la discipline n'était en fait qu'une gourmandise rendue nécessaire par la biologie. Bref, après avoir pris préparé sa première attaque le pokémon armurfer se mit à charger. Dans l'intervalle, nous avions bien évidemment fait en sorte de ne pas nous trouver sur le passage. Les conséquences d'un choc avec un galegon en pleine charge étaient incalculables, et les sbires de la Brigade Noire en avaient déjà fait les frais à Argenta, au début du mois. Le bruit des pas de la créature blindée causaient à chaque contact sur le sol de petites secousses sismiques qui étaient suffisamment fortes pour que je sente la terre vibrer sous mes pieds. Finalement, le moment du contact arriva enfin et la victoire fut totale. Dans un fracas assourdissant, le char d'assaut qui me servait de pokémon propulsa les deux tôles de métal loin à l'intérieur de la Centrale avant de finir sa course encastré dans un des murs de le Centrale. Le choc final avait été violent, probablement encore plus que le premier. Et pourtant, Skuld n'avait rien. Le crâne enfoncé profondément dans la paroi de la première pièce de la Centrale, il s'en extraya péniblement. Puis, il regarda les alentours jusqu'à localiser et dévorer le fruit de tous ses efforts. Quelques minutes plus tard, des deux imposantes tôles d'acier qui nous barraient la route il y a peu il ne restait plus rien. Nous pouvions enfin pénétrer dans l'obscurité métallique de l'usine à l'abandon.
C'est Octave qui entra en premier. Je le suivis de près, impressionné par l'ambiance claustrophobique qui régnait à l'intérieur. Le Destogoride, voyant l'absence totale d'éclairage à l'intérieur, posa son sac à dos sur le sol afin d'en extraire une lampe de poche électrique. De mon côté, j'avais sifflé de nouveau afin de rappeler Skuld à mes pieds. Nous étions de nouveau réunis, et finalement la lumière arriva enfin. Mon compagnon de route, avant de s'enfoncer davantage dans la Centrale, commença tout d'abord par faire une rapide reconnaissance des lieux à l'aide de son outil électroluminescent. La pièce était assez petite, rectangulaire et les parois étaient remplies de ce qui semblait avoir été des machines électriques si l'on en croyait les compteurs de kilowatts brisés qui se trouvaient dessus. Quant au toit, il était partiellement arraché : cela devait être cela que Skuld avait dévoré tout à l'heure, à l'extérieur. Après avoir fait le tour du propriétaire, le Destogoride me fit signe de le rejoindre au centre de la pièce. Il avait sorti une des cartes anciennes qu'il m'avait fait découvrir tantôt, avant notre départ. Sur la dite carte, qu'il éclairait avec sa lampe électrique, figurait un plan de la Centrale avec une croix rouge au cœur de l'édifice. C'est une fois et une fois seulement que je l'avais rejoint qu'Octave me donna un dernier briefing.
- Bien, comme tu peux le voir sur la carte nous sommes entrés dans la Centrale par l'entrée sud. Pour accéder au Temple de la Colère, il nous faut atteindre la salle du réacteur. Une fois là-bas, il faudra trouver le passage secret. Reste près de moi, qui sait ce qui peut nous attendre à l'intérieur.
Alors, nous nous mîmes en route. En pénétrant dans les abysses de l'usine désaffectée, on se rendait encore mieux compte de l'ambiance sinistre qui régnait ici. L'obscurité y était certes pour beaucoup, mais l'essentiel était ailleurs. Partout autour de nous, on ne voyait que fils électriques dénudés qu'il fallait éviter avec la grande prudence, machines éventrées et murs arrachés. Parfois, des faux contacts illuminaient brusquement la Centrale avant de la laisser replonger dans le noir. L'itinéraire que nous suivions était, du fait de l'état déplorable du lieu, sinueux. Tantôt, un mur éventré nous fournissait un raccourci inespéré vers la salle du réacteur. Tantôt, ce même mur éventré constituait un obstacle insurmontable sur notre chemin que galegon devait détruire sans ménagement. La Centrale, ce n'était plus que cela : des pièces et des corridors ravagés par le passage du temps ou d'un fléau aussi omniprésent qu'impossible à identifier. Finalement pourtant, après bien des péripéties nous arrivèrent au terme de notre voyage dans le royaume de la mort. La salle du réacteur était une salle immense tant en superficie qu'en hauteur, et surtout elle semblait être encore plus ravagée que le reste de l'édifice. Eclairant avec sa lampe ce qu'il restait du réacteur, Octave laissa échapper quelques mots de soulagement.
- Nous y voilà enfin. Tu as vu la gueule du réacteur ? Vu sa taille, pas étonnant que la Centrale ait implosé.
Implosé, c'était bien le qualificatif qui s'imposait. Le générateur électrique avait beau être immense et disposer apparemment d'un blindage très épais, cela ne l'avait pas empêché d'exploser et de dévaster avec lui tout l'édifice qui l'accueillait. Son sommet était fracturé en profondeur et donnait à ses extrémités une forme de fleur, ce qui était caractéristique d'une implosion. Nous avions donc une première réponse quant à la cause de la dévastation qui régnait dans la Centrale : le réacteur central, qui produisait jadis des millions de kilowattheures, avait explosé. Mais qu'est-ce qui avait bien pu causer cette explosion ? Bien sûr, nous n'étions pas venus ici pour analyser le site. Mais tant de mystères me plongeaient dans une perplexité profonde.
- Fuyez, pauvres fous !
Jaillissant derrière moi des ténèbres, c'est le bruit d'une voix irritée accompagnée d'un coup dans le dos qui me sortit de cette perplexité. Le coup était si puissant qu'il me projeta sur le sol froid et rocailleux de l'usine. Surpris, Octave se retourna d'un bond vers moi. J'étais à terre. Le Destogoride, après avoir regardé un peu partout sans voir l'ombre d'un agresseur, se mit à crier.
- Qui est là ?
La voix se refit rapidement entendre. Mais avant de répondre à Octave, un rire dément résonna tel un écho dans toute la Centrale. Qu'était cet être mystérieux qui nous parlait ?
- Octave...Tu ne me reconnais pas ? Tu me déçois, vieux compagnon...
Ces simples mots interloquèrent, proprement, Octave. Quelle qu'était l'identité de l'étrange voix irritée, elle connaissait Octave. Avide de réponses, Octave répondit immédiatement.
- Comment connaissez-vous mon nom ?
Un nouveau rire dément suivit la réplique d'Octave. Et après que le temps de la folie soit passé de nouveau, le temps des derniers mots vint finalement.
- Tu sauras bien assez tôt qui je suis...Mais si vous bravez mon avertissement, vous devrez en assumer les conséquences. Si votre choix est d'aller affronter votre anéantissement, ainsi soit-il. Mais je vous aurais prévenu.
A l'écoute de ce discours aussi moralisateur que brumeux comme le climat local, je me relevai avant de répondre à la voix. La réponse était certes spontanée. On ne peut pas dire qu'elle était sage, ni même subtile.
- Foutaises !
Mais la voix ne répondit rien. En lieu et place de réponse, un vacarme assourdissant jaillit du néant suivi d'une bourrasque d'énergie partie du sol pour disparaître dans les cieux. La bourrasque était si puissante qu'elle déchira le voile d'ébène de la Centrale, et même plus largement de cette nuit qui n'en finissait pas de s'achever. La mort des sens reprit ensuite ses droits dans ce tombeau électrique où nous errions depuis maintenant une heure. Quant à Octave, il resta prostré quelques minutes. Cette rencontre pas tout à fait hostile, mais pas non plus amicale que nous venions de faire lui avait laissé des séquelles et cela se sentait. Après le départ de la mystérieuse connaissance du Destogoride, il s'était écroulé sur une des parois du réacteur qui avaient le mérite d'être encore debout. Pour le rassurer, mais aussi pour me rassurer moi-même, je l'aidai à se relever avant de lui dire quelques mots.
- Ne t'en fais pas, ça devait être un des sbires de la Lune Noire. J'espère que tu ne crois pas un traître mot du baratin qu'il nous a sorti.
Octave resta tout d'abord silencieux, avant de répondre péniblement.
- Non, il ne nous voulait aucun mal. Il voulait simplement nous avertir du danger qui nous attend.
Je repris mon calme. Il est vrai que je n'avais pas l'expérience d'Octave, peut-être savait-il des choses qui m'échappaient. Mais j'avais subi la perversité des Xort'Udur, alors venant de la part de la Lune Noire on pouvait être en droit de s'attendre à tout et surtout au pire. Sans me laisser le temps de continuer, le vieux sage reprit l'initiative.
- J'ai jadis connu un Destogoride qui ressemblait à cet être mystérieux, mais cela ne peut être lui : il est mort depuis longtemps. Bref, j'ai le sentiment que nous en apprendrons plus sur lui dans le futur. En attendant, nous avons perdu suffisamment de temps : viens, il faut que nous trouvions ce passage secret. Tu as une idée d'où il pourrait se cacher ?
Ce n'est pas moi qui répondit à la question d'Octave, mais le cri d'un galegon de l'autre côté du réacteur. Bon, bien évidemment ce n'était pas n'importe quel galegon : c'était Skuld. Il semblait avoir découvert quelque chose. Armé de sa lampe torche, Octave accourra alors vers le pokémon avec moi à sa suite. Ce que mon pokémon avait découvert, c'était un pavé de pierre encastré derrière le réacteur. En apparence, le pavé n'avait rien de particulier. Et pourtant, à y regarder de plus près on pouvait voir des inscriptions zarbi cachées sous la poussière. Le Destogoride inspecta attentivement le fameux pavé et rendit finalement son verdict.
- Cela ne fait aucun doute : c'est le fameux passage secret que nous cherchions. Ton pokémon est décidément loin d'être un idiot, jeune homme. Normalement, si on effectue une pression assez forte sur la dalle le chemin devrait s'ouvrir...
A ces mots, Octave se releva et marcha sur la fameuse dalle. Mais rien ne se passa. Il retenta une seconde fois, sautant à pieds joints. Rien ne se passa non plus. Mon mentor, constatant ses échecs, s'adressa alors à moi.
- Etrange, je ne dois pas être suffisamment lourd pour déclencher le mécanisme. Demande à Skuld de se placer sur la dalle dans ce cas, lui au moins devrait faire le poids.
Conscient qu'il n'y avait pas de temps à perdre, je sifflai Skuld. Pendant l'examen de la dalle, il semblait s'ennuyer terriblement puisqu'il était parti s'amuser à jouer au bélier sur une des parois de la salle à proximité de nous. Bien évidemment, il répondit présent immédiatement comme à son habitude. Il prit d'abord de l'élan. Il commença ensuite à charger et, quelques mètres avant le bloc de pierre qui était notre cible, il sauta brusquement en l'air pour retomber miraculeusement dans l'axe. Ses quatre lourdes pattes blindées s'écrasèrent ainsi de justesse sur le fameux pavé. Le choc était si fort qu'il résonna dans toute la Centrale. Cent vingt kilos venaient de s'abattre sur la dalle. Est-ce que cela avait été suffisant ? Après que l'onde de choc ait fini de se propager dans toute la pièce à la manière de l'épicentre d'un petit séisme, le silence reprit alors ses droits. Octave et moi, nous redoutions un troisième échec. Et puis, finalement, le miracle se produisit. On entendit sous nos pieds un cliquetis s'enclencher puis, très rapidement, la dalle commença à s'enfoncer dans les profondeurs de la terre avec galegon au-dessus d'elle. Le processus se poursuivit pendant plusieurs minutes sous nos yeux ébahis. Au fur et à mesure de la descente de la dalle, on pouvait également voir des aspérités dans la roche dont l'alternance régulière faisait penser à une sorte d'échelle.
Au bout d'un moment, un second cliquetis se fit entendre. Le son était cette fois beaucoup plus éloigné. La seule chose que l'on entendait à présent était les bruits sourds des pas de Skuld, loin dans les entrailles de la terre. C'était à présent à nous de descendre. Avant de braver le vertige et de m'engager sur l'échelle, je lançai un rapide regard furtif dans le trou béant qui me faisait désormais face. On ne voyait même pas le fond. Je n'étais pas très rassuré : après tout, c'était bien la première que j'allais devoir escalader un précipice aussi profond. Mais il fallait pourtant bien se lancer. Alors je finis par m'engager, pressé il est vrai par la nervosité d'Octave qui semblait en avoir plus qu'assez de cette Centrale sinistre. Il me suivit peu après dans ce puits étroit. Plus on descendait, plus il faisait frais et humide. J'en avais des frissons.
Mais heureusement, toutes les mauvaises choses ont une fin. Mes pieds finirent en effet par retrouver cette dalle qu'avait piétiné Skuld il y a peu. Arrivé au sol, je me dégageai ensuite de l'échelle naturelle qui nous avait permis d'arriver jusque-là et je continuai sur l'unique chemin qui s'offrait à moi. Je devais retrouver Skuld : où avait-il bien pu passer ? Bon, il n'avait pu aller bien loin. Tout en avançant, j'observais l'endroit où je me trouvais. Cela n'avait pas l'air pour l'instant d'être bien différent de la Centrale : la seule différence était que l'éclairage était bien meilleur grâce aux torches qui éclairaient le chemin ici et là. Qui avait bien pu les placer là, je n'en avais pas la moindre idée mais de toute façon à partir d'ici il ne fallait plus s'attendre à quoi que ce soit rationnel. Je devais me préparer à pénétrer dans un temple millénaire bâti par les dieux, pas à un camp de vacances. En tout cas, à en juger l'état de la pierre des murs comme du plafond bas ainsi que le nombre incalculable de toiles d'araignée qui étaient disséminées un peu partout, l'endroit avait l'air très ancien.
Mais je m'attendais tout de même à mieux. Pour le moment, on avait plus l'impression d'errer dans une mine que dans un sanctuaire. Je manquais à chaque fois de me cogner la tête sur le plafond. Finalement heureusement, je parvins au terme de mon périple. Et le moins qu'il fallait dire, c'était que nous n'avions pas fait le voyage pour rien. Brutalement et presque sans crier gare, au détour d'un virage, une vaste salle rectangulaire entièrement construite en or apparut. Les quatre torches situées respectivement sur la partie occidentale et orientale de la pièce donnaient une coloration orangée presque irréelle à l'endroit. En face de moi, de l'autre côté, se trouvait une porte monumentale constituée du même matériau que le reste de la pièce. Enfin, dans les murs transversaux, on pouvait admirer deux magnifiques stèles dorées et symétriques. C'est ici, dans cet endroit peu commun il faut bien le dire, que je retrouvai Skuld. Il était en train de cogner inutilement sur la fameuse porte monumentale. Aucun de ses coups ne faisait subir le moindre des dommages à l'ouvrage architectural en question. Je me précipitai vers lui afin de le calmer. Une force mystérieuse semblait l'attirer irrésistiblement vers ce qui se cachait de l'autre côté du portail. Péniblement et laborieusement, je finis néanmoins à réussir à le calmer après quelques efforts démesurés et qui n'était pourtant rien par rapport à ce qui nous attendait plus loin. Je le savais pertinemment, mais pour le moment il fallait attendre Octave. Lui seul savait comment faire pour aller plus loin.
Au bout d'une dizaine de minutes, je commençais à m'inquiéter. S'était-il perdu ? Avait-il oublié quelque chose ? Je me faisais un sang d'encre, et ce d'autant plus que sans lui je n'allais pas pouvoir faire grand-chose. Pour patienter, mon pokémon et moi avions adopté deux méthodes différentes. Lui, il s'était endormi à proximité de la porte. Avec tout le fer qu'il avait absorbé aujourd'hui, du sommeil il en avait bien besoin. Moi, pour ne pas me faire un sang d'encre je m'étais décidé à étudier un peu cette mystérieuse stèle en or. Au-dessus et en bas, on pouvait lire l'inscription suivante en langage zarbi. Instinctivement, je la lus à haute voix et l'écho de la pièce donna à cette intonation un air presque incantatoire.
Jadis, l'Ombre s'abattit sur les enfants des cieux
Les souffrances étaient grandes et les morts nombreux
Mais la Colère de l'Etre Originel perça le voile de l'Ombre
Et par son juste courroux il aida les Douze
Electhor est le Vengeur
Celui qui punit les forts au nom des faibles
Et le Vice au nom de la Vertu
Les souffrances étaient grandes et les morts nombreux
Mais la Colère de l'Etre Originel perça le voile de l'Ombre
Et par son juste courroux il aida les Douze
Electhor est le Vengeur
Celui qui punit les forts au nom des faibles
Et le Vice au nom de la Vertu
Tout en lisant, je regardais l'image de la stèle. Qu'est-ce qui était représenté ? A gauche, on voyait un oiseau gigantesque au long bec crochu projeter avec ses ailes des éclairs qui fendaient l'air et dévastaient une horde de monstres situés sur la droite de la fresque. On pouvait reconnaître certains pokémons, et en particulier la Lune Noire à l'extrême de la fresque qui semblait faire face à l'oiseau électrique. C'était la seule entité qui regardait le volatile, toutes les autres créatures étaient focalisées vers l'ici-bas. L'ici-bas où la tête de Kyurem sortait littéralement du sol, comme attirée par ce déchainement de violence. Oui, belle la stèle l'était assurément. Et j'avais même le sentiment qu'elle était d'une actualité brûlante. Soudain, la voix d'Octave me fit sursauter et me sortit brutalement de ces considérations artistiques.
- Ah, je vois que tu as découvert une des Douze Titanomachies.
Je me retournai : c'était bien lui, mon mentor que j'attendais depuis un bon bout de temps. Finalement il ne lui était rien arrivé : il fallait vraiment que j'arrête de m'inquiéter pour un rien. Heureux de le revoir quoique intrigué parce qu'il venait de me dire, je lui répondis.
- Ouf tu es là : je me demandais si tu n'étais pas tombé entre les fils de la toile d'un migalos. Par contre, tu as parlé de Titanomachie ? Tu veux dire que cette stèle porte ce nom ?
Mon ignorance faisait décidément tout le temps sourire Octave, même s'il aimait toujours partager son pouvoir. Il me répondit donc à son tour.
- Ce n'est pas seulement cette stèle qui porte ce nom, mon jeune ami. Toutes les stèles de chaque sanctuaire des Douze portent ce nom, car la légende raconte qu'elles narrent l'histoire du combat entre les Douze et Kyurem. C'est précisément cela la Titanomachie : la guerre entre les dieux du Panthéon et ceux des âges plus archaïques. Ne me dis pas que tu as déjà oublié tout ce que je t'ai dit dans la Bibliothèque le mois dernier. Ah, ce que tu peux être désespérant quand tu t'y mets. Mais ce n'est pas grave. Tu m'attendais dis-tu ? Tu ne devrais pas être si pressé. Ce moment de repos que tu viens d'avoir, c'est peut-être le dernier que tu auras avant longtemps...
Et voilà, il fallait s'y attendre : Octave le moralisateur avait encore frappé. Je me contentai de soupirer, ce n'était pas vraiment utile de se disputer dans un endroit à un moment pareil. Cela aurait même été de très mauvais goût. Je me contentai de demander au Destogoride comment il comptait s'y prendre pour ouvrir le portail. Sa réponse fut cinglante. Visiblement, il avait décidé depuis son arrivée d'adopter un ton beaucoup plus offensif à mon égard. Etait-ce parce que le combat tant attendu allait très bientôt avoir lieu ? On était en droit de le penser.
- Tu oublies que je suis un Destogoride. Maintenant prépare-toi, parce que les choses sérieuses vont enfin commencer. Je vais ouvrir le portail dimensionnel.
Tyranocif Rex
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23 janvier 2013, 00:51
La porte d’or semblait scellée à jamais. Cent vingt kilos de muscles et de métal avaient tenté en vain de l’ouvrir ou, à défaut, de la fracturer. Et pourtant, c’est en plaquant puissamment ses deux mains sur les deux parties du portail qu’Octave parvint à faire ce qu’aucun homme ni aucun pokémon n’avait jamais fait depuis l’origine du monde. Immédiatement après avoir apposé ses mains sur l’épaisse couche d’or, Octave se mit en effet à émettre une étrange énergie bleue. Cette énergie bleue entourait tout d’abord son corps d’un halo azuré, mais elle se concentra très vite sur ses mains pour ensuite se disperser en arc de cercle à la manière d’une onde de choc sur toute la surface du portail. Le souffle émis fut tel qu’il éteignit les deux torches de la pièce proches du portail. Dans un bruit d’engrenages, le portail finit par enfin s’ouvrir dans la pénombre. Les pouvoirs quasi-magiques d’Octave auraient pu étonner un néophyte. Et, pourtant, c’était tout à fait logique. C’était tout à fait logique parce que comme le disait lui-même mon mentor, il était un Destogoride. Et les Destogorides sont les gardiens des temples sacrés des Douze. Quel gardien pouvait être crédible s’il n’avait pas les clés de ce qu’il était chargé de protéger ?
L’ouverture du portail révéla un vortex d’énergie azuré dont l’apparition provoqua un puissant courant d’air dans toute la pièce. La brutalité de ce souffle était tel qu’il acheva d’éteindre les torches qui avaient encore l’outrecuidance d’être allumées. Comme tous les vortex, un souffle puissant cherchait à aspirer tout ce qui se trouvait à proximité. J’avais du mal à rester immobile sur mes pieds tellement sa puissance était grande. Même Skuld, malgré sa centaine de kilos bien assumée, subissait les effets de ce cyclone d’énergie. Oh, bien sûr, il tentait de résister. Mais cette initiative était vaine : il avançait inexorablement. Quant à moi, j’admirais non sans crainte la beauté de cet œil de cyclone qui me faisait face. Me dévorer, cet œil de Polyphème le désirait ardemment. S’exaspérant face à mon stoïcisme tant poétique qu’inapproprié, Octave me prit par la main et me dit quelques mots afin de me sortir de ma torpeur.
- Qu’attends-tu ? Nous n’avons pas de temps à perdre. Tu te trouves en présence du fameux portail dimensionnel dont je t’ai parlé. Il nous mènera directement là où se trouve Electhor : dans sa prison dimensionnelle, dans les limbes du Monde Distorsion. Accroche-toi, ça va secouer.
Aussitôt après il sauta dans le vortex avec moi. Skuld nous suivit également de près malgré ses réticences. Se trouver dans un vortex avait quelque chose d’hypnotique. Décrire cette sensation avec des mots était très difficile. Mais pour le dire simplement, nous étions en apesanteur dans un tunnel d’énergie, secoués comme un sac de patates par d’innombrables fluctuations dans l’air. Surtout, tenter de changer sa trajectoire était aussi vain que dangereux. En effet, en le faisant on courait le risque de se faire démembrer à tout moment sous l’effet de ces vents à la puissance incalculable. Même mon pokémon, malgré son poids, semblait plus léger qu’un granivol. Il nous posait d’ailleurs un gros problème, puisque ce vortex faisait de lui un véritable boulet de canon incontrôlable qui manquait de nous blesser mortellement à chaque fois qu’il passait devant nous. Fort heureusement, après quelques minutes de frayeur intense, la fin du tunnel jaillit devant nous sous la forme d’un éclat de lumière intense. Comment pouvais-je discerner de la lumière, moi qu’un fantaisiste pokémon oiseau avait rendu aveugle ? Je ne la discernais pas vraiment, en tout cas pas au sens strict. Ce halo luminescent, je le détectais par le biais d’un phénomène qui me surprit moi-même. Etrangement, j’avais senti qu’Octave et Skuld avaient fermé leurs yeux. Oui, pour le commun des mortels ce genre de dires passerait aisément pour de la folie. Et pourtant c’était la stricte vérité. Je venais en effet de redécouvrir une aptitude que j’avais fini par oublier : lorsque d’autres êtres vivants m’étaient proches, j’étais capable de ressentir tout ce qu’ils faisaient avec leur corps. C’était la première fois qu’un tel pouvoir s’exprimait depuis plus d’un an. Etait-ce donc là ce que voulait dire Xatu lorsque, jadis, il me dit ces mots emplis de mystère : « tu vois ce qu’ils ne verront jamais ». Depuis mon départ de mon foyer natal de la maintenant lointaine Johto, jamais plus ce pouvoir ne s’était exprimé. Etait-ce le début de ce qu’on appelle la télépathie ?
Après le halo de lumière argentée, le vortex s’ouvrit dans un espace gazeux, obscur et surtout indéterminé. C’est à ce moment précis qu’il nous expulsa définitivement. Nous tombâmes sur une surface probablement rocheuse si j’en croyais le mal de dos que je ressentis immédiatement après ma chute. Skuld, quant à lui, ne semblait aucunement désapprouver cette surface si familière aux pokémons roche. Il faut croire que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Le seul à ne pas manquer sa chute fut Octave. Il avait en effet réussi à prendre exactement le bon angle à la sortie du vortex, ce qui lui permit de retomber sur ses pieds avec une grande classe. Nous voyant au sol et complètement hébétés, il ne put s’empêcher d’esquisser un de ces sourires agaçants dont il avait le secret. Mais cet agacement eut au moins le mérite de me pousser à me relever, tandis que je grommelais des mots que la morale réprouve dans le même temps. Ce n’est qu’une fois debout que je pus me rendre compte de la nature réelle de l’endroit où nous avions atterri.
Les cieux étaient plus noirs que le cœur de la Lune Noire. De çà et là, des éclairs venus de nulle part jaillissaient et éclairaient très brièvement notre environnement avant de disparaître. L’aspect sinistre de tout ce décorum gothique m’était hélas familier. Et cette familiarité ne fit que se renforcer lorsque je me mis à examiner le panorama. Nous nous trouvions sur une sorte de plate-forme en pierre qui flottait dans les airs en défiant les lois de la physique. Mais le plus comique se trouvait en face de nous. Un immense escalier montait en effet vers une autre plate-forme du même type, qui avait simplement pour particularité d’être beaucoup plus grande et d’être située en hauteur. L’escalier semblait être l’œuvre d’un recalé en école d’architecture, puisqu’il se tordait sur un axe horizontal dans tous les sens sous la forme d’une spirale qui faisait penser à un serpent. Cette spécificité posait un problème certain pour les éventuels piétons, puisque les dalles se trouvaient du même coup en violation totale de la gravité. Suivre l’unique chemin signifiait de facto marcher la tête en bas. Oui, il n’y avait aucun doute à avoir : nous étions dans le Monde Distorsion. Et cette fois, nulles âmes n’étaient là pour nous guider et aucun éclat oculaire rougeoyant n’illuminait le néant au loin afin de nous inviter à converser avec le maître des lieux.
Le fait que nous avions atterri ici, dans le royaume des morts, confirmait la théorie d’Octave selon laquelle la Lune Noire avait pris le contrôle des Colonnes Lances et emprisonné les Douze ici. Ce n’était donc pas bon signe. Pour autant, l’endroit ressemblait à tout sauf une prison. Intrigué, je fis part à mes interrogations à Octave.
- Heu, tu es sûr que c’est ici la fameuse prison spirituelle dont tu parlais ? Ça n’a pas l’air vraiment très différent du reste du Monde Distorsion.
Le Destogoride s’était avancé à une dizaine de mètres de moi, au pied de l’escalier distordu. Il fixait la plate-forme qui se trouvait au sommet, comme plongé lui aussi dans ses réflexions. Au bout d’un moment, il finit néanmoins par me répondre tout en s’amusant d’une question qu’il semblait trouver farfelue.
- Tu croyais trouver quoi dans le Monde Distorsion ? Des barreaux avec un geôlier ? Quoique, un geôlier nous attend peut-être là-haut. Mais pour ce qui concerne les barreaux, réfléchis un peu. Nul n’est besoin d’ériger des frontières pour signifier l’enfermement. Regarde autour de toi : vois-tu une sortie ? Ce lieu de perdition est en soi une prison où nul ne peut fuir sans en avoir les clés. J’ignore ce que nous rencontrerons en haut de cet escalier, mais tiens-toi sur tes gardes. Ici, le danger est partout.
C’est sur ces mots qu’il termina avant de commencer à gravir le fameux escalier. Je lui emboîtai le pas immédiatement sans oser lui répondre. Après tout, nous n’avions spécialement le temps de tenir un salon de thé alors qu’un dieu devait être libéré des griffes des sbires de la Lune Noire. Tout en marchant, je regardais l’horizon. Ce serpent de pierre était d’une longueur astronomique. C’est à peine si l’on pouvait apercevoir son terme, situé loin en hauteur. Pour autant, le plus perturbant pour moi était ailleurs. Je redoutais le moment où le cheminement de l’escalier allait nous conduire à faire fi de la gravité, et donc à nous retrouver la tête en bas. Qu’allait-il se passer à ce moment-là ? Allions-nous tomber dans le vide ? Lorsque le moment fatidique arriva et que les dalles commencèrent à progressivement basculer verticalement, je m’arrêtai net. J’étais comme figé par le vertige, paralysé par la peur de tomber. Je demeurai ainsi pendant plusieurs bonnes minutes, jusqu’à ce qu’Octave arrive et me force la main non sans une pointe d’agacement.
- Et bien, qu’attends-tu ? Ne me dis pas que tu n’as jamais expérimenté la gravité si particulière du Monde Distorsion. C’est pas vrai, mais qu’as-tu fait lorsque tu étais chez Giratina ? Tu bronzais ? Très bien, je vais passer devant toi pour te montrer qu’il n’y a absolument aucun danger. Mais tu as intérêt de me suivre de près !
Joignant le geste à la parole, Octave se remit ensuite à avancer. Et contrairement à ce que je craignais, ses pieds restaient solidement au contact des marches alors même que son corps se trouvait maintenant à l’horizontale par rapport à moi. Ses pieds se trouvaient à ma droite, au niveau de ma tête. C’était inconcevable, et pourtant il fallait bien que je me rende à cette évidence : les lois de la physique, le Monde Distorsion n’en avait cure. Dans cette dimension parallèle, la gravité s’exerçait à partir des entités solides qui flottaient dans le vide un peu partout. En quelque sorte, chaque escalier, chaque plate-forme constituaient autant de terres qui exerçaient chacune leur propre champ de gravité. Fort de cet enseignement, je m’engageai à mon tour dans la seconde partie de l’escalier. Très rapidement, la vision que j’avais du panorama changea du tout au tout. Le haut était devenu le bas. La droite était devenue la gauche. S’orienter était devenu impossible. C’est à peine si je pouvais distinguer le début de la fin de l’escalier, l’alpha de l’oméga, notre lieu de départ de notre destination. Heureusement, Octave était là pour me guider. Finalement, après bien des vertiges et hallucinations topographiques, nous atteignîmes le sommet de l’escalier.
Au sommet, l’escalier débouchait sur la plate-forme que nous avions repérée plus tôt. La plate-forme était assez grande et forme rectangulaire : il fallait donc en faire le tour pour essayer de trouver l’endroit où était emprisonné Electhor, et tenter de le délivrer. Sans le soutien d’un dieu, nous étions démunis pour lutter contre les forces innombrables de nos adversaires. Après être arrivés au milieu de cette île flottante, nous finîmes par découvrir quelque chose d’étrange. Au sol, on pouvait voir une immense dalle circulaire en obsidienne sur laquelle semblait être gravée un dessin. Octave, tout comme moi, inspectait attentivement la dalle tout en la longeant en prenant garde de ne pas marcher dessus. Qui sait, cela pouvait être un piège : on n’était jamais trop prudent. Finalement, Octave se résolut à rendre la conclusion à laquelle j’étais également parvenu.
- Un long bec, des ailes qui prennent la forme d’éclairs, un regard perçant : pas de doute, cela ne peut qu’être Electhor.
Cela tombait sous le sens : aucun pokémon ne ressemblait à Electhor. Je me souviens de ma rencontre avec cette déité. Ce qui m’avait frappé à l’époque, et qui m’est resté en mémoire jusqu’à aujourd’hui, c’est cette sévérité extrême dans le regard. Regarder Electhor dans les yeux, c’est exactement comme se retrouver face à un juge impitoyable qui ne pardonne jamais. Cette intransigeance se retrouvait dans le regard de l’Electhor qui était représenté sur la dalle. C’était comme s’il avait été pétrifié par une force occulte et que son dernier regard avait été gravé dans l’obsidienne. A mon tour, je finis par prendre la parole afin de faire part de mes interrogations à Octave.
- Tu penses que…c’est cela la prison spirituelle d’Electhor ? Tu penses que son âme et son corps ont été scellés là-dedans ?
Mon mentor s’apprêtait à répondre par l’affirmative au vu du hochement de tête d’approbation qu’il faisait. Mais il ne put me répondre. Soudainement, comme venue de nulle part, une musique surnaturelle se fit entendre. Le bruit était d’abord sourd, mais il devint très rapidement de plus en plus audible. On reconnaissait le son caractéristique de l’orgue. Le rythme était lent, la mélodie était triste. Tous deux surpris et pris de panique à l’idée d’avoir été repérés, nous regardions et courrions dans toutes les directions dans l’espoir de localiser l’origine de cette musique. Mais quelle que soit la zone vers laquelle nos sens se focalisaient, nous ne rencontrions qu’une chose : le néant, et cette mélodie lugubre. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’un mystérieux musicien jaillit progressivement des cieux aux commandes d’un imposant orgue noir et doré. Le son qu’il émettait avec ses doigts noirs de pianiste empli de maestria était maintenant très puissant, emplissant le royaume des morts jusqu’en ses confins les plus oubliés. Dans une vision qui faisait penser à celle d’un ange descendant du paradis, il se dirigeait droit vers nous en réduisant lentement son altitude. C’est comme s’il voulait prendre son temps. Le mystérieux mélomane volant était difficile à décrire dans la pénombre. Et cette description était d’autant plus difficile à accomplir qu’il était positionné dos à nous, face à son instrument de musique qui vociférait aussi fort qu’un brouhabam en colère. Toutefois, au fur et à mesure qu’il se rapprochait de nous on pouvait voir que son corps semblait ceinturé d’anneaux dorés au niveau des bras et du milieu du dos. Quant à son ventre, il se révéla très vite fort corpulent.
L’être jailli du néant se trouvait à présent à une cinquantaine de nous alors même qu’Octave, moi et même Skuld étions tous trois pétrifiés par ce spectacle inattendu. Nous nous attendions à être attaqués à tout moment par je ne sais quel pokémon ténèbres ou spectre. A bien regarder le musicien, il pouvait en effet être rattaché à une espèce de pokémon accoutumé à l’empire des ombres. Mais comme cette entité se trouvait dos à nous, je n’étais pas encore sûr d’avoir bien cerné l’identité de cet étonnant personnage. Toujours est-il qu’au lieu de nous attaquer, il interprétait une symphonie avec nonchalance. N’était-ce pas absolument improbable en un lieu pareil ? La réponse à toutes ces interrogations vint lorsque, tout en continuant à jouer, il se mit à déclamer un poème en rythme avec la musique. Décidément, nous allions de surprises en surprises dans cette prison spirituelle qui ressemblait à tout sauf une prison.
La dernière note que le musicien-poète fit fut aussi le dernier vers qu’il déclama ainsi que le moment précis où son orgue atteignit le sol, juste devant nous et la dalle sur laquelle figurait la gravure d’Electhor. La maîtrise musicale et rythmique de cette créature à l’allure anthropomorphique était extraordinaire, et était le signe d’une très grande intelligence. Une fois que le silence était revenu dans le Monde Distorsion, il resta immobile quelques instants comme s’il était figé. Puis, il se leva brusquement de son orgue et nous fit pour la première fois face. Ce qu’il révéla de lui ne fit que je confirmer ce que je redoutais. Un œil unique, un ventre qui ressemblait à un visage et une substance gazeuse qui remplaçait des jambes inexistantes : ce musicien n’était autre qu’un noctunoir titanesque. Son œil unique nous fixait obsessionnellement tandis que son ventre souriait. J’étais pétrifié : le pokémon avait une allure si écrasante qu’il était impossible de ne pas se sentir dominé psychologiquement lorsqu’on lui faisait face. En revanche, Octave était comme d’habitude imperturbable. Plein d’aplomb, il s’adressa au pokémon spectre.
- Enfin nous t’avons trouvé, sbire de la Lune Noire. Joli concert, mais ne crois pas que la poésie nous a fait baisser notre garde. Je mettrais néanmoins à ton crédit que tu as probablement fait l’entrée la plus recherchée que j’ai vue depuis bien longtemps dans les rangs de tes amis. A présent, à moins que tu ais encore un concerto à nous jouer tu nous excuseras mais nous avons un dieu à réveiller. En garde, on va voir si tu maîtrise aussi bien l’art des armes que ton orgue.
Il faut croire que l’audace d’Octave n’avait aucune limite. J’avais bien essayé d’indiquer par signes interposés au Destogoride de se calmer et d’essayer de dialoguer avec un ennemi moins bourrin que la moyenne de ceux que j’avais rencontré jusqu’ici, mais il m’avait indiqué poliment de me taire. Quant au noctunoir, sa réponse me fit très clairement comprendre qu’il était dans le même état d’esprit que moi.
- C’est d’un ennui tous ces mortels qui se prennent pour des dieux. Et c’est d’autant plus ennuyeux que c’est l’homme censé être le plus sage qui l’est le moins. Tu devrais écouter ton petit camarade, étranger. Mais puisque tu sembles être complètement déconnecté des réalités, alors soit. Nous allons nous livrer au jeu futile du combat à mort. Après tout, c’est pour ça que mon maître m’a envoyé ici non ? Noctale va te faire payer jusqu’aux tréfonds de ton âme tes insultes.
Un rire dément plus tard, l’affrontement débuta enfin. Et cet affrontement, on ne pouvait pas vraiment dire qu’il commençait sous les meilleurs augures. Avant même qu’Octave n’ait pu se transformer en pokémon, le smiley cyclopéen sans pattes étendit sa main vers notre direction à une vitesse incroyable et envoya une onde télékinésique violacée qui nous repoussa puissamment en arrière. Chutant sur le ventre, Octave laissa échapper un juron.
- Merde, il est puissant ce crétin.
Hélas, à peine Octave avait-il pu dire cela que Noctale était déjà arrivé à son niveau et le souleva avec une nouvelle onde psychique avant de l’immobiliser et de le regarder droit dans les yeux. Il prit ensuite un malin plaisir à humilier mon mentor en monologuant devant lui alors même qu’Octave ne pouvait plus faire un geste.
- Dis-moi, qu’est-ce que vous avez tous à vouloir sauver le monde ? Je veux dire, à ce que je sache vous allez tous mourir un jour ou l’autre alors autant que ce soit le plus tard possible, non ?
Pendant tout ce temps qui pourrait paraître long mais qui s’étalait en fait sur une poignée de secondes, je n’avais eu le temps de rien faire. Vainement, je tentai de profiter du fait que Noctale était focalisé sur Octave pour tenter une première offensive en intimant l’ordre à Skuld de foncer sur le spectre. Mais une fois encore, le noctunoir était trop rapide. Ses réflexes étaient tels que sans même avoir à regarder mon pokémon, il parvint à l’immobiliser à l’aide de ses pouvoirs psychiques avec un des bras qui paralysait Octave. Malgré sa centaine de kilos, c’est sans difficulté qu’il parvint ensuite à le projeter violemment vers le fond de la plate-forme. Toutefois, l’échec de ma tentative était relatif puisque j’avais réussi à libérer le Destogoride des griffes de notre adversaire. Comme l’union fait la force, je lui demandai alors de me rejoindre. Il fit d’ailleurs cela bien volontiers au vu de la raclée que Noctale venait de nous infliger. Les deux camps se faisaient à présent face. Nous étions déjà épuisés alors que le spectre n’avait subi aucun dommage. Il nous fixait avec condescendance, tandis qu’il se remettait à palabrer.
- C’est d’un ennui, à quoi bon tout ça ? Je le redis, pourquoi vous battez-vous face à des forces qui nous dépassent ? Si vous persistez, je vais devoir vous anéantir. Dépenser son énergie c’est bien, mais le faire face au grand Noctale ne vous mènera qu’à une mort prématurée.
Octave rongeait son frein. Il avait envie de faire ravaler chacun de ses mots à l’arrogant pokémon, mais pour une fois je pris une initiative et je lui demandai de se taire pour prendre la parole à sa place. Je m’adressai donc à notre imposant adversaire avec un courage et une force de conviction dont je m’estimais incapable.
- Je vois que tu n’es pas le monstre que tu fais semblant d’être. Tu es plus puissant et plus rapide que nous, c’est certain. Mais toi, pourquoi te bats-tu pour un maître qui te considère tellement qu’il te laisse dépérir dans une sinistre partie du Monde Distorsion ? N’aspire-tu pas à autre chose ? Ton obsession à vouloir refuser le combat comme tes vers, tout montre que tu ne veux pas le mener ce combat. Alors pourquoi combats-tu pour la Lune Noire ?
Par un procédé rhétorique ingénieux que certains médisants pourraient qualifier de sophiste, j’étais parvenu à retourner la question de Noctale en le mettant face à ses contradictions. En m’écoutant, le noctunoir se mit dans un état étrange. Il se mit à mettre ses deux mains sur sa tête et à hurler comme un damné sans que je comprenne vraiment pourquoi, avant de devenir agressif et reprendre le combat sans prévenir.
- Sors de ma tête, esprit abject. Non, la Lune est le seul qui t’aime et te comprenne. Tu dois anéantir ces ennemis de ton maître. Ce n’est qu’en faisant cela qu’il ne te punira pas pour tes hésitations. J’en ai assez entendu, mortel ! Je n’ai de leçons à recevoir de personne, je suis le grand Noctale ! Le plus puissant de tous les spectres. Je vais te briser.
L’état de rage profonde dans laquelle il venait de rentrer le conduisit à lancer des attaques psychiques désordonnées dans toutes les directions. Au début, il gardait la rapidité et la précision qu’il avait montrée au début de l’affrontement. Nous essuyions nombre de ses attaques sans pouvoir les esquiver. Chacune d’entre elle nous affaiblissait davantage. Mais progressivement, avec l’augmentation du rythme de ses attaques sa précision diminua jusqu’à nous permettre de l’esquiver. Puisant dans nos dernières forces, nous sautions, nous courrions dans toutes les directions. Il n’était pas question de lui porter des coups : c’était inutile. La colère de Noctale trahissait une faille que j’avais réussi à découvrir. Il fallait maintenant l’exploiter en épuisant ce spectre hors du commun. Sa dernière attaque fut aussi la plus puissante. Le dévoreur d’âmes ouvrit la bouche de son ventre et se mit à générer un puissant cyclone d’énergie psychique qui aspirait tout ce qui se trouvait aux alentours, nous y compris. Nous avions beau tenter de résister, nous avancions inexorablement. Dans l’œil du cyclone et alors que nous n’étions à présent qu’à quelques petits mètres du ventre béant du noctunoir, Octave s’inquiétait même si cela ne l’empêchait pas pour autant d’user de son ineffable ironie.
- Dis, je ne sais pas si tu es au courant mais il y a un avis de tempête. Je conçois que c’est fascinant de regarder la météorologie du Monde Distorsion se déchaîner, mais tu ne penses pas qu’il serait temps de faire quelque chose pour ne pas accroître le surpoids de ce pauvre Noctale ?
Il est vrai qu’Octave n’avait pas tort. Je cherchais des arguments pour que Noctale revienne à la raison, mais les mots me manquaient. C’est alors que je me mis à regarder Skuld, qui se faisait aspirer un peu moins rapidement que nous du fait de son poids. En le regardant, j’eus alors un éclair de génie que j’ordonnai aussitôt à mon pokémon d’accomplir.
- Skuld, vas-y : saute sur sa tête ! C’est la seule partie solide de son corps que tu peux toucher. Il ne pourra pas t’esquiver sans annuler son attaque.
La masse de métal s’exécuta aussitôt. Grâce à son poids supérieur, le char sur pattes réussit à s’extraire du rayon d’action de la bouche de Noctale. Il prit ensuite de l’élan, et sauta de toutes ses forces sur le spectre. La partie tranchante du crâne de Skuld était directement dirigée vers la tête du cyclope. En voyant ce boulet de canon qui arrivait sur lui à toute vitesse et se sachant pris au piège, l’œil unique de Noctale s’emplit pour la première fois de crainte. Le choc fut d’une violence extrême. En percutant le noctunoir, Skuld avait réussi à le repousser très loin derrière nous et parvint ainsi à mettre fin au cyclone. Dans sa rage de vaincre, le pokémon armurfer se mit ensuite à poursuivre Noctale afin de continuer à joyeusement lui fracasser le visage. Nous étions sauvés.
Loin devant nous, à proximité de la dalle où était emprisonné Electhor, un cyclope vaincu gémissait.
- Comment est-ce possible ? Aucun mortel n’a jamais vaincu le grand Noctale. Lune, Ô Lune, pourquoi m’as-tu abandonné ? Serait-il possible qu’ils aient eu raison ? Serait-il possible que tu te sois servi de moi ? Non, cela ne peut pas être possible…
Après nous être remis de nos émotions, Octave et moi étions prêts à récolter les fruits de cette victoire si durement acquise. Je regardais le visage de Skuld. Il me souriait et masquait la fatigue, mais la dureté de l’exosquelette de Noctale avait laissé des trous dans son blindage qui prendraient du temps à être comblées. Sans dire un mot à notre adversaire en lambeaux, Octave se dirigea vers la dalle d’obsidienne et commença à préparer le rituel de libération d’Electhor maintenant que nulle présence maléfique n’entravait plus notre chemin. Quant à moi, je ne pouvais m’empêcher de regarder avec pitié ce pauvre Noctale. L’antenne sur sa tâte était tordue, tout comme l’ensemble de son exosquelette. Son œil me cyclopéen me fixait à nouveau. Ce regard était toujours celui d’un noctunoir d’élite sûr de lui-même, mais il était désormais empreint de crainte. Il semblait s’attendre à se faire cogner par Skuld jusqu’à la fin des temps. Si Octave avait été à ma place, il aurait certainement dit que ce n’est que justice. Mais je n’étais pas comme lui. Contrairement à lui, je m’étais pris d’attachement pour ce sbire de la Lune Noire si différent des autres. Pour lui faire clairement comprendre qu’il n’avait pas à me craindre, je lui glissai quelques mots à la fois fermes et rassurants.
- Houla, Skuld y est allé un peu fort avec toi. Pardonne-le, tu arriveras à t’en remettre ? Je te l’avais dit : tu es allé contre ta nature profonde. Et c’est cette nature profonde qui t’a fait perdre ce combat alors que tu n’aurais jamais dû le perdre. Ta nature profonde, ce n’est pas de servir la Lune Noire. Ta nature profonde, c’est de servir Giratina et d’égayer le monde des vivants comme celui de tes morts de tes belles mélodies. Choisis le service de la Vie au lieu de servir celui de la Mort.
Noctale, malgré sa puissance incommensurable, me regardait sans trop y croire. En cet instant, son regard avait quelque chose de mignon. Puis, il se mit à soudainement éclater de rire avant de me répondre.
- Alors, que je sois une espèce d’imbécile tout juste bon à se faire manipuler par la première robe gothique volante venue, je veux bien. Mais se faire traiter de faiblard par un avorton, ça c’est impardonnable. Toi tu mérites une bonne correction.
Un brin inquiet par ce regain brutal d’agressivité, je reculai de quelques pas tout en lui répondant sévèrement. J’avais d’autant plus de raisons d’être inquiet que le spectre venait de se remettre à léviter et donc à me toiser dangereusement. A vrai dire, avec Noctale on n’était jamais trop prudent. Ce pokémon était tellement imprévisible.
- Ah non, ça ne va pas recommencer. Si tu veux te reprendre une raclée, Skuld est toujours là pour répondre à ton désir satané masochiste.
C’est alors que Noctale se remit à rire avant de répondre à nouveau.
- Apprends à écouter les grandes personnes lorsqu’elles parlent, petit. J’ai dit que tu méritais une bonne correction. Je n’ai pas précisé quelle était la nature de cette correction. Je parlais bien évidemment…d’une symphonie pour fêter le retour d’un de tes amis des Colonnes Lances !
J’étais sidéré. On pouvait dire qu’il m’avait eu comme un bleu celui-là en faisant mine de se montrer menaçant. A mon tour, je me mis à rire. Avec la célérité qui le caractérisait, Noctale rejoignit son orgue. Il se mit ensuite à jouer un morceau pesant et solennel au moment même où Octave déclenchait le rituel de libération d’Electhor. Tandis que le Destogoride prononçait des formules dans le langage des dieux, je regardais avec fascination l’effet du rituel sur la dalle d’obsidienne. Un rayon d’énergie doré aussi lumineux que le soleil commença tout d’abord par éclairer le tracé du dessin représentant Electhor. Puis, c’est tout le dessin qui finit par s’illuminer d’un halo doré. Mais le plus incroyable était encore à venir. De la dalle désormais dorée, jaillit en effet ce qui ressemblait à un bec. Sous ce bac, c’est progressivement tout le visage du dieu des orages qui sortit comme par enchantement du sol. Pour l’instant, ses yeux étaient fermés. Après le bec et le visage, ce furent le tour des ailes de sortir de terre. Ces ailes étaient gigantesques, fières et surtout elles commençaient à émettre un courant électrique qui était chaque seconde plus puissant. J’en finissais même par m’inquiéter pour la sécurité d’Octave tellement au stade le plus avancé du rituel il était entouré de décharges électriques qui le frôlait à chaque fois. Une fois les ailes complètement jaillies du sol, le corps émergea finalement. En l’espace de dix minutes, un des Douze dieux du Panthéon venait de sortir des limbes du Monde Distorsion. Pour autant, il n’avait pas encore ouvert les yeux : nous ne savions pas encore si le rituel avait réussi.
Comme Octave ne cessait de le dire, il fallait maintenant attendre. Nous étions arrivés à la phase la plus cruciale du rituel : celle où Electhor retrouvait le plein usage de ses pouvoirs et diffusait son électricité dans toutes les parties de son corps. Une quantité innombrable d’étincelles se propageaient à présent tout autour des ailes, du buste et de la tête du dieu ressuscité. Et, après tant d’efforts, nous vîmes enfin les yeux blancs d’Electhor s’ouvrir. L’être supérieur nous regarda et dit.
- Nous savions que l’émissaire d’Arceus viendrait rétablir la lumière dans l’empire des ombres. Nous le savions, parce que Dieu le veut.
A ces mots, le pokémon légendaire s’élança ensuite dans les cieux et se mit à tourner autour de nous tout en projetant de la foudre dans toutes les directions. En cet instant où les flashes illuminaient brièvement et fréquemment les ténèbres du Monde Distorsion, il valait mieux ne pas être épileptique. Après avoir paradé, le dieu fonça ensuite sur l’orgue de Noctale et atterrit au sommet de l’instrument, toisant d’un regard sévère celui qui l’avait maintenu emprisonné pendant si longtemps. Si au début le noctunoir ne le vit pas, il finit par l’apercevoir en levant les yeux au ciel. C’est à ce moment-là que la musique s’arrêta et que, pris d’effroi, Noctale quitta son instrument pour reculer de quelques mètres. Les deux êtres opposés par essence se fixèrent ainsi pendant plusieurs minutes. L’atmosphère devenait de plus en plus pesante. Au sens propre comme au sens figuré, il y avait de l’électricité dans l’air. Finalement pourtant, le spectre consentit à baisser son œil et à déclarer stoïquement.
- Je savais que ça allait finir comme ça. Très bien, tu réclame vengeance je suppose ? Comme toute cette violence est futile, cela ne s’arrêtera donc jamais ? Je savais que je n’aurais jamais dû écouter la voix langoureuse des Xort’Udur. Et bien soit, fait ce que tu as à faire Ô déité.
L’oiseau électrique fronça les sourcils. Puis, dans un déchaînement de violence, il chargea un halo de lumière sur la surface de son corps avant de le concentrer au niveau de ses ailes. Il envoya ensuite très rapidement cette double charge d’énergie électrique sur Noctale tout en répétant ces quelques mots dans hurlement vociférant.
- Libère cette âme, vassal de l’Ombre !
Le noctunoir hurlait de douleur. Il se tordait sur son ventre qui ne souriait désormais plus. Ce sourire avait été remplacé par une grimace. On avait l’impression que Noctale se retenait de faire sortir quelque chose de son corps. Mais l’éclat de lumière redoublait de force à chaque seconde qui passait. Soudainement, la bouche ventrale du pokémon s’ouvrit largement et libéra une masse fantomatique indéterminée. Ce spectre qui avait trouvé refuge dans l’organisme de Noctale, gémissait à son tour et tentait de s’enfuir tout en hurlant lui aussi.
- Tu es si faible Noctale. Il faut que j’informe le Maître de ce qu’il se passe ici.
Mais la chose, qui faisait étrangement penser à un Xort’Udur, n’eut le temps de rien dire d’autre. Dans un simple mouvement d’aile d’Electhor, une vague d’électricité aussi précise que meurtrière jaillit et foudroya net cette entité spectrale. D’elle, il ne resta plus rien. L’oiseau doré laissa ensuite Noctale tout seul sans lui dire un mot et atterrit juste devant nous. C’est alors qu’il nous dit sur un ton autoritaire.
- Vite, nous n’avons pas de temps à perdre. Nous pressentons que quelque chose de terrible va se passer à Doublonville. L’Ombre va très bientôt se révéler. Montez sur notre auguste dos, les dieux connaissent les chemins qui permettent de quitter le monde des morts.
Peu rassurés, nous nous exécutâmes toutefois. La peau d’Electhor était piquante du fait de l’électricité statique mais il fallait faire avec. Le confort, il était clair qu’il fallait s’en passer. Etrangement, malgré la quantité quasiment infinie de rayons électriques qui se propageaient dans l’ensemble du corps de la déité, nous n’étions jamais touchés. Expliquer ce phénomène était impossible, mais c’était comme si Electhor contrôlait chacun de ces rayons à la manière de nerfs. Toujours est-il qu’une fois solidement accrochés sur le dos de notre avion improvisé, nous nous envolâmes vers une destination où semblait se lever un grand péril : Doublonville.
Chapitre XXIV - Deus Vult
Spoiler
26 Avril - 4 AM
Narrateur : Inconnu
Narrateur : Inconnu
La porte d’or semblait scellée à jamais. Cent vingt kilos de muscles et de métal avaient tenté en vain de l’ouvrir ou, à défaut, de la fracturer. Et pourtant, c’est en plaquant puissamment ses deux mains sur les deux parties du portail qu’Octave parvint à faire ce qu’aucun homme ni aucun pokémon n’avait jamais fait depuis l’origine du monde. Immédiatement après avoir apposé ses mains sur l’épaisse couche d’or, Octave se mit en effet à émettre une étrange énergie bleue. Cette énergie bleue entourait tout d’abord son corps d’un halo azuré, mais elle se concentra très vite sur ses mains pour ensuite se disperser en arc de cercle à la manière d’une onde de choc sur toute la surface du portail. Le souffle émis fut tel qu’il éteignit les deux torches de la pièce proches du portail. Dans un bruit d’engrenages, le portail finit par enfin s’ouvrir dans la pénombre. Les pouvoirs quasi-magiques d’Octave auraient pu étonner un néophyte. Et, pourtant, c’était tout à fait logique. C’était tout à fait logique parce que comme le disait lui-même mon mentor, il était un Destogoride. Et les Destogorides sont les gardiens des temples sacrés des Douze. Quel gardien pouvait être crédible s’il n’avait pas les clés de ce qu’il était chargé de protéger ?
L’ouverture du portail révéla un vortex d’énergie azuré dont l’apparition provoqua un puissant courant d’air dans toute la pièce. La brutalité de ce souffle était tel qu’il acheva d’éteindre les torches qui avaient encore l’outrecuidance d’être allumées. Comme tous les vortex, un souffle puissant cherchait à aspirer tout ce qui se trouvait à proximité. J’avais du mal à rester immobile sur mes pieds tellement sa puissance était grande. Même Skuld, malgré sa centaine de kilos bien assumée, subissait les effets de ce cyclone d’énergie. Oh, bien sûr, il tentait de résister. Mais cette initiative était vaine : il avançait inexorablement. Quant à moi, j’admirais non sans crainte la beauté de cet œil de cyclone qui me faisait face. Me dévorer, cet œil de Polyphème le désirait ardemment. S’exaspérant face à mon stoïcisme tant poétique qu’inapproprié, Octave me prit par la main et me dit quelques mots afin de me sortir de ma torpeur.
- Qu’attends-tu ? Nous n’avons pas de temps à perdre. Tu te trouves en présence du fameux portail dimensionnel dont je t’ai parlé. Il nous mènera directement là où se trouve Electhor : dans sa prison dimensionnelle, dans les limbes du Monde Distorsion. Accroche-toi, ça va secouer.
Aussitôt après il sauta dans le vortex avec moi. Skuld nous suivit également de près malgré ses réticences. Se trouver dans un vortex avait quelque chose d’hypnotique. Décrire cette sensation avec des mots était très difficile. Mais pour le dire simplement, nous étions en apesanteur dans un tunnel d’énergie, secoués comme un sac de patates par d’innombrables fluctuations dans l’air. Surtout, tenter de changer sa trajectoire était aussi vain que dangereux. En effet, en le faisant on courait le risque de se faire démembrer à tout moment sous l’effet de ces vents à la puissance incalculable. Même mon pokémon, malgré son poids, semblait plus léger qu’un granivol. Il nous posait d’ailleurs un gros problème, puisque ce vortex faisait de lui un véritable boulet de canon incontrôlable qui manquait de nous blesser mortellement à chaque fois qu’il passait devant nous. Fort heureusement, après quelques minutes de frayeur intense, la fin du tunnel jaillit devant nous sous la forme d’un éclat de lumière intense. Comment pouvais-je discerner de la lumière, moi qu’un fantaisiste pokémon oiseau avait rendu aveugle ? Je ne la discernais pas vraiment, en tout cas pas au sens strict. Ce halo luminescent, je le détectais par le biais d’un phénomène qui me surprit moi-même. Etrangement, j’avais senti qu’Octave et Skuld avaient fermé leurs yeux. Oui, pour le commun des mortels ce genre de dires passerait aisément pour de la folie. Et pourtant c’était la stricte vérité. Je venais en effet de redécouvrir une aptitude que j’avais fini par oublier : lorsque d’autres êtres vivants m’étaient proches, j’étais capable de ressentir tout ce qu’ils faisaient avec leur corps. C’était la première fois qu’un tel pouvoir s’exprimait depuis plus d’un an. Etait-ce donc là ce que voulait dire Xatu lorsque, jadis, il me dit ces mots emplis de mystère : « tu vois ce qu’ils ne verront jamais ». Depuis mon départ de mon foyer natal de la maintenant lointaine Johto, jamais plus ce pouvoir ne s’était exprimé. Etait-ce le début de ce qu’on appelle la télépathie ?
Après le halo de lumière argentée, le vortex s’ouvrit dans un espace gazeux, obscur et surtout indéterminé. C’est à ce moment précis qu’il nous expulsa définitivement. Nous tombâmes sur une surface probablement rocheuse si j’en croyais le mal de dos que je ressentis immédiatement après ma chute. Skuld, quant à lui, ne semblait aucunement désapprouver cette surface si familière aux pokémons roche. Il faut croire que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Le seul à ne pas manquer sa chute fut Octave. Il avait en effet réussi à prendre exactement le bon angle à la sortie du vortex, ce qui lui permit de retomber sur ses pieds avec une grande classe. Nous voyant au sol et complètement hébétés, il ne put s’empêcher d’esquisser un de ces sourires agaçants dont il avait le secret. Mais cet agacement eut au moins le mérite de me pousser à me relever, tandis que je grommelais des mots que la morale réprouve dans le même temps. Ce n’est qu’une fois debout que je pus me rendre compte de la nature réelle de l’endroit où nous avions atterri.
Les cieux étaient plus noirs que le cœur de la Lune Noire. De çà et là, des éclairs venus de nulle part jaillissaient et éclairaient très brièvement notre environnement avant de disparaître. L’aspect sinistre de tout ce décorum gothique m’était hélas familier. Et cette familiarité ne fit que se renforcer lorsque je me mis à examiner le panorama. Nous nous trouvions sur une sorte de plate-forme en pierre qui flottait dans les airs en défiant les lois de la physique. Mais le plus comique se trouvait en face de nous. Un immense escalier montait en effet vers une autre plate-forme du même type, qui avait simplement pour particularité d’être beaucoup plus grande et d’être située en hauteur. L’escalier semblait être l’œuvre d’un recalé en école d’architecture, puisqu’il se tordait sur un axe horizontal dans tous les sens sous la forme d’une spirale qui faisait penser à un serpent. Cette spécificité posait un problème certain pour les éventuels piétons, puisque les dalles se trouvaient du même coup en violation totale de la gravité. Suivre l’unique chemin signifiait de facto marcher la tête en bas. Oui, il n’y avait aucun doute à avoir : nous étions dans le Monde Distorsion. Et cette fois, nulles âmes n’étaient là pour nous guider et aucun éclat oculaire rougeoyant n’illuminait le néant au loin afin de nous inviter à converser avec le maître des lieux.
Le fait que nous avions atterri ici, dans le royaume des morts, confirmait la théorie d’Octave selon laquelle la Lune Noire avait pris le contrôle des Colonnes Lances et emprisonné les Douze ici. Ce n’était donc pas bon signe. Pour autant, l’endroit ressemblait à tout sauf une prison. Intrigué, je fis part à mes interrogations à Octave.
- Heu, tu es sûr que c’est ici la fameuse prison spirituelle dont tu parlais ? Ça n’a pas l’air vraiment très différent du reste du Monde Distorsion.
Le Destogoride s’était avancé à une dizaine de mètres de moi, au pied de l’escalier distordu. Il fixait la plate-forme qui se trouvait au sommet, comme plongé lui aussi dans ses réflexions. Au bout d’un moment, il finit néanmoins par me répondre tout en s’amusant d’une question qu’il semblait trouver farfelue.
- Tu croyais trouver quoi dans le Monde Distorsion ? Des barreaux avec un geôlier ? Quoique, un geôlier nous attend peut-être là-haut. Mais pour ce qui concerne les barreaux, réfléchis un peu. Nul n’est besoin d’ériger des frontières pour signifier l’enfermement. Regarde autour de toi : vois-tu une sortie ? Ce lieu de perdition est en soi une prison où nul ne peut fuir sans en avoir les clés. J’ignore ce que nous rencontrerons en haut de cet escalier, mais tiens-toi sur tes gardes. Ici, le danger est partout.
C’est sur ces mots qu’il termina avant de commencer à gravir le fameux escalier. Je lui emboîtai le pas immédiatement sans oser lui répondre. Après tout, nous n’avions spécialement le temps de tenir un salon de thé alors qu’un dieu devait être libéré des griffes des sbires de la Lune Noire. Tout en marchant, je regardais l’horizon. Ce serpent de pierre était d’une longueur astronomique. C’est à peine si l’on pouvait apercevoir son terme, situé loin en hauteur. Pour autant, le plus perturbant pour moi était ailleurs. Je redoutais le moment où le cheminement de l’escalier allait nous conduire à faire fi de la gravité, et donc à nous retrouver la tête en bas. Qu’allait-il se passer à ce moment-là ? Allions-nous tomber dans le vide ? Lorsque le moment fatidique arriva et que les dalles commencèrent à progressivement basculer verticalement, je m’arrêtai net. J’étais comme figé par le vertige, paralysé par la peur de tomber. Je demeurai ainsi pendant plusieurs bonnes minutes, jusqu’à ce qu’Octave arrive et me force la main non sans une pointe d’agacement.
- Et bien, qu’attends-tu ? Ne me dis pas que tu n’as jamais expérimenté la gravité si particulière du Monde Distorsion. C’est pas vrai, mais qu’as-tu fait lorsque tu étais chez Giratina ? Tu bronzais ? Très bien, je vais passer devant toi pour te montrer qu’il n’y a absolument aucun danger. Mais tu as intérêt de me suivre de près !
Joignant le geste à la parole, Octave se remit ensuite à avancer. Et contrairement à ce que je craignais, ses pieds restaient solidement au contact des marches alors même que son corps se trouvait maintenant à l’horizontale par rapport à moi. Ses pieds se trouvaient à ma droite, au niveau de ma tête. C’était inconcevable, et pourtant il fallait bien que je me rende à cette évidence : les lois de la physique, le Monde Distorsion n’en avait cure. Dans cette dimension parallèle, la gravité s’exerçait à partir des entités solides qui flottaient dans le vide un peu partout. En quelque sorte, chaque escalier, chaque plate-forme constituaient autant de terres qui exerçaient chacune leur propre champ de gravité. Fort de cet enseignement, je m’engageai à mon tour dans la seconde partie de l’escalier. Très rapidement, la vision que j’avais du panorama changea du tout au tout. Le haut était devenu le bas. La droite était devenue la gauche. S’orienter était devenu impossible. C’est à peine si je pouvais distinguer le début de la fin de l’escalier, l’alpha de l’oméga, notre lieu de départ de notre destination. Heureusement, Octave était là pour me guider. Finalement, après bien des vertiges et hallucinations topographiques, nous atteignîmes le sommet de l’escalier.
Au sommet, l’escalier débouchait sur la plate-forme que nous avions repérée plus tôt. La plate-forme était assez grande et forme rectangulaire : il fallait donc en faire le tour pour essayer de trouver l’endroit où était emprisonné Electhor, et tenter de le délivrer. Sans le soutien d’un dieu, nous étions démunis pour lutter contre les forces innombrables de nos adversaires. Après être arrivés au milieu de cette île flottante, nous finîmes par découvrir quelque chose d’étrange. Au sol, on pouvait voir une immense dalle circulaire en obsidienne sur laquelle semblait être gravée un dessin. Octave, tout comme moi, inspectait attentivement la dalle tout en la longeant en prenant garde de ne pas marcher dessus. Qui sait, cela pouvait être un piège : on n’était jamais trop prudent. Finalement, Octave se résolut à rendre la conclusion à laquelle j’étais également parvenu.
- Un long bec, des ailes qui prennent la forme d’éclairs, un regard perçant : pas de doute, cela ne peut qu’être Electhor.
Cela tombait sous le sens : aucun pokémon ne ressemblait à Electhor. Je me souviens de ma rencontre avec cette déité. Ce qui m’avait frappé à l’époque, et qui m’est resté en mémoire jusqu’à aujourd’hui, c’est cette sévérité extrême dans le regard. Regarder Electhor dans les yeux, c’est exactement comme se retrouver face à un juge impitoyable qui ne pardonne jamais. Cette intransigeance se retrouvait dans le regard de l’Electhor qui était représenté sur la dalle. C’était comme s’il avait été pétrifié par une force occulte et que son dernier regard avait été gravé dans l’obsidienne. A mon tour, je finis par prendre la parole afin de faire part de mes interrogations à Octave.
- Tu penses que…c’est cela la prison spirituelle d’Electhor ? Tu penses que son âme et son corps ont été scellés là-dedans ?
Mon mentor s’apprêtait à répondre par l’affirmative au vu du hochement de tête d’approbation qu’il faisait. Mais il ne put me répondre. Soudainement, comme venue de nulle part, une musique surnaturelle se fit entendre. Le bruit était d’abord sourd, mais il devint très rapidement de plus en plus audible. On reconnaissait le son caractéristique de l’orgue. Le rythme était lent, la mélodie était triste. Tous deux surpris et pris de panique à l’idée d’avoir été repérés, nous regardions et courrions dans toutes les directions dans l’espoir de localiser l’origine de cette musique. Mais quelle que soit la zone vers laquelle nos sens se focalisaient, nous ne rencontrions qu’une chose : le néant, et cette mélodie lugubre. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’un mystérieux musicien jaillit progressivement des cieux aux commandes d’un imposant orgue noir et doré. Le son qu’il émettait avec ses doigts noirs de pianiste empli de maestria était maintenant très puissant, emplissant le royaume des morts jusqu’en ses confins les plus oubliés. Dans une vision qui faisait penser à celle d’un ange descendant du paradis, il se dirigeait droit vers nous en réduisant lentement son altitude. C’est comme s’il voulait prendre son temps. Le mystérieux mélomane volant était difficile à décrire dans la pénombre. Et cette description était d’autant plus difficile à accomplir qu’il était positionné dos à nous, face à son instrument de musique qui vociférait aussi fort qu’un brouhabam en colère. Toutefois, au fur et à mesure qu’il se rapprochait de nous on pouvait voir que son corps semblait ceinturé d’anneaux dorés au niveau des bras et du milieu du dos. Quant à son ventre, il se révéla très vite fort corpulent.
L’être jailli du néant se trouvait à présent à une cinquantaine de nous alors même qu’Octave, moi et même Skuld étions tous trois pétrifiés par ce spectacle inattendu. Nous nous attendions à être attaqués à tout moment par je ne sais quel pokémon ténèbres ou spectre. A bien regarder le musicien, il pouvait en effet être rattaché à une espèce de pokémon accoutumé à l’empire des ombres. Mais comme cette entité se trouvait dos à nous, je n’étais pas encore sûr d’avoir bien cerné l’identité de cet étonnant personnage. Toujours est-il qu’au lieu de nous attaquer, il interprétait une symphonie avec nonchalance. N’était-ce pas absolument improbable en un lieu pareil ? La réponse à toutes ces interrogations vint lorsque, tout en continuant à jouer, il se mit à déclamer un poème en rythme avec la musique. Décidément, nous allions de surprises en surprises dans cette prison spirituelle qui ressemblait à tout sauf une prison.
Que fais-tu ici ?
Là où les vivants refluent
Ne sais-tu point que le Seigneur ne règne plus ?
Pourquoi viens-tu tourmenter l’âme vidée d’une déité du passé
Oui, je sais ce que tu crois
Tu crois que je suis l’émanation du Mal
Tu crois que je ne vis que pour le chaos
Tu crois que je suis l’esclave du nouveau maître des cieux
C’est ainsi que ma race est vue par le plan des vivants
Mais, par vos Douze et par ma Lune
Qu’il est triste que le manichéisme te rende lige
Lune, Ô Lune
Pourquoi moi, mélomane nocturne
Pourquoi moi, celui que tous vénèrent
Pourquoi dois-je administrer le Requiem
A ceux pour qui tu ne figures pas parmi les dieux
Comme je suis las de tout cela
Que fais-tu ici ?
Veux-tu finir comme l’oiseau doré
Noyé dans une éternité d’ombre
Ne me dis pas que tu veux ressusciter cette idole
Alors que partout le monothéisme triomphe de l’archaïsme
Marcherais-tu contre le temps ?
Mais si ton désir est de le rejoindre
Ainsi soit-il
Là où les vivants refluent
Ne sais-tu point que le Seigneur ne règne plus ?
Pourquoi viens-tu tourmenter l’âme vidée d’une déité du passé
Oui, je sais ce que tu crois
Tu crois que je suis l’émanation du Mal
Tu crois que je ne vis que pour le chaos
Tu crois que je suis l’esclave du nouveau maître des cieux
C’est ainsi que ma race est vue par le plan des vivants
Mais, par vos Douze et par ma Lune
Qu’il est triste que le manichéisme te rende lige
Lune, Ô Lune
Pourquoi moi, mélomane nocturne
Pourquoi moi, celui que tous vénèrent
Pourquoi dois-je administrer le Requiem
A ceux pour qui tu ne figures pas parmi les dieux
Comme je suis las de tout cela
Que fais-tu ici ?
Veux-tu finir comme l’oiseau doré
Noyé dans une éternité d’ombre
Ne me dis pas que tu veux ressusciter cette idole
Alors que partout le monothéisme triomphe de l’archaïsme
Marcherais-tu contre le temps ?
Mais si ton désir est de le rejoindre
Ainsi soit-il
La dernière note que le musicien-poète fit fut aussi le dernier vers qu’il déclama ainsi que le moment précis où son orgue atteignit le sol, juste devant nous et la dalle sur laquelle figurait la gravure d’Electhor. La maîtrise musicale et rythmique de cette créature à l’allure anthropomorphique était extraordinaire, et était le signe d’une très grande intelligence. Une fois que le silence était revenu dans le Monde Distorsion, il resta immobile quelques instants comme s’il était figé. Puis, il se leva brusquement de son orgue et nous fit pour la première fois face. Ce qu’il révéla de lui ne fit que je confirmer ce que je redoutais. Un œil unique, un ventre qui ressemblait à un visage et une substance gazeuse qui remplaçait des jambes inexistantes : ce musicien n’était autre qu’un noctunoir titanesque. Son œil unique nous fixait obsessionnellement tandis que son ventre souriait. J’étais pétrifié : le pokémon avait une allure si écrasante qu’il était impossible de ne pas se sentir dominé psychologiquement lorsqu’on lui faisait face. En revanche, Octave était comme d’habitude imperturbable. Plein d’aplomb, il s’adressa au pokémon spectre.
- Enfin nous t’avons trouvé, sbire de la Lune Noire. Joli concert, mais ne crois pas que la poésie nous a fait baisser notre garde. Je mettrais néanmoins à ton crédit que tu as probablement fait l’entrée la plus recherchée que j’ai vue depuis bien longtemps dans les rangs de tes amis. A présent, à moins que tu ais encore un concerto à nous jouer tu nous excuseras mais nous avons un dieu à réveiller. En garde, on va voir si tu maîtrise aussi bien l’art des armes que ton orgue.
Il faut croire que l’audace d’Octave n’avait aucune limite. J’avais bien essayé d’indiquer par signes interposés au Destogoride de se calmer et d’essayer de dialoguer avec un ennemi moins bourrin que la moyenne de ceux que j’avais rencontré jusqu’ici, mais il m’avait indiqué poliment de me taire. Quant au noctunoir, sa réponse me fit très clairement comprendre qu’il était dans le même état d’esprit que moi.
- C’est d’un ennui tous ces mortels qui se prennent pour des dieux. Et c’est d’autant plus ennuyeux que c’est l’homme censé être le plus sage qui l’est le moins. Tu devrais écouter ton petit camarade, étranger. Mais puisque tu sembles être complètement déconnecté des réalités, alors soit. Nous allons nous livrer au jeu futile du combat à mort. Après tout, c’est pour ça que mon maître m’a envoyé ici non ? Noctale va te faire payer jusqu’aux tréfonds de ton âme tes insultes.
Un rire dément plus tard, l’affrontement débuta enfin. Et cet affrontement, on ne pouvait pas vraiment dire qu’il commençait sous les meilleurs augures. Avant même qu’Octave n’ait pu se transformer en pokémon, le smiley cyclopéen sans pattes étendit sa main vers notre direction à une vitesse incroyable et envoya une onde télékinésique violacée qui nous repoussa puissamment en arrière. Chutant sur le ventre, Octave laissa échapper un juron.
- Merde, il est puissant ce crétin.
Hélas, à peine Octave avait-il pu dire cela que Noctale était déjà arrivé à son niveau et le souleva avec une nouvelle onde psychique avant de l’immobiliser et de le regarder droit dans les yeux. Il prit ensuite un malin plaisir à humilier mon mentor en monologuant devant lui alors même qu’Octave ne pouvait plus faire un geste.
- Dis-moi, qu’est-ce que vous avez tous à vouloir sauver le monde ? Je veux dire, à ce que je sache vous allez tous mourir un jour ou l’autre alors autant que ce soit le plus tard possible, non ?
Pendant tout ce temps qui pourrait paraître long mais qui s’étalait en fait sur une poignée de secondes, je n’avais eu le temps de rien faire. Vainement, je tentai de profiter du fait que Noctale était focalisé sur Octave pour tenter une première offensive en intimant l’ordre à Skuld de foncer sur le spectre. Mais une fois encore, le noctunoir était trop rapide. Ses réflexes étaient tels que sans même avoir à regarder mon pokémon, il parvint à l’immobiliser à l’aide de ses pouvoirs psychiques avec un des bras qui paralysait Octave. Malgré sa centaine de kilos, c’est sans difficulté qu’il parvint ensuite à le projeter violemment vers le fond de la plate-forme. Toutefois, l’échec de ma tentative était relatif puisque j’avais réussi à libérer le Destogoride des griffes de notre adversaire. Comme l’union fait la force, je lui demandai alors de me rejoindre. Il fit d’ailleurs cela bien volontiers au vu de la raclée que Noctale venait de nous infliger. Les deux camps se faisaient à présent face. Nous étions déjà épuisés alors que le spectre n’avait subi aucun dommage. Il nous fixait avec condescendance, tandis qu’il se remettait à palabrer.
- C’est d’un ennui, à quoi bon tout ça ? Je le redis, pourquoi vous battez-vous face à des forces qui nous dépassent ? Si vous persistez, je vais devoir vous anéantir. Dépenser son énergie c’est bien, mais le faire face au grand Noctale ne vous mènera qu’à une mort prématurée.
Octave rongeait son frein. Il avait envie de faire ravaler chacun de ses mots à l’arrogant pokémon, mais pour une fois je pris une initiative et je lui demandai de se taire pour prendre la parole à sa place. Je m’adressai donc à notre imposant adversaire avec un courage et une force de conviction dont je m’estimais incapable.
- Je vois que tu n’es pas le monstre que tu fais semblant d’être. Tu es plus puissant et plus rapide que nous, c’est certain. Mais toi, pourquoi te bats-tu pour un maître qui te considère tellement qu’il te laisse dépérir dans une sinistre partie du Monde Distorsion ? N’aspire-tu pas à autre chose ? Ton obsession à vouloir refuser le combat comme tes vers, tout montre que tu ne veux pas le mener ce combat. Alors pourquoi combats-tu pour la Lune Noire ?
Par un procédé rhétorique ingénieux que certains médisants pourraient qualifier de sophiste, j’étais parvenu à retourner la question de Noctale en le mettant face à ses contradictions. En m’écoutant, le noctunoir se mit dans un état étrange. Il se mit à mettre ses deux mains sur sa tête et à hurler comme un damné sans que je comprenne vraiment pourquoi, avant de devenir agressif et reprendre le combat sans prévenir.
- Sors de ma tête, esprit abject. Non, la Lune est le seul qui t’aime et te comprenne. Tu dois anéantir ces ennemis de ton maître. Ce n’est qu’en faisant cela qu’il ne te punira pas pour tes hésitations. J’en ai assez entendu, mortel ! Je n’ai de leçons à recevoir de personne, je suis le grand Noctale ! Le plus puissant de tous les spectres. Je vais te briser.
L’état de rage profonde dans laquelle il venait de rentrer le conduisit à lancer des attaques psychiques désordonnées dans toutes les directions. Au début, il gardait la rapidité et la précision qu’il avait montrée au début de l’affrontement. Nous essuyions nombre de ses attaques sans pouvoir les esquiver. Chacune d’entre elle nous affaiblissait davantage. Mais progressivement, avec l’augmentation du rythme de ses attaques sa précision diminua jusqu’à nous permettre de l’esquiver. Puisant dans nos dernières forces, nous sautions, nous courrions dans toutes les directions. Il n’était pas question de lui porter des coups : c’était inutile. La colère de Noctale trahissait une faille que j’avais réussi à découvrir. Il fallait maintenant l’exploiter en épuisant ce spectre hors du commun. Sa dernière attaque fut aussi la plus puissante. Le dévoreur d’âmes ouvrit la bouche de son ventre et se mit à générer un puissant cyclone d’énergie psychique qui aspirait tout ce qui se trouvait aux alentours, nous y compris. Nous avions beau tenter de résister, nous avancions inexorablement. Dans l’œil du cyclone et alors que nous n’étions à présent qu’à quelques petits mètres du ventre béant du noctunoir, Octave s’inquiétait même si cela ne l’empêchait pas pour autant d’user de son ineffable ironie.
- Dis, je ne sais pas si tu es au courant mais il y a un avis de tempête. Je conçois que c’est fascinant de regarder la météorologie du Monde Distorsion se déchaîner, mais tu ne penses pas qu’il serait temps de faire quelque chose pour ne pas accroître le surpoids de ce pauvre Noctale ?
Il est vrai qu’Octave n’avait pas tort. Je cherchais des arguments pour que Noctale revienne à la raison, mais les mots me manquaient. C’est alors que je me mis à regarder Skuld, qui se faisait aspirer un peu moins rapidement que nous du fait de son poids. En le regardant, j’eus alors un éclair de génie que j’ordonnai aussitôt à mon pokémon d’accomplir.
- Skuld, vas-y : saute sur sa tête ! C’est la seule partie solide de son corps que tu peux toucher. Il ne pourra pas t’esquiver sans annuler son attaque.
La masse de métal s’exécuta aussitôt. Grâce à son poids supérieur, le char sur pattes réussit à s’extraire du rayon d’action de la bouche de Noctale. Il prit ensuite de l’élan, et sauta de toutes ses forces sur le spectre. La partie tranchante du crâne de Skuld était directement dirigée vers la tête du cyclope. En voyant ce boulet de canon qui arrivait sur lui à toute vitesse et se sachant pris au piège, l’œil unique de Noctale s’emplit pour la première fois de crainte. Le choc fut d’une violence extrême. En percutant le noctunoir, Skuld avait réussi à le repousser très loin derrière nous et parvint ainsi à mettre fin au cyclone. Dans sa rage de vaincre, le pokémon armurfer se mit ensuite à poursuivre Noctale afin de continuer à joyeusement lui fracasser le visage. Nous étions sauvés.
Loin devant nous, à proximité de la dalle où était emprisonné Electhor, un cyclope vaincu gémissait.
- Comment est-ce possible ? Aucun mortel n’a jamais vaincu le grand Noctale. Lune, Ô Lune, pourquoi m’as-tu abandonné ? Serait-il possible qu’ils aient eu raison ? Serait-il possible que tu te sois servi de moi ? Non, cela ne peut pas être possible…
Après nous être remis de nos émotions, Octave et moi étions prêts à récolter les fruits de cette victoire si durement acquise. Je regardais le visage de Skuld. Il me souriait et masquait la fatigue, mais la dureté de l’exosquelette de Noctale avait laissé des trous dans son blindage qui prendraient du temps à être comblées. Sans dire un mot à notre adversaire en lambeaux, Octave se dirigea vers la dalle d’obsidienne et commença à préparer le rituel de libération d’Electhor maintenant que nulle présence maléfique n’entravait plus notre chemin. Quant à moi, je ne pouvais m’empêcher de regarder avec pitié ce pauvre Noctale. L’antenne sur sa tâte était tordue, tout comme l’ensemble de son exosquelette. Son œil me cyclopéen me fixait à nouveau. Ce regard était toujours celui d’un noctunoir d’élite sûr de lui-même, mais il était désormais empreint de crainte. Il semblait s’attendre à se faire cogner par Skuld jusqu’à la fin des temps. Si Octave avait été à ma place, il aurait certainement dit que ce n’est que justice. Mais je n’étais pas comme lui. Contrairement à lui, je m’étais pris d’attachement pour ce sbire de la Lune Noire si différent des autres. Pour lui faire clairement comprendre qu’il n’avait pas à me craindre, je lui glissai quelques mots à la fois fermes et rassurants.
- Houla, Skuld y est allé un peu fort avec toi. Pardonne-le, tu arriveras à t’en remettre ? Je te l’avais dit : tu es allé contre ta nature profonde. Et c’est cette nature profonde qui t’a fait perdre ce combat alors que tu n’aurais jamais dû le perdre. Ta nature profonde, ce n’est pas de servir la Lune Noire. Ta nature profonde, c’est de servir Giratina et d’égayer le monde des vivants comme celui de tes morts de tes belles mélodies. Choisis le service de la Vie au lieu de servir celui de la Mort.
Noctale, malgré sa puissance incommensurable, me regardait sans trop y croire. En cet instant, son regard avait quelque chose de mignon. Puis, il se mit à soudainement éclater de rire avant de me répondre.
- Alors, que je sois une espèce d’imbécile tout juste bon à se faire manipuler par la première robe gothique volante venue, je veux bien. Mais se faire traiter de faiblard par un avorton, ça c’est impardonnable. Toi tu mérites une bonne correction.
Un brin inquiet par ce regain brutal d’agressivité, je reculai de quelques pas tout en lui répondant sévèrement. J’avais d’autant plus de raisons d’être inquiet que le spectre venait de se remettre à léviter et donc à me toiser dangereusement. A vrai dire, avec Noctale on n’était jamais trop prudent. Ce pokémon était tellement imprévisible.
- Ah non, ça ne va pas recommencer. Si tu veux te reprendre une raclée, Skuld est toujours là pour répondre à ton désir satané masochiste.
C’est alors que Noctale se remit à rire avant de répondre à nouveau.
- Apprends à écouter les grandes personnes lorsqu’elles parlent, petit. J’ai dit que tu méritais une bonne correction. Je n’ai pas précisé quelle était la nature de cette correction. Je parlais bien évidemment…d’une symphonie pour fêter le retour d’un de tes amis des Colonnes Lances !
J’étais sidéré. On pouvait dire qu’il m’avait eu comme un bleu celui-là en faisant mine de se montrer menaçant. A mon tour, je me mis à rire. Avec la célérité qui le caractérisait, Noctale rejoignit son orgue. Il se mit ensuite à jouer un morceau pesant et solennel au moment même où Octave déclenchait le rituel de libération d’Electhor. Tandis que le Destogoride prononçait des formules dans le langage des dieux, je regardais avec fascination l’effet du rituel sur la dalle d’obsidienne. Un rayon d’énergie doré aussi lumineux que le soleil commença tout d’abord par éclairer le tracé du dessin représentant Electhor. Puis, c’est tout le dessin qui finit par s’illuminer d’un halo doré. Mais le plus incroyable était encore à venir. De la dalle désormais dorée, jaillit en effet ce qui ressemblait à un bec. Sous ce bac, c’est progressivement tout le visage du dieu des orages qui sortit comme par enchantement du sol. Pour l’instant, ses yeux étaient fermés. Après le bec et le visage, ce furent le tour des ailes de sortir de terre. Ces ailes étaient gigantesques, fières et surtout elles commençaient à émettre un courant électrique qui était chaque seconde plus puissant. J’en finissais même par m’inquiéter pour la sécurité d’Octave tellement au stade le plus avancé du rituel il était entouré de décharges électriques qui le frôlait à chaque fois. Une fois les ailes complètement jaillies du sol, le corps émergea finalement. En l’espace de dix minutes, un des Douze dieux du Panthéon venait de sortir des limbes du Monde Distorsion. Pour autant, il n’avait pas encore ouvert les yeux : nous ne savions pas encore si le rituel avait réussi.
Comme Octave ne cessait de le dire, il fallait maintenant attendre. Nous étions arrivés à la phase la plus cruciale du rituel : celle où Electhor retrouvait le plein usage de ses pouvoirs et diffusait son électricité dans toutes les parties de son corps. Une quantité innombrable d’étincelles se propageaient à présent tout autour des ailes, du buste et de la tête du dieu ressuscité. Et, après tant d’efforts, nous vîmes enfin les yeux blancs d’Electhor s’ouvrir. L’être supérieur nous regarda et dit.
- Nous savions que l’émissaire d’Arceus viendrait rétablir la lumière dans l’empire des ombres. Nous le savions, parce que Dieu le veut.
A ces mots, le pokémon légendaire s’élança ensuite dans les cieux et se mit à tourner autour de nous tout en projetant de la foudre dans toutes les directions. En cet instant où les flashes illuminaient brièvement et fréquemment les ténèbres du Monde Distorsion, il valait mieux ne pas être épileptique. Après avoir paradé, le dieu fonça ensuite sur l’orgue de Noctale et atterrit au sommet de l’instrument, toisant d’un regard sévère celui qui l’avait maintenu emprisonné pendant si longtemps. Si au début le noctunoir ne le vit pas, il finit par l’apercevoir en levant les yeux au ciel. C’est à ce moment-là que la musique s’arrêta et que, pris d’effroi, Noctale quitta son instrument pour reculer de quelques mètres. Les deux êtres opposés par essence se fixèrent ainsi pendant plusieurs minutes. L’atmosphère devenait de plus en plus pesante. Au sens propre comme au sens figuré, il y avait de l’électricité dans l’air. Finalement pourtant, le spectre consentit à baisser son œil et à déclarer stoïquement.
- Je savais que ça allait finir comme ça. Très bien, tu réclame vengeance je suppose ? Comme toute cette violence est futile, cela ne s’arrêtera donc jamais ? Je savais que je n’aurais jamais dû écouter la voix langoureuse des Xort’Udur. Et bien soit, fait ce que tu as à faire Ô déité.
L’oiseau électrique fronça les sourcils. Puis, dans un déchaînement de violence, il chargea un halo de lumière sur la surface de son corps avant de le concentrer au niveau de ses ailes. Il envoya ensuite très rapidement cette double charge d’énergie électrique sur Noctale tout en répétant ces quelques mots dans hurlement vociférant.
- Libère cette âme, vassal de l’Ombre !
Le noctunoir hurlait de douleur. Il se tordait sur son ventre qui ne souriait désormais plus. Ce sourire avait été remplacé par une grimace. On avait l’impression que Noctale se retenait de faire sortir quelque chose de son corps. Mais l’éclat de lumière redoublait de force à chaque seconde qui passait. Soudainement, la bouche ventrale du pokémon s’ouvrit largement et libéra une masse fantomatique indéterminée. Ce spectre qui avait trouvé refuge dans l’organisme de Noctale, gémissait à son tour et tentait de s’enfuir tout en hurlant lui aussi.
- Tu es si faible Noctale. Il faut que j’informe le Maître de ce qu’il se passe ici.
Mais la chose, qui faisait étrangement penser à un Xort’Udur, n’eut le temps de rien dire d’autre. Dans un simple mouvement d’aile d’Electhor, une vague d’électricité aussi précise que meurtrière jaillit et foudroya net cette entité spectrale. D’elle, il ne resta plus rien. L’oiseau doré laissa ensuite Noctale tout seul sans lui dire un mot et atterrit juste devant nous. C’est alors qu’il nous dit sur un ton autoritaire.
- Vite, nous n’avons pas de temps à perdre. Nous pressentons que quelque chose de terrible va se passer à Doublonville. L’Ombre va très bientôt se révéler. Montez sur notre auguste dos, les dieux connaissent les chemins qui permettent de quitter le monde des morts.
Peu rassurés, nous nous exécutâmes toutefois. La peau d’Electhor était piquante du fait de l’électricité statique mais il fallait faire avec. Le confort, il était clair qu’il fallait s’en passer. Etrangement, malgré la quantité quasiment infinie de rayons électriques qui se propageaient dans l’ensemble du corps de la déité, nous n’étions jamais touchés. Expliquer ce phénomène était impossible, mais c’était comme si Electhor contrôlait chacun de ces rayons à la manière de nerfs. Toujours est-il qu’une fois solidement accrochés sur le dos de notre avion improvisé, nous nous envolâmes vers une destination où semblait se lever un grand péril : Doublonville.
Tyranocif Rex
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13 avril 2013, 13:00
Je me réveillai finalement, dans un lieu inconnu. Qu’avait fait de moi la Lune Noire depuis que j’étais à sa merci, je l’ignorais. Mais puisque le bruit d’une gouttelette d’eau tombant sur le sol parvint à me réveiller, je devais être vivant. Après mes oreilles, ce furent donc mes yeux qui s’éveillèrent. Bon, à vrai dire, il n’y avait pas grand-chose à voir : il faisait très sombre. Etait-ce la nuit ou…étais-je aveugle ? Non : je distinguais dans la pénombre une sorte de petite ouverture lumineuse qui tranchait quelque peu avec les ténèbres qui m’entouraient, créant un halo lumineux depuis cette ouverture jusqu’au sol. Désireux d’en apprendre plus, mais aussi de sortir d’un engourdissement dans lequel un sommeil trop long m’avait plongé, je finis par me lever après ces considérations oculaires. Il faisait froid et humide. En touchant les parois métalliques de la pièce où je me trouvais, je ne parvenais à trouver aucune sortie. Seule cette étroite ouverture dans le mur me reliait au monde extérieur. Elle semblait d’ailleurs être le fruit d’une explosion, puisque des plaques de métal manquaient de me cisailler les pieds. Où étais-je ? Peut-être trouverais-je une réponse au-delà de ce trou béant qui me faisait face.
J’étudiai donc l’extérieur. C’était une salle immense, éclairée par une myriade d’écrans d’ordinateurs concentrés au-dessus d’une console. Elle était située tout au fond de cet endroit pour le moins étrange. Certains de ces écrans étaient brisés, d’autres ne l’étaient pas et me permettaient de faire un pareil constat. Des sortes de cages de verre étaient réparties en colonnes sur ma droite. Ici aussi, certaines étaient brisées et d’autres pas. On pouvait voir des corps inertes de créatures, difficiles à décrire à la distance où je me trouvais, à l’intérieur de quasiment chacune d’entre elles. Je dis quasiment, puisqu’étrangement une seule semblait être vide. Quant au sol, il était jonché de débris et de corps en tout genre. Le mystère s’épaississait : où me trouvais-je ? Cela semblait être un laboratoire désaffecté, mais à part ça je restais dans le flou le plus total.
Soudain, tandis que je continuais d’observer non sans fascination le panorama qui s’offrait à moi, une tête jaillit devant moi. Je criai de surprise. La chose, qui semblait ressembler à une sorte de pokémon, me regardait en hochant la tête. Cela devait être lui, le résident qui s’était échappé d’une des cages de verre brisées. Pourquoi avait-il survécu et pas les autres ? Toujours est-il que, paniqué, je n’arrivais pas à dire quoi que ce soit. Je restais comme tétanisé par cette bête, et ce d’autant plus que son regard était féroce. Voulait-elle me tuer ? Il m’était impossible de le savoir. Après quelques minutes à me toiser du regard, l’entité fixa mon sort. Sortant de puissantes griffes cristallines, elle m’agrippa les épaule et me projeta avec force de l’autre côté de la paroi. J’atterris tout près d’une console qui devait probablement commander les cages de verre dans la mesure où elle faisait face à ces dernières.
- Aïe, ça fait mal !
La bête n’en eût cure, puisque qu’immédiatement après elle se mit à courir vers moi à une vitesse hallucinante avant de s’arrêter à une vitesse tout aussi hallucinante. Pendant sa très brève course, je pus clairement distinguer quel était ce mystérieux hôte dont les intentions m’étaient toujours inconnues. Il n’était pas bien haut, atteignant le mètre avec difficulté. Sa peau, bleue, était surmontée d’une imposante armure de piquants qui constituait un péril de choix pour les éventuels agresseurs. Enfin, ce véritable cristal sur pattes était doté de griffes aiguisées qui étaient quelques peu intimidantes. La bête s’était remise à me fixer du regard, tout en bougeant tout autour de moi. Elle semblait m’examiner sous tous les coutures.
Soudain, un bruit de porte automatisée se fit entendre non loin de là. Le porc-épic s’immobilisa à cet instant, avant de sauter au-dessus de ma tête et de disparaître en un instant entre les ordinateurs et les débris de verre. Quant à moi, je restais planté par terre. Il était difficile de dire que je n’étais pas surpris par l’évolution de la situation. En réalité, ces surprises étaient loin d’être les dernières. Quelques secondes après ce bruit de porte automatisée, un nouveau son parvint en effet à mes tympans. C’était des bruits de pas, qui se rapprochaient. Ils étaient accompagnés de voix d’hommes.
- Je me demande pourquoi le patron s’entiche de ce clown. C’est pas son genre de faire des prisonniers.
Une autre voix répondit aussitôt à la première, tandis que le bruit de pas continuait de se renforcer.
- Tant qu’il paie bien, je m’en cogne. Mais tu n’as pas entendu quelque chose en entrant ?
Les bruits de pas s’arrêtèrent. La première voix résonna de nouveau dans le laboratoire dévasté.
- C’est vrai, moi aussi j’ai cru entendre quelque chose. Bah écoute, séparons-nous : de mon côté, je vais ramener le prisonnier au pacha. On se retrouve à la caserne. L’antre de ce vieux fou me fout toujours la chair de poule. Plus vite on aura fait le boulot, plus vite on sera à la maison.
Les voix se turent alors, cette fois-ci de manière définitive. A l’inverse, les bruits de pas reprirent de plus belle. Mon inquiétude ne faisait que s’accroitre, doublée il faut bien le dire d’une certaine curiosité. Qui était le vieux fou dont un des deux hommes avait parlé ? Se pouvait-il qu’il s’agisse du propriétaire de ce laboratoire ? En tout cas, une chose était sûre : il n’était plus ici depuis des lustres, et son départ ne s’était pas fait sans violence. Mais plus fondamentalement, qui étaient ces gens ? Il allait de soi qu’ils étaient venu pour m’extraire de ce qui semblait bel et bien être une cellule maintenant que j’y réfléchissais. S’ils étaient mes geôliers, ils étaient au service de la Lune Noire. Mais pourquoi parlaient-ils de leur patron comme s’il s’agissait d’un employeur comme un autre ?
Les bruits de pas étaient devenus dramatiquement proches. Mon regard se portait partout, dans l’espoir de croiser celui de cet intriguant pokémon qui m’avait paradoxalement sauvé des griffes de mes ennemis. Sans lui, n’aurais-je pas déjà été entre leurs mains à l’heure qu’il était ? Oui, les intentions de cette créature ne semblaient pas mauvaises avec le recul. Mais le pokémon cristallin était introuvable. Il ne se trouvait ni dans les modules de stase qui se trouvaient derrière moi, ni caché dans un des recoins sombres du centre de recherche. Et pourtant, dieu sait que son apparence était particulière et rendait difficile un éventuel camouflage. La conclusion à tirer de tout cela était donc patente : je ne pouvais compter que sur moi-même.
J’entendais à présent le bruit de la respiration de celui qui me traquait. Je devais bouger, sinon il allait me trouver. Mais l’homme en question se trouvait-il à ma droite ou à ma gauche ? Je n’avais plus vraiment le temps de cogiter, il fallait analyser rapidement la situation. Finalement, choisissant quelque peu au hasard, je décida de me déporter sur ma gauche. Il s’avéra en fait très vite que j’aurais dû prendre le chemin inverse, puisque c’est là que se trouvait mon poursuivant. J’étais fait comme un rattata. L’homme en question était blond, en uniforme et armé d’une arme automatique. L’uniforme en question comportait tous les insignes officiels de la Brigade Noire du Consortium, la milice du Consortium. Ce que je subodorais depuis ma capture par la Lune Noire dans ce damné site pétrolier était devenu clair comme l’eau de roche : le Consortium était lié à cette entité maléfique. Quant à moi, je ne pouvais que me rendre.
L’homme, surpris, dégaina rapidement son arme de fonction et la braqua sur moi tout en souriant. La scène resta figée ainsi pendant quelques secondes, jusqu’à ce qui devait être en toute logique le second milicien se mette à crier. Il se trouvait non loin de là, probablement à proximité du trou qui m’avait permis de m’échapper de la cellule.
- Hé Carlos, il est pas dans sa cellule ! Il doit se trouver ici, si tu le trouve tu le menotte et tu me l’amène.
Le Carlos en question répondit aussitôt, tout en continuant de me fixer avec le sourire du chasseur qui a trouvé sa proie. Il s’adressa successivement à son collègue et à moi.
- Je sais, il est devant moi. J’arrive ! Quant à toi, je te conseille de me suivre gentiment si tu ne veux pas finir estropié. Ta petite escapade est terminée.
Je n’avais pas d’autre choix que me rendre. Et c’est ce que je fis, tâchant de ne faire aucun geste brusque qui puisse être suspecté de révolte par ce soudard du Consortium. J’avais travaillé assez d’année là-bas pour savoir que la Brigade Noire n’était pas spécialement réputée pour son sens de la mesure. Il m’intima l’ordre de lier mes deux mains devant moi. Tandis qu’il sortait des menottes de ses poches et commençait à m’attacher les mains, je regardais le laboratoire. C’est alors que j’eus une surprise de taille. En effet, juste au-dessus de nous, sur le plafond, le porc-épic de cristal était à l’affût. J’étais sauvé ! Ce crétin ne savait pas qu’il était sur le point de trépasser. Je ne puis m’empêcher d’être trahi par un sourire. Hélas, le mercenaire s’en rendit compte.
- Qu’est-ce que t’as à sourire comme ça ?
Je cessai aussitôt d’adopter ce rictus, pour répondre fort diplomatiquement à mon geôlier.
- Mais rien monsieur. Veuillez m’excuser, c’est nerveux. Je vous conseille juste de faire attention à vous. Qui sait ce qui pourrait…vous tomber sur la tête.
Le mot était fort bien trouvé et fort bien synchronisé, puisqu’à la seconde d’après le pokémon déferla sur le pauvre soldat et lui déchiqueta le dos à l’aide de ses puissantes griffes. Il décéda sur le coup, les poumons perforés par les membres supérieurs de cette surprenante bête de guerre. Son arme d’assaut et ses menottes le rejoignirent sur le sol, non sans émettre un bruit qui résonna dans tout le laboratoire. Ce bruit de métal au contact avec la roche mit d’ailleurs la puce à l’oreille au deuxième brigadier, qui se trouvait toujours à proximité de la cellule.
- Carlos, ça va ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Carlos ?
C’est tout ce qu’il eut le temps de dire avant que le pokémon ne lui saute dessus à son tour dans un tour tout simplement fulgurant. Dans les airs, ses griffes affûtées étaient pointées en direction de son visage et de ses yeux. Elles brillaient dans l’intense lumière émise par un des ordinateurs du laboratoire. Pris d’une panique fort compréhensible, l’homme se mit à ouvrir le feu sur son assaillant. Hélas pour lui, toutes ses munitions ricochaient sur les piquants du pokémon et terminaient leur parcours sur les parois du centre de recherche. Le moment du arriva finalement, et le combat eut à peu près la même conclusion que celui avec le dit Carlos : c’était une boucherie. Le pokémon s’était en effet agrippé sur le visage du soudard, et le lardait de coups de griffes qui faisaient gicler du sang sur tout son corps. Assailli par un ennemi impossible à repousser qui lui administrait les pries souffrances, les bras du milicien tremblaient. Ils tremblaient d’ailleurs tellement que le fusil qu’il portait lui échappa des mains. A un moment toutefois, le pokémon libéra l’infortuné militaire de son emprise en faisant un bond quelques mètres plus loin. Les dégâts qu’il avait infligé était atrocement élevés. L’homme n’avait plus d’yeux, plus de bouche, plus de nez et du sang giclait de son cou perforé. On voyait la colonne vertébrale de la victime à travers l’orifice, tailladée et sur le point de se briser définitivement.
Impitoyable, mon sauveur repartit à l’assaut alors qu’il était pourtant visible que son adversaire était sur le point de mourir. Il s’attaqua cette fois à son ventre, à ses bras et à ses jambes. Chaque taillade était profonde et aurait nécessité l’intervention d’un chirurgien expérimenté pour sauver la vie de ce brigadier. J’avais beau mépriser au plus haut ces miliciens qui s’apparentent bien souvent plus à une mafia qu’autre chose, j’éprouvais une certaine pitié à son égard. Il continuait de crier de douleur tandis que son ventre se perforait à son tour et que ses organes internes sortaient de son corps. La scène était insoutenable, et cette simple description était encore trop sobre pour bien rendre compte de l’horreur du massacre. Lorsqu’enfin le pokémon cessa ses exactions sur le corps du pauvre homme, sa victime ressemblait plus à un monstre qu’à un homme.
Je ne pouvais en voir davantage, c’est pourquoi à la fin de ce massacre je m’étais mis à tourner le dos à la scène que le pokémon contemplait à mes côtés avec une certaine fascination perverse qui était quelque peu désarçonnante. J’avais manqué à de nombreuses reprises de m’évanouir devant l’horreur qui s’était déroulée sous mes yeux. Se venger de ses ennemis ne me dérangeait pas : c’était de bonne guerre. En revanche, ce qui était au-dessus de mes forces c’était de les torturer. C’est précisément ce que cet allié étrange avait fait. Il faut croire qu’il avait une dent contre cet homme, puisque l’autre soudard n’avait pas bénéficié de ce traitement de faveur. L’un avait été mis à mort rapidement, l’autre plus lentement avec un plaisir sadique non dissimulé dans la surenchère de violence. Lorsque finalement je daignais me retourner en direction du cadavre, je vis le pokémon écrire sur le mur à l’aide de ses griffes. Quelle ne fut pas alors ma surprise de découvrir que le message qu’il écrivait, il le faisait dans la langue des hommes. Le pokémon semblait muet, et pourtant il savait écrire dans notre langue. Voilà qui renforçait le mystère entourant ce pokémon aux couleurs inhabituelles. Ce pokémon était vraiment étonnant, tant dans son acharnement dans le meurtre que dans son intellect très supérieur à ce que l’on peut attendre d’un simple pokémon. Comment un si petit corps pouvait cacher autant de ressources ?
Le pokémon avait à présent fini d’écrire son message. Tandis que je le lisais, il fonça en direction de la porte automatisée d’où étaient entrés tout à l’heure les deux miliciens. Le message formait deux phrases écrites en lettres de sang, fort prévisible au vu du combat sanglant qu’il venait de mener.
Le message était on ne peut plus clair : le Sablaireau en question voulait faire équipe avec moi pour s’échapper d’ici. Il me paraissait tout de même étonnant qu’un pokémon aussi rusé et puissant ait été incapable de s’échapper d’un simple laboratoire alors qu’il ne faisait aucun doute qu’il connaissait parfaitement les lieux. Mais peut-être que ce qui se trouvait au-delà nécessitait la présence d’un homme ? Dans tous les cas, ce n’était pas le genre d’offre à refuser. Mon raisonnement était simple : il valait mieux faire d’une créature aussi dangereuse et incontrôlable un allié plutôt qu’un adversaire. Les deux miliciens mutilés qui se trouvaient derrière moi ne faisaient que renforcer cette conclusion à laquelle j’étais parvenu. Il allait de soi que je n’allais pas pouvoir aller bien loin en restant seul, d’autant plus que je ne savais toujours pas où exactement la Lune Noire m’avait conduit. Etait-ce simplement un laboratoire ? Rien ne permettait de le penser : ces miliciens n’avaient tout de même pas débarqué ici en traversant la brousse. Non, ce laboratoire ne devait être qu’une petite partie d’un complexe beaucoup plus grand. Cette proposition d’alliance de ce Sablaireau hors du commun ne faisait d’ailleurs que renforcer cette hypothèse.
La chose était donc entendue : nous allions faire équipe. Je rejoignis par conséquent mon nouvel allié, qui trépignait d’impatience, à l’extérieur du laboratoire. Qu’est-ce qui nous attendait à l’extérieur ? Je l’ignorais encore, mais sans vraiment savoir pourquoi j’avais un mauvais pressentiment. Mais dans tous les cas, une chose était sûre : l’immobilisme n’était pas une solution.
Chapitre XXV - Sablaireau l'Empaleur
Spoiler
3 Mai - 4 AM
Narrateur : Denaro Wolf
Narrateur : Denaro Wolf
Je me réveillai finalement, dans un lieu inconnu. Qu’avait fait de moi la Lune Noire depuis que j’étais à sa merci, je l’ignorais. Mais puisque le bruit d’une gouttelette d’eau tombant sur le sol parvint à me réveiller, je devais être vivant. Après mes oreilles, ce furent donc mes yeux qui s’éveillèrent. Bon, à vrai dire, il n’y avait pas grand-chose à voir : il faisait très sombre. Etait-ce la nuit ou…étais-je aveugle ? Non : je distinguais dans la pénombre une sorte de petite ouverture lumineuse qui tranchait quelque peu avec les ténèbres qui m’entouraient, créant un halo lumineux depuis cette ouverture jusqu’au sol. Désireux d’en apprendre plus, mais aussi de sortir d’un engourdissement dans lequel un sommeil trop long m’avait plongé, je finis par me lever après ces considérations oculaires. Il faisait froid et humide. En touchant les parois métalliques de la pièce où je me trouvais, je ne parvenais à trouver aucune sortie. Seule cette étroite ouverture dans le mur me reliait au monde extérieur. Elle semblait d’ailleurs être le fruit d’une explosion, puisque des plaques de métal manquaient de me cisailler les pieds. Où étais-je ? Peut-être trouverais-je une réponse au-delà de ce trou béant qui me faisait face.
J’étudiai donc l’extérieur. C’était une salle immense, éclairée par une myriade d’écrans d’ordinateurs concentrés au-dessus d’une console. Elle était située tout au fond de cet endroit pour le moins étrange. Certains de ces écrans étaient brisés, d’autres ne l’étaient pas et me permettaient de faire un pareil constat. Des sortes de cages de verre étaient réparties en colonnes sur ma droite. Ici aussi, certaines étaient brisées et d’autres pas. On pouvait voir des corps inertes de créatures, difficiles à décrire à la distance où je me trouvais, à l’intérieur de quasiment chacune d’entre elles. Je dis quasiment, puisqu’étrangement une seule semblait être vide. Quant au sol, il était jonché de débris et de corps en tout genre. Le mystère s’épaississait : où me trouvais-je ? Cela semblait être un laboratoire désaffecté, mais à part ça je restais dans le flou le plus total.
Soudain, tandis que je continuais d’observer non sans fascination le panorama qui s’offrait à moi, une tête jaillit devant moi. Je criai de surprise. La chose, qui semblait ressembler à une sorte de pokémon, me regardait en hochant la tête. Cela devait être lui, le résident qui s’était échappé d’une des cages de verre brisées. Pourquoi avait-il survécu et pas les autres ? Toujours est-il que, paniqué, je n’arrivais pas à dire quoi que ce soit. Je restais comme tétanisé par cette bête, et ce d’autant plus que son regard était féroce. Voulait-elle me tuer ? Il m’était impossible de le savoir. Après quelques minutes à me toiser du regard, l’entité fixa mon sort. Sortant de puissantes griffes cristallines, elle m’agrippa les épaule et me projeta avec force de l’autre côté de la paroi. J’atterris tout près d’une console qui devait probablement commander les cages de verre dans la mesure où elle faisait face à ces dernières.
- Aïe, ça fait mal !
La bête n’en eût cure, puisque qu’immédiatement après elle se mit à courir vers moi à une vitesse hallucinante avant de s’arrêter à une vitesse tout aussi hallucinante. Pendant sa très brève course, je pus clairement distinguer quel était ce mystérieux hôte dont les intentions m’étaient toujours inconnues. Il n’était pas bien haut, atteignant le mètre avec difficulté. Sa peau, bleue, était surmontée d’une imposante armure de piquants qui constituait un péril de choix pour les éventuels agresseurs. Enfin, ce véritable cristal sur pattes était doté de griffes aiguisées qui étaient quelques peu intimidantes. La bête s’était remise à me fixer du regard, tout en bougeant tout autour de moi. Elle semblait m’examiner sous tous les coutures.
Soudain, un bruit de porte automatisée se fit entendre non loin de là. Le porc-épic s’immobilisa à cet instant, avant de sauter au-dessus de ma tête et de disparaître en un instant entre les ordinateurs et les débris de verre. Quant à moi, je restais planté par terre. Il était difficile de dire que je n’étais pas surpris par l’évolution de la situation. En réalité, ces surprises étaient loin d’être les dernières. Quelques secondes après ce bruit de porte automatisée, un nouveau son parvint en effet à mes tympans. C’était des bruits de pas, qui se rapprochaient. Ils étaient accompagnés de voix d’hommes.
- Je me demande pourquoi le patron s’entiche de ce clown. C’est pas son genre de faire des prisonniers.
Une autre voix répondit aussitôt à la première, tandis que le bruit de pas continuait de se renforcer.
- Tant qu’il paie bien, je m’en cogne. Mais tu n’as pas entendu quelque chose en entrant ?
Les bruits de pas s’arrêtèrent. La première voix résonna de nouveau dans le laboratoire dévasté.
- C’est vrai, moi aussi j’ai cru entendre quelque chose. Bah écoute, séparons-nous : de mon côté, je vais ramener le prisonnier au pacha. On se retrouve à la caserne. L’antre de ce vieux fou me fout toujours la chair de poule. Plus vite on aura fait le boulot, plus vite on sera à la maison.
Les voix se turent alors, cette fois-ci de manière définitive. A l’inverse, les bruits de pas reprirent de plus belle. Mon inquiétude ne faisait que s’accroitre, doublée il faut bien le dire d’une certaine curiosité. Qui était le vieux fou dont un des deux hommes avait parlé ? Se pouvait-il qu’il s’agisse du propriétaire de ce laboratoire ? En tout cas, une chose était sûre : il n’était plus ici depuis des lustres, et son départ ne s’était pas fait sans violence. Mais plus fondamentalement, qui étaient ces gens ? Il allait de soi qu’ils étaient venu pour m’extraire de ce qui semblait bel et bien être une cellule maintenant que j’y réfléchissais. S’ils étaient mes geôliers, ils étaient au service de la Lune Noire. Mais pourquoi parlaient-ils de leur patron comme s’il s’agissait d’un employeur comme un autre ?
Les bruits de pas étaient devenus dramatiquement proches. Mon regard se portait partout, dans l’espoir de croiser celui de cet intriguant pokémon qui m’avait paradoxalement sauvé des griffes de mes ennemis. Sans lui, n’aurais-je pas déjà été entre leurs mains à l’heure qu’il était ? Oui, les intentions de cette créature ne semblaient pas mauvaises avec le recul. Mais le pokémon cristallin était introuvable. Il ne se trouvait ni dans les modules de stase qui se trouvaient derrière moi, ni caché dans un des recoins sombres du centre de recherche. Et pourtant, dieu sait que son apparence était particulière et rendait difficile un éventuel camouflage. La conclusion à tirer de tout cela était donc patente : je ne pouvais compter que sur moi-même.
J’entendais à présent le bruit de la respiration de celui qui me traquait. Je devais bouger, sinon il allait me trouver. Mais l’homme en question se trouvait-il à ma droite ou à ma gauche ? Je n’avais plus vraiment le temps de cogiter, il fallait analyser rapidement la situation. Finalement, choisissant quelque peu au hasard, je décida de me déporter sur ma gauche. Il s’avéra en fait très vite que j’aurais dû prendre le chemin inverse, puisque c’est là que se trouvait mon poursuivant. J’étais fait comme un rattata. L’homme en question était blond, en uniforme et armé d’une arme automatique. L’uniforme en question comportait tous les insignes officiels de la Brigade Noire du Consortium, la milice du Consortium. Ce que je subodorais depuis ma capture par la Lune Noire dans ce damné site pétrolier était devenu clair comme l’eau de roche : le Consortium était lié à cette entité maléfique. Quant à moi, je ne pouvais que me rendre.
L’homme, surpris, dégaina rapidement son arme de fonction et la braqua sur moi tout en souriant. La scène resta figée ainsi pendant quelques secondes, jusqu’à ce qui devait être en toute logique le second milicien se mette à crier. Il se trouvait non loin de là, probablement à proximité du trou qui m’avait permis de m’échapper de la cellule.
- Hé Carlos, il est pas dans sa cellule ! Il doit se trouver ici, si tu le trouve tu le menotte et tu me l’amène.
Le Carlos en question répondit aussitôt, tout en continuant de me fixer avec le sourire du chasseur qui a trouvé sa proie. Il s’adressa successivement à son collègue et à moi.
- Je sais, il est devant moi. J’arrive ! Quant à toi, je te conseille de me suivre gentiment si tu ne veux pas finir estropié. Ta petite escapade est terminée.
Je n’avais pas d’autre choix que me rendre. Et c’est ce que je fis, tâchant de ne faire aucun geste brusque qui puisse être suspecté de révolte par ce soudard du Consortium. J’avais travaillé assez d’année là-bas pour savoir que la Brigade Noire n’était pas spécialement réputée pour son sens de la mesure. Il m’intima l’ordre de lier mes deux mains devant moi. Tandis qu’il sortait des menottes de ses poches et commençait à m’attacher les mains, je regardais le laboratoire. C’est alors que j’eus une surprise de taille. En effet, juste au-dessus de nous, sur le plafond, le porc-épic de cristal était à l’affût. J’étais sauvé ! Ce crétin ne savait pas qu’il était sur le point de trépasser. Je ne puis m’empêcher d’être trahi par un sourire. Hélas, le mercenaire s’en rendit compte.
- Qu’est-ce que t’as à sourire comme ça ?
Je cessai aussitôt d’adopter ce rictus, pour répondre fort diplomatiquement à mon geôlier.
- Mais rien monsieur. Veuillez m’excuser, c’est nerveux. Je vous conseille juste de faire attention à vous. Qui sait ce qui pourrait…vous tomber sur la tête.
Le mot était fort bien trouvé et fort bien synchronisé, puisqu’à la seconde d’après le pokémon déferla sur le pauvre soldat et lui déchiqueta le dos à l’aide de ses puissantes griffes. Il décéda sur le coup, les poumons perforés par les membres supérieurs de cette surprenante bête de guerre. Son arme d’assaut et ses menottes le rejoignirent sur le sol, non sans émettre un bruit qui résonna dans tout le laboratoire. Ce bruit de métal au contact avec la roche mit d’ailleurs la puce à l’oreille au deuxième brigadier, qui se trouvait toujours à proximité de la cellule.
- Carlos, ça va ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Carlos ?
C’est tout ce qu’il eut le temps de dire avant que le pokémon ne lui saute dessus à son tour dans un tour tout simplement fulgurant. Dans les airs, ses griffes affûtées étaient pointées en direction de son visage et de ses yeux. Elles brillaient dans l’intense lumière émise par un des ordinateurs du laboratoire. Pris d’une panique fort compréhensible, l’homme se mit à ouvrir le feu sur son assaillant. Hélas pour lui, toutes ses munitions ricochaient sur les piquants du pokémon et terminaient leur parcours sur les parois du centre de recherche. Le moment du arriva finalement, et le combat eut à peu près la même conclusion que celui avec le dit Carlos : c’était une boucherie. Le pokémon s’était en effet agrippé sur le visage du soudard, et le lardait de coups de griffes qui faisaient gicler du sang sur tout son corps. Assailli par un ennemi impossible à repousser qui lui administrait les pries souffrances, les bras du milicien tremblaient. Ils tremblaient d’ailleurs tellement que le fusil qu’il portait lui échappa des mains. A un moment toutefois, le pokémon libéra l’infortuné militaire de son emprise en faisant un bond quelques mètres plus loin. Les dégâts qu’il avait infligé était atrocement élevés. L’homme n’avait plus d’yeux, plus de bouche, plus de nez et du sang giclait de son cou perforé. On voyait la colonne vertébrale de la victime à travers l’orifice, tailladée et sur le point de se briser définitivement.
Impitoyable, mon sauveur repartit à l’assaut alors qu’il était pourtant visible que son adversaire était sur le point de mourir. Il s’attaqua cette fois à son ventre, à ses bras et à ses jambes. Chaque taillade était profonde et aurait nécessité l’intervention d’un chirurgien expérimenté pour sauver la vie de ce brigadier. J’avais beau mépriser au plus haut ces miliciens qui s’apparentent bien souvent plus à une mafia qu’autre chose, j’éprouvais une certaine pitié à son égard. Il continuait de crier de douleur tandis que son ventre se perforait à son tour et que ses organes internes sortaient de son corps. La scène était insoutenable, et cette simple description était encore trop sobre pour bien rendre compte de l’horreur du massacre. Lorsqu’enfin le pokémon cessa ses exactions sur le corps du pauvre homme, sa victime ressemblait plus à un monstre qu’à un homme.
Je ne pouvais en voir davantage, c’est pourquoi à la fin de ce massacre je m’étais mis à tourner le dos à la scène que le pokémon contemplait à mes côtés avec une certaine fascination perverse qui était quelque peu désarçonnante. J’avais manqué à de nombreuses reprises de m’évanouir devant l’horreur qui s’était déroulée sous mes yeux. Se venger de ses ennemis ne me dérangeait pas : c’était de bonne guerre. En revanche, ce qui était au-dessus de mes forces c’était de les torturer. C’est précisément ce que cet allié étrange avait fait. Il faut croire qu’il avait une dent contre cet homme, puisque l’autre soudard n’avait pas bénéficié de ce traitement de faveur. L’un avait été mis à mort rapidement, l’autre plus lentement avec un plaisir sadique non dissimulé dans la surenchère de violence. Lorsque finalement je daignais me retourner en direction du cadavre, je vis le pokémon écrire sur le mur à l’aide de ses griffes. Quelle ne fut pas alors ma surprise de découvrir que le message qu’il écrivait, il le faisait dans la langue des hommes. Le pokémon semblait muet, et pourtant il savait écrire dans notre langue. Voilà qui renforçait le mystère entourant ce pokémon aux couleurs inhabituelles. Ce pokémon était vraiment étonnant, tant dans son acharnement dans le meurtre que dans son intellect très supérieur à ce que l’on peut attendre d’un simple pokémon. Comment un si petit corps pouvait cacher autant de ressources ?
Le pokémon avait à présent fini d’écrire son message. Tandis que je le lisais, il fonça en direction de la porte automatisée d’où étaient entrés tout à l’heure les deux miliciens. Le message formait deux phrases écrites en lettres de sang, fort prévisible au vu du combat sanglant qu’il venait de mener.
Je suis un Sablaireau et je cherche à sortir d’ici
Toi aussi non ?
Toi aussi non ?
Le message était on ne peut plus clair : le Sablaireau en question voulait faire équipe avec moi pour s’échapper d’ici. Il me paraissait tout de même étonnant qu’un pokémon aussi rusé et puissant ait été incapable de s’échapper d’un simple laboratoire alors qu’il ne faisait aucun doute qu’il connaissait parfaitement les lieux. Mais peut-être que ce qui se trouvait au-delà nécessitait la présence d’un homme ? Dans tous les cas, ce n’était pas le genre d’offre à refuser. Mon raisonnement était simple : il valait mieux faire d’une créature aussi dangereuse et incontrôlable un allié plutôt qu’un adversaire. Les deux miliciens mutilés qui se trouvaient derrière moi ne faisaient que renforcer cette conclusion à laquelle j’étais parvenu. Il allait de soi que je n’allais pas pouvoir aller bien loin en restant seul, d’autant plus que je ne savais toujours pas où exactement la Lune Noire m’avait conduit. Etait-ce simplement un laboratoire ? Rien ne permettait de le penser : ces miliciens n’avaient tout de même pas débarqué ici en traversant la brousse. Non, ce laboratoire ne devait être qu’une petite partie d’un complexe beaucoup plus grand. Cette proposition d’alliance de ce Sablaireau hors du commun ne faisait d’ailleurs que renforcer cette hypothèse.
La chose était donc entendue : nous allions faire équipe. Je rejoignis par conséquent mon nouvel allié, qui trépignait d’impatience, à l’extérieur du laboratoire. Qu’est-ce qui nous attendait à l’extérieur ? Je l’ignorais encore, mais sans vraiment savoir pourquoi j’avais un mauvais pressentiment. Mais dans tous les cas, une chose était sûre : l’immobilisme n’était pas une solution.
Tyranocif Rex
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14 avril 2013, 17:41
En traversant la porte automatisée qui constituait la seule issue depuis le laboratoire, j'accédai à une autre pièce. Elle était à la fois vaste et longiligne, comme une sorte de grand couloir. A gauche et à droite d'un chemin qui menait tout au fond à une autre porte automatisée, j'eus la surprise de découvrir des tapis roulants qui s'activaient dans un bruit mécanique considérable. A l'autre bout de la pièce, soit à une bonne centaine de mètres de ma position, des conduits déposaient sur les tapis roulants des pokéballs en acier. Ils étaient ensuite conduits vers une destination que j'étais incapable de connaître, puisque les tapis roulants continuaient leur route avec leurs pokéballs en traversant les parois de la pièce grâce à des trous qui étaient soigneusement disposés à des endroits-clés.
J'étais quelque peu intrigué. Je me reposais cette inlassable question : quel était cet endroit ? On semblait se trouver face à une sorte d'usine, mais pourquoi ces tapis roulants transportaient-ils des pokéballs ? Quel but poursuivait les concepteurs de ces infrastructures ? Certes, j'avais été pendant des années un membre zélé du Consortium. Mais jamais je n'avais été mis au courant d'un tel endroit. Le mystère s'épaississait, et pourtant il fallait avancer. Sablaireau me le rappela d'ailleurs en aiguisant ses griffes sur le promontoire métallique qui surélevait les tapis roulants par rapport au chemin principal que nous empruntions. Il fallait donc reprendre la route, j'aurais sûrement l'occasion de répondre à mes interrogations plus loin.
Entre les tapis roulants, une nouvelle porte automatisée nous faisait face. En la traversant, je découvrais une nouvelle partie de ce complexe décidément bien étendu. Cette troisième pièce n'en était pas vraiment une : il s'agissait d'un long et étroit corridor qui s'étendait à ma droite comme à ma gauche. L'exploration de la partie orientale de ce nouvel environnement ne donna rien. Ce n'était qu'un cul-de-sac avec pour seule issue des entrepôts remplis de cartons. En revanche, il n'en alla fort heureusement pas de même dans l'autre sens. En revenant sur nos pas, nous arrivâmes en effet face à un ascenseur. Noir comme l'était tout ce corridor, un bouton permettait d'ouvrir le monte-charge. Comme tout ascenseur, il était surmonté d'un petit écran qui indiquait l'emplacement actuel de la cage d'ascenseur. Cette découverte m'interpellait. Elle m'interpelait, parce que la présence d'un tel moyen de transport ne pouvait signifier qu'une chose : nous nous trouvions dans un immense bâtiment. C'était peut-être même une tour. Non : en regardant l'écran, il me fallait corriger cette hypothèse. C'était une tour : quel autre bâtiment qu'une tour aurait pu afficher sur son ascenseur un 120° étage ? J'avais du mal à le réaliser, mais c'était pourtant le cas : l'ascenseur se trouvait actuellement au 120° étage.
Je ne connaissais qu'un bâtiment au monde qui comptait au moins 120 étages. Ce bâtiment, c'était le Siège du Consortium à Doublonville. En arrivant à cette conclusion, mon sang ne fit qu'un tour : se pouvait-il que je me trouve là, dans le lieu le plus redouté du monde ? C'était une tour d'obsidienne immense, qui toisait tout Doublonville d'une ombre menaçante. Elle faisait cent-vingt-six étages au total, mais les derniers étages n'étaient accessibles qu'au Directorat du Consortium. Mais si c'était le cas, cela pouvait expliquer beaucoup de choses. En particulier, je m'étais toujours demandé ce que devenaient les pokémons que Sardonis nous ordonnait à nous, soldats du Consortium, de capturer. A moi comme à tous mes frères d'armes, on avait toujours dit que ces pokémons étaient simplement vendus. Mais dans ce cas, si ces pokéballs contenaient ces fameux pokémons, que faisaient-ils là ? Mon sang ne fit qu'un tour. Désarçonnant complètement un Sablaireau qui attendait que j'ouvre l'ascenseur, je bondis brusquement en direction de l'usine que nous venions de quitter.
Je devais en avoir le cœur net. Je pris une des pokéballs se trouvant sur les tapis roulants, et la projeta sur le sol. Un Carapuce en sortit. J'en pris une autre et fit la même chose. Un Embrylex en sortit. Une troisième tentative fut finalement faite, tandis que je bouillonnais de colère pour mes anciens employeurs. Un Germignon en sortit. Le Consortium n'était donc que perfidie ? Irène avait raison ! Que faisaient-ils avec ces pokémons ?
- Maudit soit-tu, Consortium ! Sablaireau !
En m'entendant crier son nom, le pokémon cristallin accourut à la vitesse d'un Insecateur dans la brousse. Il me voyait, plein de rage, lui ordonner de tout détruire. Un tel amoureux de la violence ne pouvait passer à côté d'une telle opportunité. En deux et trois mouvements, un déluge de griffes s'abattit donc sur les tapis roulants. Et en deux temps et trois mouvements, toute l'usine était mise sens dessus-dessous. A présent, les tapis roulants étaient tous sectionnés et le conduit d'arrivée des pokéballs était bouché par le métal tordu par les griffes dures comme l'acier de mon ami porc-épic. Justice était désormais rendue.
- Viens, on en a terminé ici. Ca va leur prendre du temps pour s'en rendre compte et réparer tout ça.
Voilà ce que je lui lançai tandis qu'il admirait le résultat, admirable, de son travail. Nous rejoignîmes donc l'ascenseur, le pokémon givré tant dans sa tête que sur son dos me précédant comme d'habitude. Le compteur affichait toujours le cent-vingtième étage. Je réfléchissais. En tant que soldat du Consortium, j'étais déjà allé dans le Siège du Consortium. Mais je n'étais jamais allé aussi bas : où étais-je d'ailleurs par rapport au sommet ? Nous devions sortir d'ici, mais il fallait que je me rappelle de l'étage à emprunter pour atteindre le rez-de-chaussée. Après avoir fait les cent pas pendant quelques instants pour réfléchir sous le regard impatient du Sablaireau, la mémoire me revint. Comme un laboratoire ne pouvait se trouver qu'au sous-sol du fait des risques engendrés par toute expérience scientifique, il fallait rejoindre l'étage 0.
Sans perdre un instant, j'appuyai donc sur le bouton rouge de l'ascenseur. Après que le monte-charge ait fini de descendre, la porte s'ouvrit dans un petit bruit discret. L'écran affichait à présent la mention suivante : « Sous-Sol – Secteur Scientifique et Entrepôts ». L'intérieur de la cage d'ascenseur était assez élégant : le métal noir brillait paradoxalement avec l'éclairage. Un écran de commande chiffré se trouvait au fond. Il devait s'agir de la console permettant de choisir sa destination. Sobrement, après être entré je me contentai d'appuyer sur la touche zéro. La porte se ferma aussitôt, non sans faire tressaillir le pokémon qui m'accompagnait. D'ailleurs, en entrant dans la cage d'ascenseur il n'avait pas l'air très rassuré. Sans doute était-ce la première fois qu'il allait dans un ascenseur. Et après tout, de telles machines étaient conçues pour les hommes et pas les pokémons. De toute façon, mon compagnon de route ne pouvait avoir toutes les qualités : sinon, il n'aurait pas eu besoin de moi.
Quelques secondes après la fermeture des portes, l'ascenseur amorça progressivement son ascension. L'objectif était le rez-de-chaussée, mais j'ignorais pour ainsi dire tout de la distance à parcourir. Le voyage pouvait être très long comme très court. Malheureusement pour nous, un évènement inattendu rendit valide la première hypothèse. Après plusieurs minutes de montée, un choc incroyable ébranla toute la cage d'ascenseur. Le choc était d'ailleurs tel que, pris de court, nous nous écroulâmes sur le sol. Le monte-charge avait à présent stoppé sa route, tandis qu'une alarme s'était mise en route. Le bruit, désagréable comme l'est celui de toutes les alarmes, était ponctué régulièrement d'une voix automatisée qui disait toujours la même chose.
- ALERTE ! ALERTE ! UNE ERREUR TECHNIQUE D'ORIGINE INCONNUE EST SURVENUE DANS LE SECTEUR 7 ! CONTACTEZ VOTRE CHEF DE SECTION SUR LE CANAL 136 !
La porte de l'ascenseur, broyée par le choc, s'effondra dans les secondes qui suivirent ce qui ressemblait fort à un accident. L'ouverture nouvelle révéla un chemin étrange, plongé dans une grande obscurité qui n'était éclaircie que de temps à autre par la lumière résiduelle de lampes défectueuses sur le plafond. Mais le plus important, c'était surtout la chaleur incroyable qui se dégageait de l'extérieur. C'était pourtant la seule issue, d'autant plus que le Consortium n'allait pas tarder à arriver ici pour enquêter sur cette « erreur technique » mentionnée par le message d'alerte.
Tout en reprenant nos esprits, nous sortîmes donc tous deux de l'ascenseur ravagé. Sablaireau, toujours aussi dynamique, partit en éclaireur. Il revint très vite, en sueur et affolé par ce qu'il venait de voir. J'appris très vite quelle était la cause de cette panique. Au détour d'un virage dans ce qui semblait être une passerelle entourée de bonbonnes de gaz au vu du bruit métallique que faisaient chacun de nos pas, nous arrivâmes en effet face à un véritable lac de métal en fusion. C'était face à cette substance dangereuse, pour ne pas dire létale, que se terminait la passerelle. Ce lac était ponctué de plateformes sur lesquelles se trouvaient d'étranges machines qui faisaient un bruit assourdissant. Enfin, à l'extrémité du lac je discernais ce qui semblait être une autre passerelle qui bifurquait dans un virage au loin. En étudiant la situation, il semblait clair qu'il devait être possible de rejoindre cette passerelle lointaine. Dans le cas contraire, elle n'existerait tout simplement pas. J'essayais de réfléchir, mais il faisait tellement chaud que cela rendait ma respiration difficile. Il devait au moins faire quarante degrés, si ce n'est plus.
Pendant que je réfléchissais, le porc-épic, qui détestait cette chaleur abominable, s'était mis dans l'idée de jouer avec les bonbonnes de gaz. Sur chacune d'elle figurait en effet une sorte de levier à l'utilité quelque peu mystérieuse. A un moment, par mégarde le pokémon était parvenu à déplacer le levier d'une de ces bonbonnes de gaz. Un bruit de gaz dépressurisé se fit alors entendre derrière moi, mais aussi dans le lac de métal en fusion sans que je comprenne vraiment pourquoi. Ne m'y attendant pas, je sursauta de surprise.
- Qu'est-ce que tu fais ? Arrête, tu vas tous nous tuer !
Tout du moins était-ce ce que je croyais, puisque dans la foulée la température se mit à chuter de manière sensible. Quant à la lave, elle changea subitement de couleur. C'est alors qu'un éclair de génie me traversa l'esprit tel un flash de lucidité.
- Mais bien sûr ! Tu es un génie, Sablaireau ! Inverse la pression de toutes les bonbonnes, et cela refroidira la lave.
En effet, il semblait que la chaleur de cet endroit était directement liée à ces bonbonnes de gaz. Le bruit du gaz qui s'échappait était à présent tellement fort qu'il couvrait même le bruit des machines qui se trouvaient sur ces plateformes, au loin. Lorsque le silence revint, le métal en fusion s'était tellement refroidi qu'il était devenu solide à la manière de la lave des volcans après quelques heures à l'air libre. Le passage était désormais libre, d'autant plus que je venais de découvrir à gauche du bout de la passerelle où nous nous trouvions une échelle. Il était étonnant qu'elle ait été capable de résister aux très fortes chaleurs auxquelles elle était de toute évidence perpétuellement soumise, mais peut-être avait-elle été construite dans je ne sais quel alliage rare dont les forges du Consortium ont le secret.
Profitant de cette épilogue inespéré, nous empruntâmes donc cette échelle afin de rejoindre le fond du bassin de métal en fusion. Le sol, dur comme la roche, était encore brûlant : il fallait donc se presser si nous ne voulions pas que nos pieds rôtissent sur place. Arrivé à mi-chemin, entre deux plateformes, une alarme retentit. Une de plus, pestais-je. Un nouveau message robotisé se fit également entendre, entre deux alarmes. Un de plus, pestais-je. Cela commençait vraiment à devenir une habitude.
- ALERTE ! ALERTE ! LA TEMPERATURE DE LA STATION THERMIQUE A ATTEINT LA COTE D'ALERTE. L'ALIMENTATION ELECTRIQUE DU SECTEUR SEPT VA CESSER FAUTE DE PRESSURISATION SUFFISANTE POUR REDRESSER LA TEMPERATURE.
Voilà donc où nous nous trouvions : dans une centrale thermique. Quant au message qui venait de nous parvenir, il pouvait se résumer ainsi : nous étions dans la boue jusqu'au cou. Il fallait se dépêcher. Si j'en croyais ce message un rien technocratique, cela signifiait que nous allions être plongés définitivement dans le noir d'un instant à l'autre. Cela ne tarda d'ailleurs pas, puisque les puissantes lampes qui éclairaient la station thermique commencèrent à s'éteindre les unes après les autres. Une première série de lampes s'éteignit. Nous n'étions plus très loin de l'échelle qui allait nous permettre, je l'espérais, de quitter définitivement cette partie du Siège du Consortium. Une deuxième série de lampes s'éteignit. Sablaireau agrippa ses griffes sur une des barres de l'échelle. Je fis de même en-dessous de lui. Une troisième série de lampes s'éteignit. Le noir était à présent total. Sablaireau avait bondi au sommet de la passerelle, agrippant une de ses griffes sur le sol et une autre sur mon bras. Ce réflexe bien trouvé de mon ami thermophobe me permit de le rejoindre sur la plateforme. Nous étions épuisés, mais nous étions sauvés. Nous étions sauvés, car dans l'obscurité il nous aurait été impossible d'atteindre cette fameuse plateforme. Nous aurions erré dans l'Ombre pour l'éternité, comme des âmes errantes dans je ne sais quelle dimension parallèle.
A présent, certes nous n'avions pu échapper à cette obscurité complète dans laquelle nous étions plongés. Mais nous le faisions dans un chemin balisé. Après nous être relevés, Sablaireau reprit ensuite la route avec sa célérité habituelle. Décidément, rien ne semblait le gêner. Il avait une vision nocturne ou quoi ? Bref, toujours était que progressivement, je m'étais mis à tâtonner avec mes mains en quête d'une paroi tout en continuant d'avancer en suivant le bruit de pas de mon compagnon de route. Lorsque je trouvai cette fameuse paroi, quelle ne fut pas alors ma surprise de découvrir une forme familière. Cette forme, c'était celle des bonbonnes de gaz rencontrées plus tôt. Une idée germa aussitôt dans mon esprit : si nous avions pu désactiver la centrale thermique en dépressurisant ces bonbonnes, nous pouvions faire l'inverse en les pressurisant ! Ajoutant le geste à la parole, je me mis donc à chercher le fameux levier d'une des bonbonnes avec mes mains. Une fois trouvées, je demandai à Sablaireau de s'arrêter et lui expliqua mon projet.
- Attends Sablaireau ! J'ai une idée : on va réactiver la centrale. Maintenant que le bassin d'alimentation est derrière nous, cela ne devrait plus poser de problème.
Prenant presque ma demande pour un caprice, le pokémon obéit et se mit lui aussi à actionner les leviers des bonbonnes de gaz situées près de lui. Je fis de même, et très rapidement la chaleur remonta et avec elle l'éclairage. Cela faisait du bien tout de même de savoir où l'on allait. La passerelle ressemblait en tout point à celle que nous avions emprunté après cet étrange accident d'ascenseur. D'ailleurs, le mystère restait entier au sujet de cet incident. Je méditais là-dessus tandis que nous reprenions la route. A un moment, nous fûmes pris de stupeur : la passerelle s'arrêtait net sur un cul-de sac. Tout ce qui se trouvait devant nous, c'était d'autres bonbonnes de gaz. Combien il y en avait au total, je ne saurais le dire. Nous n'avions pas le temps pour de telles futilités arithmétique de toute façon. Et pourtant, cela m'en cuisait de le dire mais le fait était établi : nous étions bloqués ici comme des rats. Tandis que Sablaireau s'impatientait, je cherchais une solution. Cette solution, je ne l'avais toujours pas trouvé une demi-heure plus tard. C'est alors qu'un cri de pokémon se fit entendre, accompagné de bruits de voix.
- Allez Ptera, cherche mieux : ils ne peuvent pas être bien loin. S'ils ne sont pas ici, ils se sont sûrement terrés au fin fond de la centrale.
Non, cela ne pouvait être possible : le Consortium nous avait retrouvé ? Dans la panique, je continuais de chercher cette solution qui ne venait pas. Quant à Sablaireau, il s'était résigné au combat. Un combat était pourtant bien périlleux ici, autour de toutes ces bonbonnes de gaz qui pouvaient exploser au moindre choc. Les voix n'étaient qu'à quelques mètres de nous. J'entendais leurs pas se rapprocher. Comme nos poursuivants ne cessaient de le dire, nous étions faits comme des rats. Soudain, une explosion retentit juste au-dessus de nous. Elle perça la plafond, révélant un chemin de ventilation. De là, une main violette avec des doigts humanoïdes en jaillit. Elle m'agrippa par le cou, et me souleva avec une facilité déconcertante avant de me déposer délicatement dans la bouche d'aération. Voyant ce qu'il venait de se passer, le Sablaireau bondit aussitôt dans la bouche d'aération comme le lui avait ordonné la fameuse main. Une fois mis en sécurité à l'intérieur, nous regardions à présent l'évolution de la scène.
Le propriétaire de la fameuse main révéla son identité en sautant de la bouche d'aération en direction de l'emplacement où nous nous trouvions encore quelques secondes plus tôt. C'était un pokémon qui dégageait une impression de puissance phénoménale. Violet, il avait une forme humaine tout en ayant des traits caractéristiques des pokémons telles qu'une longue queue. Elle avait une couleur plus sombre que le reste de son corps, et courait jusqu'à son bassin. Notre sauveur faisait désormais face à nos poursuivants, qui s'étaient précipités vers nous au moment de l'explosion. Sans vraiment que cela m'étonne, il s'agissait de Brigadiers du Consortium. Un d'entre eux fut pris d'un cri d'effroi en voyant ce qui lui faisait face. Il laissa échapper le nom de la créature.
- M...Mewtwo ?
Sans dire un mot, le dénommé Mewtwo fonça sur les sbires du Consortium et leur administra un coup de tête si puissant qu'il les propulsa directement dans le bassin plein de métal en fusion de la centrale de la station thermique. Dans leur propulsion, ils détruisirent au passage de nombreuses bonbonnes de gaz qui firent littéralement exploser la centrale technique sans que cela gêne le moins du monde Mewtwo. Dans la fumée causée par la libération de ces hectolitres de gaz, Mewtwo nous adressa un dernier regard avant de disparaître dans les limbes de la station en ruines dans un fracas épouvantable.
Nous étions à présent seuls dans une bouche d'aération, au milieu du chaos engendré par notre mystérieux sauveur. A part son nom, j'ignorais pour ainsi dire tout de ce Mewtwo. Mais j'avais l'intime conviction sans vraiment savoir pourquoi que j'allais être amené à le retrouver bientôt. En tout cas, il n'avait pas l'air de porter nos chers amis du Consortium dans son cœur. Et ça, c'était une très bonne nouvelle pour nous. En tout cas, nous ne devions pas rester ici. A chaque seconde qui passait, la partie de la bouche d'aération où nous étions menaçait de s'écrouler. Elle faisait des bruits étranges, signe des dégâts que Mewtwo lui avaient infligé lors de sa très audacieuse opération de secours aux égarés que nous sommes. J'étudiais la situation : si deux chemins s'offraient théoriquement à nous, un seul était praticable dans les faits. Toujours à cause de l'explosion, le chemin de droite s'était en effet effondré. Plusieurs mètres nous séparaient de la partie encore intacte de cette partie des conduits d'aération. La chose était donc dite : il fallait emprunter la seule partie encore intacte de ces infrastructures, soit le chemin de gauche.
Accompagné du Sablaireau cristallin, je me remis donc en route. S'il était habitué à ramper du fait de sa petite taille et de son statut de taupe, c'était beaucoup moins aisé pour moi. Je n'arrêtai pas de cogner ma tête sur le plafond, sans parler des moments fort embarassants où mon corps se retrouvait coincé dans les conduits. Au nom d'Arceus, qu'ils étaient étroits ! A chaque fois, il fallait que j'en appelle à Sablaireau pour qu'il me tire de là. J'étais en sueur face à tant d'efforts pour aussi peu d'avancées. Nous serpentâmes ainsi jusqu'à se trouver face à un passage délicat. En effet, un précipice nous faisait face. Décidément, les architectes de ce bâtiment n'avaient aucune sorte de pitié pour les rattata qui vivaient là. Pourquoi avoir placé pareil trou dans des conduits d'aération ? Je n'avais pas osé regarder ce qui se trouvait en bas, de peur de tomber dans le gouffre à la faveur d'une crise de vertige. Mais finalement, après quelques efforts l'obstacle fut franchi. De plus, face à nous l'horizon s'éclaircissait. La sortie n'était plus très loin : nous accélérions donc, enfin tout du moins nous essayions d'accélérer dans cet environnement peu propice à la vitesse. Qu'est-ce qui nous attendait à l'autre bout ? Ce n'était plus qu'une question de secondes avant que nous soyons fixés.
Un nouveau gouffre qui manqua de nous faire tomber du conduit : voilà ce qu'il se trouvait au bout. C'était un précipice immense, de plusieurs mètres de diamètre. En nous entendant arriver, tout un groupe de nosferapti s'envola et eut la brillante idée de se mettre à crier. Ces hurlements stridents ne faisaient que rendre la scène encore plus sinistre. Avec toutes les difficultés du monde du fait de l'étroitesse du conduit, nous pointions nos têtes à l'extérieur afin de regarder le panorama. Si Sablaireau n'avait pas eu le réflexe de reculer en arrière en atteignant le gouffre, nous serions tous les deux déjà morts à l'heure qu'il est. Il me devait une fière chandelle. A bien regarder en bas, j'avais l'impression de retrouver cette fameuse cage d'ascenseur accidentée que nous avions quitté auparavant. Ce conduit nous avait donc menés dans le tunnel qui permettait à l'ascenseur de desservir tous les étages du siège du Consortium.
Tout cela était passionnant, mais cela ne nous aidait guère dans notre voyage vers la surface. Ce conduit d'aération n'avait fait que nous aider à nous perdre davantage dans ce labyrinthe de passerelles et de tunnels que nous avions tour à tour fréquenté dans l'espoir de retrouver notre chemin. Que faire à présent ? Le chemin de droite, je l'avais clairement constaté, était inaccessible. Quant au chemin de gauche que nous avions emprunté, on venait de s'apercevoir qu'il ne menait lui aussi qu'à une mort assurée. Hélas pour nous, nous n'étions pas des roucool. La seule solution était donc de rebrousser chemin en priant pour découvrir au retour un passage qui nous ait échappé.
Ayant rebroussé chemin par dépit, nous étions à présent revenus devant le fameux précipice que nous avions dû traverser quelque peu acrobatiquement tantôt. J'effectuai ce que je n'avais pas osé faire à l'aller, c'est-à-dire regarder en bas. Il n'y a avait là rien de transcendant : on ne voyait qu'un conduit qui menait vers le sous-sol de la tour. L'emprunter ne nous aurait donc menés à rien. La situation était bloquée. Elle le resta d'ailleurs un certain temps, jusqu'à ce qu'un petit objet insignifiant apparut d'en haut. Il cogna la tête de Sablaireau avant de rester coincé dans ses piquants cristallins. Intrigué, je me permis de lui prendre ce mystérieux objet. C'était une pokéball, ou plus exactement une Cyber Ball puisqu'elle était constituée intégralement de titane qui lui donnait cette apparence froide et métallique. Tout en l'étudiant, une autre pokéball tomba du ciel. Cette fois, elle cogna sur ma tête avant de tomber dans le conduit. Pris à la fois de surprise et de douleur, j'émis un cri plaintif avant de redresser ma tête vers le haut. On n'y voyait pas grand-chose. Pourtant, j'avais l'impression que le plafond était moins bas que dans le reste du conduit d'aération.
Je tentai de me lever, ce que je fis avec succès à ma grande surprise. Sablaireau m'imita, tout aussi surpris. Ces pokéballs devaient bien provenir de quelque part. Je tâtonnai les parois aves mes mains. C'est alors que, manquant de perdre l'équilibre et de tomber dans le tunnel en contrebas, ma main droite agrippa ce qui semblait être une échelle.
- Mais...il y a un passage ici ! Viens Sablaireau, saute vers moi. Tu devrais trouver une rambarde où t'accrocher.
J'espérais ne pas me tromper. Fort heureusement, ce que fit Sablaireau me permit de vérifier cette hypothèse. Comme il s'agit si bien le faire, le porc-epic bondit au-dessus de moi et réussit à trouver cette fameuse rambarde que je lui avais promise. Puis, sans attendre davantage, il grimpa au sommet à toute vitesse. Je fis de même, à une vitesse moindre naturellement. Au sommet, j'accédai à une sorte de pièce remplie de pokéballs où nous nagions littéralement. Régulièrement, des pokéballs tombaient dans ce qui semblait être un réservoir. Au-dessus, un trou permettait aux outils de capture de tomber ici. C'est donc ici que le Consortium devait entasser les pokémons capturés dans les expéditions menées par les Brigades du Consortium tout autour du monde. Quelle chance d'avoir trouvé un tel endroit ! Comme quoi, le salut peut être obtenu par bien peu de choses. Je sentais que la surface n'était plus très éloignée : la lumière naturelle arrivait jusqu'à nous, à travers le conduit du plafond qui était aussi droit qu'un Simularbre au garde-à-vous. Mais tout n'était pas encore gagné : il fallait encore rejoindre la surface. Pour faire cela, un escalier d'acier avait heureusement été aménagé dans la partie surélevée du réservoir. Elle menait à une porte automatisée.
Après s'être amusé quelques instants avec les pokéballs qu'il prenait pour des balles, Sablaireau bondit au sommet de l'escalier sans effort. Je le rejoignis quelques secondes plus tard. Après avoir traversé la porte, un nouvel escalier nous attendait. Ici, la luminosité avait brusquement beaucoup baissé. Heureusement que des torches électriques étaient régulièrement disposées sur les murs pour que l'on puisse se repérer, faute de quoi il ferait aussi sombre que dans de l'eau après la colère d'un Octillery ou la panique d'un Hypotrempe. L'escalier était incroyablement long à gravir. Il fallut cinq bonnes minutes à Sablaireau pour arriver au sommet. Quant à moi, il m'en fallut une bonne dizaine. Lorsque finalement nous arrivâmes au point le plus haut, le chemin était sans issue. Tout du moins, il semblait sans issue puisque deux boutons étaient disposés face à nous. Le premier était rouge, le second était bleu. Quant au plafond, il était étrange puisqu'il n'avait pas la même texture à l'emplacement où nous nous trouvions que dans le reste de la pièce. Ici, il était zébré de jaune tandis qu'ailleurs le noir régnait en maître sans concurrents. D'instinct, j'appuyai sur le bouton rouge : il devait commander l'ouverture du passage.
Un bruit d'engrenage plus tard, le plafond commença à se dérober comme je le pensais. Lorsque j'étais encore soldat du Consortium, je n'étais jamais allé aussi profondément dans la tour. En revanche, une partie du sol du rez-de-chaussée m'avait toujours interpellé par sa couleur blanche et jaune zébrée si caractéristique. Et j'avais de bonnes raisons de penser que ce sol et ce plafond ne formait en fait qu'un seul et unique ensemble. A mesure que le plafond laissait à voir davantage de ce qui se trouvait au-dessus, ma certitude d'avoir atteint ce rez-de-chaussée tant espéré ne faisait que se renforcer. A travers l'immense baie vitrée si caractéristique du seul étage ouvert au public du Siège du Consortium, les rayons de soleil parvenaient enfin jusqu'à nous et réchauffaient nos cœurs fatigués par tant d'épreuves.
Il ne fallait pas pour autant croire que tout était déjà gagné. Je n'avais aucune envie d'être l'Icare des temps modernes. Pris d'un instant de nostalgie et d'allégresse, je me ressaisis très rapidement. Discrètement, je sortis du sous-sol par la trappe qui venait de s'ouvrir. Sablaireau fit de même. Et, quelques secondes après que Sablaireau ait lui aussi rejoint la surface, la trappe se referma dans un bruit sec. Le silence revint ensuite. C'était un silence de mort, pour ne pas dire anormal. Nous fîmes quelques pas avec la prudence d'un Persian, regardant dans toutes les directions pour vérifier qu'aucun Brigadier du Consortium ne nous attendait. Mais c'était désormais patent : il n'y avait personne à cet étage zéro de la tour. C'était pourtant ici, et de loin, que s'affirmait le plus la puissance du Consortium. J'étais bien placé pour le savoir, ayant été de garde ici pendant mes premiers mois de service au sein de l'Armée du Consortium. Oui, il y avait définitivement quelque chose d'anormal ici. Soudain, alors que j'étais dos à l'entrée, la porte automatisée s'ouvrit et une voix qui m'était hélas bien trop familière se fit entendre.
- Ne t'inquiète pas Denaro, tu ne trouveras personne ici. Je les ai tous envoyés ailleurs.« Modifié: 25 décembre 2013, 14:21 par Tyranocif Rex »
Chapitre XXVI - Au Coeur du Consortium
Spoiler
3 Mai - 4 AM
Narrateur : Denaro Wolf
Narrateur : Denaro Wolf
En traversant la porte automatisée qui constituait la seule issue depuis le laboratoire, j'accédai à une autre pièce. Elle était à la fois vaste et longiligne, comme une sorte de grand couloir. A gauche et à droite d'un chemin qui menait tout au fond à une autre porte automatisée, j'eus la surprise de découvrir des tapis roulants qui s'activaient dans un bruit mécanique considérable. A l'autre bout de la pièce, soit à une bonne centaine de mètres de ma position, des conduits déposaient sur les tapis roulants des pokéballs en acier. Ils étaient ensuite conduits vers une destination que j'étais incapable de connaître, puisque les tapis roulants continuaient leur route avec leurs pokéballs en traversant les parois de la pièce grâce à des trous qui étaient soigneusement disposés à des endroits-clés.
J'étais quelque peu intrigué. Je me reposais cette inlassable question : quel était cet endroit ? On semblait se trouver face à une sorte d'usine, mais pourquoi ces tapis roulants transportaient-ils des pokéballs ? Quel but poursuivait les concepteurs de ces infrastructures ? Certes, j'avais été pendant des années un membre zélé du Consortium. Mais jamais je n'avais été mis au courant d'un tel endroit. Le mystère s'épaississait, et pourtant il fallait avancer. Sablaireau me le rappela d'ailleurs en aiguisant ses griffes sur le promontoire métallique qui surélevait les tapis roulants par rapport au chemin principal que nous empruntions. Il fallait donc reprendre la route, j'aurais sûrement l'occasion de répondre à mes interrogations plus loin.
Entre les tapis roulants, une nouvelle porte automatisée nous faisait face. En la traversant, je découvrais une nouvelle partie de ce complexe décidément bien étendu. Cette troisième pièce n'en était pas vraiment une : il s'agissait d'un long et étroit corridor qui s'étendait à ma droite comme à ma gauche. L'exploration de la partie orientale de ce nouvel environnement ne donna rien. Ce n'était qu'un cul-de-sac avec pour seule issue des entrepôts remplis de cartons. En revanche, il n'en alla fort heureusement pas de même dans l'autre sens. En revenant sur nos pas, nous arrivâmes en effet face à un ascenseur. Noir comme l'était tout ce corridor, un bouton permettait d'ouvrir le monte-charge. Comme tout ascenseur, il était surmonté d'un petit écran qui indiquait l'emplacement actuel de la cage d'ascenseur. Cette découverte m'interpellait. Elle m'interpelait, parce que la présence d'un tel moyen de transport ne pouvait signifier qu'une chose : nous nous trouvions dans un immense bâtiment. C'était peut-être même une tour. Non : en regardant l'écran, il me fallait corriger cette hypothèse. C'était une tour : quel autre bâtiment qu'une tour aurait pu afficher sur son ascenseur un 120° étage ? J'avais du mal à le réaliser, mais c'était pourtant le cas : l'ascenseur se trouvait actuellement au 120° étage.
Je ne connaissais qu'un bâtiment au monde qui comptait au moins 120 étages. Ce bâtiment, c'était le Siège du Consortium à Doublonville. En arrivant à cette conclusion, mon sang ne fit qu'un tour : se pouvait-il que je me trouve là, dans le lieu le plus redouté du monde ? C'était une tour d'obsidienne immense, qui toisait tout Doublonville d'une ombre menaçante. Elle faisait cent-vingt-six étages au total, mais les derniers étages n'étaient accessibles qu'au Directorat du Consortium. Mais si c'était le cas, cela pouvait expliquer beaucoup de choses. En particulier, je m'étais toujours demandé ce que devenaient les pokémons que Sardonis nous ordonnait à nous, soldats du Consortium, de capturer. A moi comme à tous mes frères d'armes, on avait toujours dit que ces pokémons étaient simplement vendus. Mais dans ce cas, si ces pokéballs contenaient ces fameux pokémons, que faisaient-ils là ? Mon sang ne fit qu'un tour. Désarçonnant complètement un Sablaireau qui attendait que j'ouvre l'ascenseur, je bondis brusquement en direction de l'usine que nous venions de quitter.
Je devais en avoir le cœur net. Je pris une des pokéballs se trouvant sur les tapis roulants, et la projeta sur le sol. Un Carapuce en sortit. J'en pris une autre et fit la même chose. Un Embrylex en sortit. Une troisième tentative fut finalement faite, tandis que je bouillonnais de colère pour mes anciens employeurs. Un Germignon en sortit. Le Consortium n'était donc que perfidie ? Irène avait raison ! Que faisaient-ils avec ces pokémons ?
- Maudit soit-tu, Consortium ! Sablaireau !
En m'entendant crier son nom, le pokémon cristallin accourut à la vitesse d'un Insecateur dans la brousse. Il me voyait, plein de rage, lui ordonner de tout détruire. Un tel amoureux de la violence ne pouvait passer à côté d'une telle opportunité. En deux et trois mouvements, un déluge de griffes s'abattit donc sur les tapis roulants. Et en deux temps et trois mouvements, toute l'usine était mise sens dessus-dessous. A présent, les tapis roulants étaient tous sectionnés et le conduit d'arrivée des pokéballs était bouché par le métal tordu par les griffes dures comme l'acier de mon ami porc-épic. Justice était désormais rendue.
- Viens, on en a terminé ici. Ca va leur prendre du temps pour s'en rendre compte et réparer tout ça.
Voilà ce que je lui lançai tandis qu'il admirait le résultat, admirable, de son travail. Nous rejoignîmes donc l'ascenseur, le pokémon givré tant dans sa tête que sur son dos me précédant comme d'habitude. Le compteur affichait toujours le cent-vingtième étage. Je réfléchissais. En tant que soldat du Consortium, j'étais déjà allé dans le Siège du Consortium. Mais je n'étais jamais allé aussi bas : où étais-je d'ailleurs par rapport au sommet ? Nous devions sortir d'ici, mais il fallait que je me rappelle de l'étage à emprunter pour atteindre le rez-de-chaussée. Après avoir fait les cent pas pendant quelques instants pour réfléchir sous le regard impatient du Sablaireau, la mémoire me revint. Comme un laboratoire ne pouvait se trouver qu'au sous-sol du fait des risques engendrés par toute expérience scientifique, il fallait rejoindre l'étage 0.
Sans perdre un instant, j'appuyai donc sur le bouton rouge de l'ascenseur. Après que le monte-charge ait fini de descendre, la porte s'ouvrit dans un petit bruit discret. L'écran affichait à présent la mention suivante : « Sous-Sol – Secteur Scientifique et Entrepôts ». L'intérieur de la cage d'ascenseur était assez élégant : le métal noir brillait paradoxalement avec l'éclairage. Un écran de commande chiffré se trouvait au fond. Il devait s'agir de la console permettant de choisir sa destination. Sobrement, après être entré je me contentai d'appuyer sur la touche zéro. La porte se ferma aussitôt, non sans faire tressaillir le pokémon qui m'accompagnait. D'ailleurs, en entrant dans la cage d'ascenseur il n'avait pas l'air très rassuré. Sans doute était-ce la première fois qu'il allait dans un ascenseur. Et après tout, de telles machines étaient conçues pour les hommes et pas les pokémons. De toute façon, mon compagnon de route ne pouvait avoir toutes les qualités : sinon, il n'aurait pas eu besoin de moi.
Quelques secondes après la fermeture des portes, l'ascenseur amorça progressivement son ascension. L'objectif était le rez-de-chaussée, mais j'ignorais pour ainsi dire tout de la distance à parcourir. Le voyage pouvait être très long comme très court. Malheureusement pour nous, un évènement inattendu rendit valide la première hypothèse. Après plusieurs minutes de montée, un choc incroyable ébranla toute la cage d'ascenseur. Le choc était d'ailleurs tel que, pris de court, nous nous écroulâmes sur le sol. Le monte-charge avait à présent stoppé sa route, tandis qu'une alarme s'était mise en route. Le bruit, désagréable comme l'est celui de toutes les alarmes, était ponctué régulièrement d'une voix automatisée qui disait toujours la même chose.
- ALERTE ! ALERTE ! UNE ERREUR TECHNIQUE D'ORIGINE INCONNUE EST SURVENUE DANS LE SECTEUR 7 ! CONTACTEZ VOTRE CHEF DE SECTION SUR LE CANAL 136 !
La porte de l'ascenseur, broyée par le choc, s'effondra dans les secondes qui suivirent ce qui ressemblait fort à un accident. L'ouverture nouvelle révéla un chemin étrange, plongé dans une grande obscurité qui n'était éclaircie que de temps à autre par la lumière résiduelle de lampes défectueuses sur le plafond. Mais le plus important, c'était surtout la chaleur incroyable qui se dégageait de l'extérieur. C'était pourtant la seule issue, d'autant plus que le Consortium n'allait pas tarder à arriver ici pour enquêter sur cette « erreur technique » mentionnée par le message d'alerte.
Tout en reprenant nos esprits, nous sortîmes donc tous deux de l'ascenseur ravagé. Sablaireau, toujours aussi dynamique, partit en éclaireur. Il revint très vite, en sueur et affolé par ce qu'il venait de voir. J'appris très vite quelle était la cause de cette panique. Au détour d'un virage dans ce qui semblait être une passerelle entourée de bonbonnes de gaz au vu du bruit métallique que faisaient chacun de nos pas, nous arrivâmes en effet face à un véritable lac de métal en fusion. C'était face à cette substance dangereuse, pour ne pas dire létale, que se terminait la passerelle. Ce lac était ponctué de plateformes sur lesquelles se trouvaient d'étranges machines qui faisaient un bruit assourdissant. Enfin, à l'extrémité du lac je discernais ce qui semblait être une autre passerelle qui bifurquait dans un virage au loin. En étudiant la situation, il semblait clair qu'il devait être possible de rejoindre cette passerelle lointaine. Dans le cas contraire, elle n'existerait tout simplement pas. J'essayais de réfléchir, mais il faisait tellement chaud que cela rendait ma respiration difficile. Il devait au moins faire quarante degrés, si ce n'est plus.
Pendant que je réfléchissais, le porc-épic, qui détestait cette chaleur abominable, s'était mis dans l'idée de jouer avec les bonbonnes de gaz. Sur chacune d'elle figurait en effet une sorte de levier à l'utilité quelque peu mystérieuse. A un moment, par mégarde le pokémon était parvenu à déplacer le levier d'une de ces bonbonnes de gaz. Un bruit de gaz dépressurisé se fit alors entendre derrière moi, mais aussi dans le lac de métal en fusion sans que je comprenne vraiment pourquoi. Ne m'y attendant pas, je sursauta de surprise.
- Qu'est-ce que tu fais ? Arrête, tu vas tous nous tuer !
Tout du moins était-ce ce que je croyais, puisque dans la foulée la température se mit à chuter de manière sensible. Quant à la lave, elle changea subitement de couleur. C'est alors qu'un éclair de génie me traversa l'esprit tel un flash de lucidité.
- Mais bien sûr ! Tu es un génie, Sablaireau ! Inverse la pression de toutes les bonbonnes, et cela refroidira la lave.
En effet, il semblait que la chaleur de cet endroit était directement liée à ces bonbonnes de gaz. Le bruit du gaz qui s'échappait était à présent tellement fort qu'il couvrait même le bruit des machines qui se trouvaient sur ces plateformes, au loin. Lorsque le silence revint, le métal en fusion s'était tellement refroidi qu'il était devenu solide à la manière de la lave des volcans après quelques heures à l'air libre. Le passage était désormais libre, d'autant plus que je venais de découvrir à gauche du bout de la passerelle où nous nous trouvions une échelle. Il était étonnant qu'elle ait été capable de résister aux très fortes chaleurs auxquelles elle était de toute évidence perpétuellement soumise, mais peut-être avait-elle été construite dans je ne sais quel alliage rare dont les forges du Consortium ont le secret.
Profitant de cette épilogue inespéré, nous empruntâmes donc cette échelle afin de rejoindre le fond du bassin de métal en fusion. Le sol, dur comme la roche, était encore brûlant : il fallait donc se presser si nous ne voulions pas que nos pieds rôtissent sur place. Arrivé à mi-chemin, entre deux plateformes, une alarme retentit. Une de plus, pestais-je. Un nouveau message robotisé se fit également entendre, entre deux alarmes. Un de plus, pestais-je. Cela commençait vraiment à devenir une habitude.
- ALERTE ! ALERTE ! LA TEMPERATURE DE LA STATION THERMIQUE A ATTEINT LA COTE D'ALERTE. L'ALIMENTATION ELECTRIQUE DU SECTEUR SEPT VA CESSER FAUTE DE PRESSURISATION SUFFISANTE POUR REDRESSER LA TEMPERATURE.
Voilà donc où nous nous trouvions : dans une centrale thermique. Quant au message qui venait de nous parvenir, il pouvait se résumer ainsi : nous étions dans la boue jusqu'au cou. Il fallait se dépêcher. Si j'en croyais ce message un rien technocratique, cela signifiait que nous allions être plongés définitivement dans le noir d'un instant à l'autre. Cela ne tarda d'ailleurs pas, puisque les puissantes lampes qui éclairaient la station thermique commencèrent à s'éteindre les unes après les autres. Une première série de lampes s'éteignit. Nous n'étions plus très loin de l'échelle qui allait nous permettre, je l'espérais, de quitter définitivement cette partie du Siège du Consortium. Une deuxième série de lampes s'éteignit. Sablaireau agrippa ses griffes sur une des barres de l'échelle. Je fis de même en-dessous de lui. Une troisième série de lampes s'éteignit. Le noir était à présent total. Sablaireau avait bondi au sommet de la passerelle, agrippant une de ses griffes sur le sol et une autre sur mon bras. Ce réflexe bien trouvé de mon ami thermophobe me permit de le rejoindre sur la plateforme. Nous étions épuisés, mais nous étions sauvés. Nous étions sauvés, car dans l'obscurité il nous aurait été impossible d'atteindre cette fameuse plateforme. Nous aurions erré dans l'Ombre pour l'éternité, comme des âmes errantes dans je ne sais quelle dimension parallèle.
A présent, certes nous n'avions pu échapper à cette obscurité complète dans laquelle nous étions plongés. Mais nous le faisions dans un chemin balisé. Après nous être relevés, Sablaireau reprit ensuite la route avec sa célérité habituelle. Décidément, rien ne semblait le gêner. Il avait une vision nocturne ou quoi ? Bref, toujours était que progressivement, je m'étais mis à tâtonner avec mes mains en quête d'une paroi tout en continuant d'avancer en suivant le bruit de pas de mon compagnon de route. Lorsque je trouvai cette fameuse paroi, quelle ne fut pas alors ma surprise de découvrir une forme familière. Cette forme, c'était celle des bonbonnes de gaz rencontrées plus tôt. Une idée germa aussitôt dans mon esprit : si nous avions pu désactiver la centrale thermique en dépressurisant ces bonbonnes, nous pouvions faire l'inverse en les pressurisant ! Ajoutant le geste à la parole, je me mis donc à chercher le fameux levier d'une des bonbonnes avec mes mains. Une fois trouvées, je demandai à Sablaireau de s'arrêter et lui expliqua mon projet.
- Attends Sablaireau ! J'ai une idée : on va réactiver la centrale. Maintenant que le bassin d'alimentation est derrière nous, cela ne devrait plus poser de problème.
Prenant presque ma demande pour un caprice, le pokémon obéit et se mit lui aussi à actionner les leviers des bonbonnes de gaz situées près de lui. Je fis de même, et très rapidement la chaleur remonta et avec elle l'éclairage. Cela faisait du bien tout de même de savoir où l'on allait. La passerelle ressemblait en tout point à celle que nous avions emprunté après cet étrange accident d'ascenseur. D'ailleurs, le mystère restait entier au sujet de cet incident. Je méditais là-dessus tandis que nous reprenions la route. A un moment, nous fûmes pris de stupeur : la passerelle s'arrêtait net sur un cul-de sac. Tout ce qui se trouvait devant nous, c'était d'autres bonbonnes de gaz. Combien il y en avait au total, je ne saurais le dire. Nous n'avions pas le temps pour de telles futilités arithmétique de toute façon. Et pourtant, cela m'en cuisait de le dire mais le fait était établi : nous étions bloqués ici comme des rats. Tandis que Sablaireau s'impatientait, je cherchais une solution. Cette solution, je ne l'avais toujours pas trouvé une demi-heure plus tard. C'est alors qu'un cri de pokémon se fit entendre, accompagné de bruits de voix.
- Allez Ptera, cherche mieux : ils ne peuvent pas être bien loin. S'ils ne sont pas ici, ils se sont sûrement terrés au fin fond de la centrale.
Non, cela ne pouvait être possible : le Consortium nous avait retrouvé ? Dans la panique, je continuais de chercher cette solution qui ne venait pas. Quant à Sablaireau, il s'était résigné au combat. Un combat était pourtant bien périlleux ici, autour de toutes ces bonbonnes de gaz qui pouvaient exploser au moindre choc. Les voix n'étaient qu'à quelques mètres de nous. J'entendais leurs pas se rapprocher. Comme nos poursuivants ne cessaient de le dire, nous étions faits comme des rats. Soudain, une explosion retentit juste au-dessus de nous. Elle perça la plafond, révélant un chemin de ventilation. De là, une main violette avec des doigts humanoïdes en jaillit. Elle m'agrippa par le cou, et me souleva avec une facilité déconcertante avant de me déposer délicatement dans la bouche d'aération. Voyant ce qu'il venait de se passer, le Sablaireau bondit aussitôt dans la bouche d'aération comme le lui avait ordonné la fameuse main. Une fois mis en sécurité à l'intérieur, nous regardions à présent l'évolution de la scène.
Le propriétaire de la fameuse main révéla son identité en sautant de la bouche d'aération en direction de l'emplacement où nous nous trouvions encore quelques secondes plus tôt. C'était un pokémon qui dégageait une impression de puissance phénoménale. Violet, il avait une forme humaine tout en ayant des traits caractéristiques des pokémons telles qu'une longue queue. Elle avait une couleur plus sombre que le reste de son corps, et courait jusqu'à son bassin. Notre sauveur faisait désormais face à nos poursuivants, qui s'étaient précipités vers nous au moment de l'explosion. Sans vraiment que cela m'étonne, il s'agissait de Brigadiers du Consortium. Un d'entre eux fut pris d'un cri d'effroi en voyant ce qui lui faisait face. Il laissa échapper le nom de la créature.
- M...Mewtwo ?
Sans dire un mot, le dénommé Mewtwo fonça sur les sbires du Consortium et leur administra un coup de tête si puissant qu'il les propulsa directement dans le bassin plein de métal en fusion de la centrale de la station thermique. Dans leur propulsion, ils détruisirent au passage de nombreuses bonbonnes de gaz qui firent littéralement exploser la centrale technique sans que cela gêne le moins du monde Mewtwo. Dans la fumée causée par la libération de ces hectolitres de gaz, Mewtwo nous adressa un dernier regard avant de disparaître dans les limbes de la station en ruines dans un fracas épouvantable.
Nous étions à présent seuls dans une bouche d'aération, au milieu du chaos engendré par notre mystérieux sauveur. A part son nom, j'ignorais pour ainsi dire tout de ce Mewtwo. Mais j'avais l'intime conviction sans vraiment savoir pourquoi que j'allais être amené à le retrouver bientôt. En tout cas, il n'avait pas l'air de porter nos chers amis du Consortium dans son cœur. Et ça, c'était une très bonne nouvelle pour nous. En tout cas, nous ne devions pas rester ici. A chaque seconde qui passait, la partie de la bouche d'aération où nous étions menaçait de s'écrouler. Elle faisait des bruits étranges, signe des dégâts que Mewtwo lui avaient infligé lors de sa très audacieuse opération de secours aux égarés que nous sommes. J'étudiais la situation : si deux chemins s'offraient théoriquement à nous, un seul était praticable dans les faits. Toujours à cause de l'explosion, le chemin de droite s'était en effet effondré. Plusieurs mètres nous séparaient de la partie encore intacte de cette partie des conduits d'aération. La chose était donc dite : il fallait emprunter la seule partie encore intacte de ces infrastructures, soit le chemin de gauche.
Accompagné du Sablaireau cristallin, je me remis donc en route. S'il était habitué à ramper du fait de sa petite taille et de son statut de taupe, c'était beaucoup moins aisé pour moi. Je n'arrêtai pas de cogner ma tête sur le plafond, sans parler des moments fort embarassants où mon corps se retrouvait coincé dans les conduits. Au nom d'Arceus, qu'ils étaient étroits ! A chaque fois, il fallait que j'en appelle à Sablaireau pour qu'il me tire de là. J'étais en sueur face à tant d'efforts pour aussi peu d'avancées. Nous serpentâmes ainsi jusqu'à se trouver face à un passage délicat. En effet, un précipice nous faisait face. Décidément, les architectes de ce bâtiment n'avaient aucune sorte de pitié pour les rattata qui vivaient là. Pourquoi avoir placé pareil trou dans des conduits d'aération ? Je n'avais pas osé regarder ce qui se trouvait en bas, de peur de tomber dans le gouffre à la faveur d'une crise de vertige. Mais finalement, après quelques efforts l'obstacle fut franchi. De plus, face à nous l'horizon s'éclaircissait. La sortie n'était plus très loin : nous accélérions donc, enfin tout du moins nous essayions d'accélérer dans cet environnement peu propice à la vitesse. Qu'est-ce qui nous attendait à l'autre bout ? Ce n'était plus qu'une question de secondes avant que nous soyons fixés.
Un nouveau gouffre qui manqua de nous faire tomber du conduit : voilà ce qu'il se trouvait au bout. C'était un précipice immense, de plusieurs mètres de diamètre. En nous entendant arriver, tout un groupe de nosferapti s'envola et eut la brillante idée de se mettre à crier. Ces hurlements stridents ne faisaient que rendre la scène encore plus sinistre. Avec toutes les difficultés du monde du fait de l'étroitesse du conduit, nous pointions nos têtes à l'extérieur afin de regarder le panorama. Si Sablaireau n'avait pas eu le réflexe de reculer en arrière en atteignant le gouffre, nous serions tous les deux déjà morts à l'heure qu'il est. Il me devait une fière chandelle. A bien regarder en bas, j'avais l'impression de retrouver cette fameuse cage d'ascenseur accidentée que nous avions quitté auparavant. Ce conduit nous avait donc menés dans le tunnel qui permettait à l'ascenseur de desservir tous les étages du siège du Consortium.
Tout cela était passionnant, mais cela ne nous aidait guère dans notre voyage vers la surface. Ce conduit d'aération n'avait fait que nous aider à nous perdre davantage dans ce labyrinthe de passerelles et de tunnels que nous avions tour à tour fréquenté dans l'espoir de retrouver notre chemin. Que faire à présent ? Le chemin de droite, je l'avais clairement constaté, était inaccessible. Quant au chemin de gauche que nous avions emprunté, on venait de s'apercevoir qu'il ne menait lui aussi qu'à une mort assurée. Hélas pour nous, nous n'étions pas des roucool. La seule solution était donc de rebrousser chemin en priant pour découvrir au retour un passage qui nous ait échappé.
Ayant rebroussé chemin par dépit, nous étions à présent revenus devant le fameux précipice que nous avions dû traverser quelque peu acrobatiquement tantôt. J'effectuai ce que je n'avais pas osé faire à l'aller, c'est-à-dire regarder en bas. Il n'y a avait là rien de transcendant : on ne voyait qu'un conduit qui menait vers le sous-sol de la tour. L'emprunter ne nous aurait donc menés à rien. La situation était bloquée. Elle le resta d'ailleurs un certain temps, jusqu'à ce qu'un petit objet insignifiant apparut d'en haut. Il cogna la tête de Sablaireau avant de rester coincé dans ses piquants cristallins. Intrigué, je me permis de lui prendre ce mystérieux objet. C'était une pokéball, ou plus exactement une Cyber Ball puisqu'elle était constituée intégralement de titane qui lui donnait cette apparence froide et métallique. Tout en l'étudiant, une autre pokéball tomba du ciel. Cette fois, elle cogna sur ma tête avant de tomber dans le conduit. Pris à la fois de surprise et de douleur, j'émis un cri plaintif avant de redresser ma tête vers le haut. On n'y voyait pas grand-chose. Pourtant, j'avais l'impression que le plafond était moins bas que dans le reste du conduit d'aération.
Je tentai de me lever, ce que je fis avec succès à ma grande surprise. Sablaireau m'imita, tout aussi surpris. Ces pokéballs devaient bien provenir de quelque part. Je tâtonnai les parois aves mes mains. C'est alors que, manquant de perdre l'équilibre et de tomber dans le tunnel en contrebas, ma main droite agrippa ce qui semblait être une échelle.
- Mais...il y a un passage ici ! Viens Sablaireau, saute vers moi. Tu devrais trouver une rambarde où t'accrocher.
J'espérais ne pas me tromper. Fort heureusement, ce que fit Sablaireau me permit de vérifier cette hypothèse. Comme il s'agit si bien le faire, le porc-epic bondit au-dessus de moi et réussit à trouver cette fameuse rambarde que je lui avais promise. Puis, sans attendre davantage, il grimpa au sommet à toute vitesse. Je fis de même, à une vitesse moindre naturellement. Au sommet, j'accédai à une sorte de pièce remplie de pokéballs où nous nagions littéralement. Régulièrement, des pokéballs tombaient dans ce qui semblait être un réservoir. Au-dessus, un trou permettait aux outils de capture de tomber ici. C'est donc ici que le Consortium devait entasser les pokémons capturés dans les expéditions menées par les Brigades du Consortium tout autour du monde. Quelle chance d'avoir trouvé un tel endroit ! Comme quoi, le salut peut être obtenu par bien peu de choses. Je sentais que la surface n'était plus très éloignée : la lumière naturelle arrivait jusqu'à nous, à travers le conduit du plafond qui était aussi droit qu'un Simularbre au garde-à-vous. Mais tout n'était pas encore gagné : il fallait encore rejoindre la surface. Pour faire cela, un escalier d'acier avait heureusement été aménagé dans la partie surélevée du réservoir. Elle menait à une porte automatisée.
Après s'être amusé quelques instants avec les pokéballs qu'il prenait pour des balles, Sablaireau bondit au sommet de l'escalier sans effort. Je le rejoignis quelques secondes plus tard. Après avoir traversé la porte, un nouvel escalier nous attendait. Ici, la luminosité avait brusquement beaucoup baissé. Heureusement que des torches électriques étaient régulièrement disposées sur les murs pour que l'on puisse se repérer, faute de quoi il ferait aussi sombre que dans de l'eau après la colère d'un Octillery ou la panique d'un Hypotrempe. L'escalier était incroyablement long à gravir. Il fallut cinq bonnes minutes à Sablaireau pour arriver au sommet. Quant à moi, il m'en fallut une bonne dizaine. Lorsque finalement nous arrivâmes au point le plus haut, le chemin était sans issue. Tout du moins, il semblait sans issue puisque deux boutons étaient disposés face à nous. Le premier était rouge, le second était bleu. Quant au plafond, il était étrange puisqu'il n'avait pas la même texture à l'emplacement où nous nous trouvions que dans le reste de la pièce. Ici, il était zébré de jaune tandis qu'ailleurs le noir régnait en maître sans concurrents. D'instinct, j'appuyai sur le bouton rouge : il devait commander l'ouverture du passage.
Un bruit d'engrenage plus tard, le plafond commença à se dérober comme je le pensais. Lorsque j'étais encore soldat du Consortium, je n'étais jamais allé aussi profondément dans la tour. En revanche, une partie du sol du rez-de-chaussée m'avait toujours interpellé par sa couleur blanche et jaune zébrée si caractéristique. Et j'avais de bonnes raisons de penser que ce sol et ce plafond ne formait en fait qu'un seul et unique ensemble. A mesure que le plafond laissait à voir davantage de ce qui se trouvait au-dessus, ma certitude d'avoir atteint ce rez-de-chaussée tant espéré ne faisait que se renforcer. A travers l'immense baie vitrée si caractéristique du seul étage ouvert au public du Siège du Consortium, les rayons de soleil parvenaient enfin jusqu'à nous et réchauffaient nos cœurs fatigués par tant d'épreuves.
Il ne fallait pas pour autant croire que tout était déjà gagné. Je n'avais aucune envie d'être l'Icare des temps modernes. Pris d'un instant de nostalgie et d'allégresse, je me ressaisis très rapidement. Discrètement, je sortis du sous-sol par la trappe qui venait de s'ouvrir. Sablaireau fit de même. Et, quelques secondes après que Sablaireau ait lui aussi rejoint la surface, la trappe se referma dans un bruit sec. Le silence revint ensuite. C'était un silence de mort, pour ne pas dire anormal. Nous fîmes quelques pas avec la prudence d'un Persian, regardant dans toutes les directions pour vérifier qu'aucun Brigadier du Consortium ne nous attendait. Mais c'était désormais patent : il n'y avait personne à cet étage zéro de la tour. C'était pourtant ici, et de loin, que s'affirmait le plus la puissance du Consortium. J'étais bien placé pour le savoir, ayant été de garde ici pendant mes premiers mois de service au sein de l'Armée du Consortium. Oui, il y avait définitivement quelque chose d'anormal ici. Soudain, alors que j'étais dos à l'entrée, la porte automatisée s'ouvrit et une voix qui m'était hélas bien trop familière se fit entendre.
- Ne t'inquiète pas Denaro, tu ne trouveras personne ici. Je les ai tous envoyés ailleurs.
Tyranocif Rex
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25 décembre 2013, 14:20
La voix nous prit tous les deux de court. Surpris, je me retournai brusquement. Cette voix, je la connaissais. Je voulais dissiper tout doute, même si j'aurais ardemment espéré me tromper. Un homme gigantesque aux yeux rouges rubis nous faisait face, devant l'entrée. Il faisait au moins deux mètres de haut et avait une musculature à faire pâlir les plus entrainés des pokémons combat. Il était vêtu tout de noir, avec pour seules exceptions à cette monochromie des épaulettes d'or et un symbole accroché au niveau du cœur gauche. Ce symbole représentait le logo du Consortium surmonté de cinq étoiles. C'était le signe caractéristique d'un Directeur du Consortium. Mais ce n'était pas n'importe quel Directeur. Nous nous trouvions face au terrible Sardonis, celui-là même qui m'avait commandé lorsque je servais encore les noirs desseins de l'héritier de la Sylphe SARL.
Surnommé le Dieu de la Guerre par ses partisans et le Boucher par ses opposants, il était réputé pour avoir incendié des villes entières et commis dans ces localités des exactions plus horribles les unes que les autres. Le seul crime de ces pauvres cités était de s'être opposé au Consortium. Depuis la chute de Rudolph Estenia, il était devenu le seul maître du Consortium. C'était tout du moins ce qu'affirmait la Gazette de Doublonville, organe officiel de propagande du Consortium. Inutile de dire que, pour parler vulgairement, nous étions dans la merde.
Le titan bondit tout à coup, pour atterrir juste devant nous. Le choc de ses bottes sur le sol fit une onde de choc qui ébranla tout l'étage, nous assourdissant par la même occasion. Instinctivement, nous reculâmes de quelques pas. On n'était jamais trop prudent. Sardonis reprit alors la parole tout en nous fixant de son regard qu'il était impossible de soutenir sans défaillir.
- Votre petite escapade vous a certes donné un peu d'exercice, mais elle est maintenant terminée. D'ailleurs, elle ne vous a servi à rien. Vous êtes arrivés jusqu'à moi tout comme vous seriez arrivés jusqu'à moi si vous n'aviez pas eu l'idée stupide de jouer les rebelles.
Tandis que Sablaireau commençait à s'énerver et regardait Sardonis avec les yeux pleins de haine, je répondais à mon ancien mentor non sans ressentir la colère qui montait des tréfonds de mon âme. Il avait tout prévu depuis le début, ce scélérat.
- Jamais ! Laisse nous passer, Sardonis. Deux prisonniers de plus ou de moins, qu'est-ce que cela pourra bien changer pour toi et la mafia que tu commandes ?
L'homme aux yeux écarlates éclata soudainement de rire avant de revenir aussitôt plus sérieux qu'un comptable. Il entrechoqua ses deux mains, exhibant ses biceps imposants par la même occasion. Puis, il reprit la parole.
- Mon pauvre ami, tu néglige vraiment ton importance. Désolé, mais je dois vous amener jusqu'au sommet de la tour. Et lorsque le Sardonis veut quelque chose il l'obtient de gré...ou de force. Personne ne sortira d'ici sans m'être passé sur le corps, avec les conséquences que cela comporte.
En terminant ces quelques mots, il s'était mis à sourire diaboliquement. Il ne cessa point pour autant d'exercer son verbe.
- Voulez-vous vraiment courir ce risque ?
Pour toute réponse, Sablaireau bondit soudainement sur le titan. Ses griffes aiguisées, prêtes à frapper, brillaient sous la lumière du soleil. Alors que le contact allait être imminent, Sardonis se contenta de lever son bras droit et d'administrer un coup de bras d'une puissance phénoménale au porc-épic sans que celui-ci ne soit capable d'enrayer cette offensive. Le Directeur de la Sécurité l'envoya valser à l'autre bout de l'étage, où il s'écrasa sur un pilier qui s'effondra sous le choc. Puis, il s'exclama sur un ton à la fois de satisfaction et de menace.
- Ah ! De l'audace ? J'aime ça ! Très bien, s'il me faut vous subjuguer par la force ainsi soit-il.
A ces mots, il se mit à me charger. J'étais terrifié et paralysé par la peur. Sardonis était si grand qu'une ombre immense me recouvrait à présent, tandis que chacun de ses pas semblait faire trembler la terre entière. Arrivé tout près de moi, il s'arrêta et se prépara à m'envoyer un coup de poing capable de me défigurer en un coup. Paniqué, je m'étais mis en position fœtale avec les mains sur ma tête. C'était pathétique. C'était d'autant plus pathétique que ce n'est pas cela qui allait changer grand-chose à l'issue du combat. Sardonis était sur le point de m'anéantir. C'est alors qu'une fois de plus, Sablaireau me sauva. Me voyant menacé, il avait bondi de son pilier écrasé pour sauter à la tête de Sardonis. Comme il était occupé avec moi, il n'avait pas vu le coup venir et Sablaireau réussit à le griffer au niveau de la joue droite. Astucieux, le pokémon s'appuya ensuite sur la tête de Sardonis pour sauter juste devant moi. Il était désormais mon seul rempart contre Sardonis.
Parlons-en d'ailleurs de Sardonis : il avait annulé son attaque pour appliquer sa main sur la plaie que le porc-épic venait de lui causer. Lorsqu'il enleva sa main pour la regarder, il constata avec stupeur qu'elle était pleine de sang. L'homme aux yeux écarlates entra alors dans une fureur noire.
- Misèrable petite créature bleue, je vais te broyer.
Il ne semblait désormais avoir d'yeux que pour ce pokémon que j'avais rencontré tantôt dans les laboratoires. Il lança un virulent coup de poing plein de rage contre Sablaireau, mais celui-ci sauta sur un pot de fleurs qui se trouvait juste derrière moi. La seule chose que Sardonis fracassa était le sol de marbre où le pokémon se trouvait un instant auparavant.
- Mais ce n'est pas possible ! Tu vas arrêter de bouger, sale bête ?
Je m'étais à peine remis du choc, dont l'épicentre ne se trouvait tout de même qu'à une dizaine de centimètres de moi, que Sardonis repartit à la charge. Cette fois, il sauta au-dessus de ma tête pour s'écraser sur le fameux pot de fleurs. Mais encore une fois, Sablaireau avait prévu le coup et s'échappa donc. Dans sa roulade aérienne, il s'écrasa de l'autre côté de la salle. Le porc-épic était à présent juste devant la baie vitrée. Rebelote : sans le moindre sens tactique, Sardonis fonça tout droit sur ce Sablaireau décidément fort agile. Dans sa course, il faisait trembler le sol à la manière d'un dinosaure. Un saurien, cela le définissait d'ailleurs assez bien tant sur le plan physique qu'intellectuel. Etait-ce une sorte de Charkos humanoïde ? La comparaison m'apparaissait assez juste en tout cas. Comme pour les deux premiers assauts, le troisième ne fut pas plus couronné de succès. Le coup de poing de Sardonis manqua Sablaireau et s'encastra directement dans la baie vitrée qui se fracassa dans un bruit de verre brisé. Quant au pokémon, il se trouvait cette fois juste devant l'entrée.
C'est à ce moment-là que la porte automatisée de l'entrée s'ouvrit, laissant entrer un Brigadier du Consortium. Le milicien poussait derrièrelui un chariot rempli de pokéballs. Nul doute qu'elles devaient toutes contenir des pokémons. Il était quelque peu euphémistique de dire qu'il arrivait au mauvais moment. Ne s'attendant pas le moins du monde à l'accueil qu'il allait recevoir, il prit la parole lorsqu'il aperçut la silhouette de Sardonis près de la baie vitrée.
- Mon général, un nouveau chargement de pokémons est...
Le sbire n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Sablaireau, dont la diplomatie et le sens de la nuance n'était de toute évidence pas le fort, le décapita aussi sec avec ses griffes et renversa le chariot. Une bonne cinquantaine de pokéballs tombèrent alors violemment sur le sol, ce qui fut suffisant pour libérer un grand nombre de pokémons. Ainsi, on arrivait à une scène complètement ubuesque où le siège du Consortium était envahi par toutes sortes de pokémons qui se mettaient soit à s'enfuir, soit à tout détruire de rage, soit à s'attaquer à Sardonis. Tandis qu'un Tyranocif s'amusait à détruire les piliers qui soutenaient l'étage et que les plus grands pokémons s'approchaient de l'homme aux yeux écarlates, les plus petits pokémon n'avaient rien trouvé de mieux à faire que de se prendre pour des phogleur en jouant avec les pokéballs qui jonchaient un peu partout le sol.
Si Sardonis était déjà en fureur, il explosa cette fois littéralement. D'abord il se mit à sauter frénétiquement sur le sol en hurlant des insanités. Lorsqu'enfin il retrouva un calme somme toute très relatif, il ouvrit grand son uniforme. L'intérieur ainsi révélé laissait apparaître cinq pokéballs rangées soigneusement. D'un geste, il les prit toutes en main.
- C'est fini la rigolade ! Je ne pensais pas avoir à appeler mes esclaves, mais vous m'avez forcé la main. Vous allez tous rentrer dans le rang !
Après avoir dit cela, il projeta les cinq pokéballs sur le sol. Cinq pokémons en sortirent, qui formèrent un front cohérent face à la horde de pokémons qui s'étaient naturellement mis sous le commandement de Sablaireau. Quant à moi, je ne pouvais qu'assister au combat totalement impuissant. Qu'est-ce qu'un simple humain de mon gabarit pouvait faire face à Sardonis de toute façon ? Mon compagnon de route semblait très bien s'en sortir lui-même, ce qui n'était pas pour me déplaire. Les pokémons de Sardonis étaient tous aussi bourrins et aussi fous que Sardonis. Il y avait un Mackogneur, un Harriyama, un Tygnon, un Kicklee et un Simiabraz. Très rapidement, les cinq pokémons foncèrent sur Sablaireau et ses alliés. Kicklee se focalisa sur Sablaireau, tandis que les quatre autres combattaient les autres pokémons. C'était assez triste à voir : des pokémons affrontaient d'autres pokémons.
Comment en était-on arrivé là ne pouvais-je m'empêcher de m'exclamer en mon for intérieur. Le Kicklee de Sardonis déchaînait des trésors d'inventivité avec ses pieds pour tenter de percer la garde de Sablaireau, qui bloquait chacun de ses coups avec ses griffes acérées. A l'inverse, Kicklee se retirait toujours à temps pour empêcher Sablaireau de lui porter le coup fatal. La faiblesse de Kicklee, des générations de dresseurs le savent, réside en effet dans sa fragilité lorsqu'il mène l'assaut à l'aide de ses jambes élastiques. En tout cas, le combat était de haut niveau et agréable à regarder. Il m'en faisait presque oublier l'immensité de l'enjeu, c'est-à-dire notre liberté voire notre survie. Dans une autre vie, ce pokémon combat aurait pu vivre paisiblement avec ses semblables au lieu de se livrer à ce combat fratricide. Je sentais qu'au fond de lui, il souffrait.
Mais cette souffrance, Sardonis était incapable de la ressentir. Avec ses quatre autres pokémons, il s'était rué avec toute la bestialité qui le caractérisait sur les lignes de pokémons. Il soulevait avec une facilité déconcertante des pokémons de cinquante kilos qu'il projetait soit à travers les vitres, soit sur d'autres pokémons. Ses yeux rouges brillaient d'un feu ardent. Et comme Kicklee empêchait Sablaireau de s'attaquer à Sardonis, il ne pouvait rien faire pour aider ses frères d'armes. C'est pourquoi très rapidement Sardonis prit l'avantage, à force de faire des choppes sur d'innocents pokémons. A lui seul, il broyait des dizaines de colonnes vertébrales à la minute. Les quatre autres pokémons n'étaient bien sûr pas en reste. En quelques minutes, la situation était devenue désespérée et les pokémons qui restaient encore debout avaient été mis en fuite. Même le Tyranocif qui avait ravagé tout l'étage durant le combat avait pris la poudre d'escampette, ce qui n'était pourtant pas habituel chez cette race de pokémon. Sur le ring, il ne restait plus que Sablaireau. Ce samouraï des temps modernes était désormais seul. Il était seul face aux cinq pokémons de Sardonis que nul adversaire n'avait réussi à terrasser.
A un moment, Kicklee réussit à briser la garde du pokémon sol. Le choc fut tel que le porc-épic fut repoussé à une dizaine de mètres, exactement là où la première attaque de Sardonis l'avait projeté tantôt. Accoudé au bas encore intact de ce fameux pilier que son dos commençait à bien connaître, Sablaireau était fatigué. Cet épuisement se voyait sur son visage. Il s'était battu de toutes ses forces, mais Sardonis l'avait emporté. C'était impressionnant de constater à quel point les pokémons du Directeur de la Sécurité, et en particulier son Kicklee, étaient surentrainés. Sardonis, suivi par ses cinq pokémons qu'il qualifiait avec tout le mépris du monde « d'esclaves », se dirigeait avec le sourire du vainqueur vers le pokémon vaincu. Quant à moi, je me trouvais sur un banc situé en retrait entre les deux belligérants. Impuissant au début de l'affrontement, je l'avais été au milieu et je l'étais toujours à son épilogue. J'avais honte de moi. Sardonis exultait.
- Vous êtes si pathétiques. Qui étiez-vous pour croire pouvoir vaincre celui que des armées entières ont été incapables de vaincre. Vous êtes face au vainqueur des Destogorides, alors à genoux esclaves !
Aussitôt, il sauta sur moi. Avec ses mains qui étaient encore pleines du sang de dizaines de pokémons, l'homme aux yeux écarlates m'agrippa par le cou et me projeta sur le pilier où se trouvait Sablaireau. Je tombai juste à sa droite, non sans que mon crâne se cogne brutalement sur la paroi rocheuse. Dépité, je ne pouvais m'empêcher de chuchoter quelques mots d'excuse à Sablaireau.
- Je suis désolé de ne pas avoir été à la hauteur, mon ami. Tout est fini à présent.
A regarder le regard bouillonnant de rage qu'il adressait à Sardonis, il n'avait pas l'air convaincu. S'il lui manquait les forces, il avait encore l'envie de combattre. C'était comme s'il était né pour se battre. Sardonis, après s'être avancé jusqu'à nous, mis un genoux à terre pour nous regarder les yeux dans les yeux.
- Maintenant, je vais vous amener au sommet. Vous avez une dernière parole à formuler avant la grande ascension ?
Pour toute réponse, Sablaireau administra un coup de griffe bien vigoureux sur la joue encore indemne de Sardonis. A présent, ses deux joues étaient mutilées de profondes cicatrices. Le Directeur de la Sécurité émit un léger grincement, avant de soulever par la peau du cou Sablaireau. Tout en le maintenant fermement dans les airs, Sardonis le fixa quelques instants de son regard plein de colère contrôlée.
- Tu es vraiment un petit rigolo toi.
Puis, le titan fit tournoyer Sablaireau dans les airs afin de gagner de la vitesse avant de propulser violemment à ses pieds. Il se contenta alors de donner un ordre lapidaire à deux de ses pokémons, avant de se retourner et emprunter l'escalier qui menait aux étages supérieurs du siège du Consortium.
- Kicklee, tu montes cette vermine au sommet. Prends garde, il n'hésitera pas à t'échapper au moindre moment de faiblesse. N'hésite pas à l'assommer. Tygnon, tu fais la même chose avec le gamin. Quant à moi, j'ai encore une dernière chose à faire. Il a suffisamment fait de dégâts comme ça.
M'assommer, c'est d'ailleurs ce que Tygnon fit aussitôt. Sans doute ne voulait-il prendre aucun risque, de peur d'avoir à subir les foudres de son maître. Les colères de Sardonis laissent rarement de survivants. Le boxeur me donna un coup de poing bien placé qui me fit perdre connaissance aussitôt. Quant à Kicklee, il voulait faire de même mais il s'aperçut très vite que cela n'était pas nécessaire. Sardonis n'y était en effet pas allé de main morte : écrasé sur le sol, Sablaireau avait lui aussi perdu connaissance.
Après plusieurs heures dans le coma, je me réveilla enfin. C'était tout du moins l'estimation que je faisais au vu de la noirceur du ciel nocturne qui me faisait face. Comme il l'avait lui-même dit, Sardonis nous avait donc emmenés au sommet du Siège du Consortium. Là, le vent soufflait fort et était glacial. Quant à la lune, elle était noire comme l'ébène. Pour être honnête, on ne la discernait qu'à peine dans l'obscurité ambiante. Le sol était constitué d'obsidienne, comme le reste de la structure externe de la tour, et des phares l'illuminait. La surface qui s'étendait devant moi était d'une dimension considérable, ce qui était logique pour que le bâtiment puisse accueillir les centaines de bureaux qui se trouvaient à l'intérieur.
Après avoir repris mes esprits, je constatais que j'étais enchaîné sur une sorte de poteau métallique. Tout autour de moi, une cage magnétique rendait inutile toute tentative de fuite, dans l'hypothèse fort improbable où je parviendrais à me défaire de mes liens. En regardant à ma gauche et à ma droite, j'eus la stupeur de découvrir deux pokémons familiers qui étaient emprisonnés de la même manière. A l'est, Sablaireau rongeait son frein. Il était impatient d'en découdre, mais il était hélas incapable de le faire. A l'ouest, je retrouvais une vieille connaissance : mon Chamallot. En croisant mutuellement son regard, je souris avant de lui adresser amicalement quelques mots pour le mettre au courant de la situation. Après tout, le pauvre petit chameau devait être passablement affolé de se retrouver ici sans savoir vraiment pourquoi.
- Alors toi aussi il t'a eu ? Le Sablaireau que tu vois là-bas a combattu Sardonis avec courage, mais il n'est parvenu qu'à le griffer sur les joues.
Tandis que Sablaireau grognait, je restais immobile et plongé dans mes pensées. Qu'allait-il advenir de nous ? Au bout d'un moment, un bruit de moteur se fit entendre dans l'horizon. Il était accompagné de lumières d'abord faibles, puis de plus en plus fortes à mesure que le vrombissement que j'entendais se renforçait. Après cinq minutes d'inflation sonore, il devenait à présent clair qu'il s'agissait d'un hélicoptère. Comme le ciel, il était noir. Sur le flanc de la cabine figurait un « C » blanc entouré d'étoiles de la même couleur. A l'avant, une main mécanique tenait fermement une cage magnétique semblable à celle qui nous emprisonnait déjà tous les trois. Se pouvait-il qu'un quatrième larron avait été capturé par Sardonis. L'hélicoptère était à présent tout proche. Il amorçait sa phase de descente. Il devenait net désormais que l'infortuné prisonnier de cette cage n'était nul autre que Mewtwo. Ce pokémon surpuissant qui nous avait sauvés dans la centrale thermique, même lui avait été capturé ?
Avant d'atterrir définitivement, l'hélicoptère commanda à la main mécanique de déposer délicatement Mewtwo sur le sol. Il déposa la cage à droite de Sablaireau. Malgré la situation désespérée, le pokémon psychique demeurait serein comme un abra en pleine méditation. Il regardait le ciel sans que son regard n'exprime la moindre émotion. Lorsque le véhicule atteignit le sol en se posant face à nous, ses moteurs se coupèrent et la portière où était inscrit le logo du Consortium s'ouvrit. L'homme qui en sortit, c'était Sardonis. Tout en refermant la portière, il nous toisait tous les quatre du regard.
Je n'osais soutenir ses yeux malfaisants. Mewtwo, tout au contraire, le fixait d'un air tout aussi hautain que notre adversaire. Quant aux deux autres pokémons, Chamallot tremblait de peur tandis que Sablaireau grognait tout en aiguisant ses griffes sur le poteau auquel il était accroché. Une fois la portière refermée, l'hélicoptère redécolla et disparut quelques minutes plus tard. Nous étions à présent seuls face au titan qui nous avait écrasés tantôt. Que nous voulait-il ? Nous n'allions pas tarder à le savoir. Après s'être rapproché de nous, il commença à parler.
- Je m'excuse de vous avoir faire attendre, mais le ci-devant Mewtwo avait décidé de jouer les prolongations. Ce misérable n'a en effet rien de mieux à faire que de se terrer dans les friches du nord. Mais comme je vous l'ai déjà suffisamment dit, nul ne résiste bien longtemps à Sardonis.
Il fit une pause. Puis, avant de reprendre la parole il se rapprocha encore davantage de nous avant de mettre ses mains dans son dos et de commencer à faire les cent pas.
- Bien. Nous allons pouvoir commencer. Si je vous ai tous amenés devant moi, c'est pour plusieurs raisons. Chacune de ces raisons ne concerne pas chacun d'entre vous. Certains seront donc amenés à trépasser...
Il insista sur le mot « trépasser » en fixant Mewtwo du regard, lequel pokémon ne broncha pas. Ce pokémon avait-il un cœur ? Je dois avouer que je commençais à me poser des questions. Cette créature avait en effet davantage le comportement d'une machine que d'un être vivant. Quant à Sardonis, il ne s'était pas arrêté de parler. Il poursuivait son monologue tout en reprenant sa ronde devant les quatre cages magnétiques.
- ...tandis que d'autres seront épargnés dans ma grande mansuétude s'ils font preuve d'un minimum de bonne volonté, et ce malgré leurs crimes passés.
Cette fois, Sardonis avait insisté sur les mots « leurs crimes passés » en fixant Sablaireau du regard de la même manière que ce qu'il venait de faire avec Mewtwo. Comme à son habitude, le pokémon soutenait le regard du responsable de sa servitude avec un regard plein de haine et de détermination. Le monologue continuait.
- Mewtwo sera mis à mort ce soir ici-même pour prix des préjudices que vous avez tous les quatre infligés au Consortium. A l'humain, il lui sera possible de sauvegarder son intégrité physique ainsi que celle des deux pokémons qui l'accompagnent s'il coopère.
Sardonis fit alors une pause, jusqu'à ce qu'il arrive devant moi. C'était à mon tour de devoir subir son regard. Malheureusement pour moi, il ne semblait pas admettre que l'on se dérobe à ses yeux.
- Relève ta tête !
Terrifié, j'obéis. Il m'adressa alors quelques mots sur un ton péremptoire.
- Me suis-je bien fait comprendre ?
Je répondis avec une voix tout aussi terrifiée que l'était tout mon corps.
- Oui...Oui monsieur.
Visiblement satisfait, le Boucher sourit et recula d'un pas. Il continuait néanmoins de me fixer, sentant bien que son regard avait un effet psychologique certain sur moi. L'homme en uniforme me posa ensuite une question qu'il serait plus juste de qualifier d'ordre dans la mesure où de toute évidence il exigeait une réponse.
- Denaro Wolf, le Consortium exige que vous nous livriez la localisation du repaire des Concordiens ainsi que la manière d'y accéder. En outre, n'essayez pas de nous trahir. Rudolph Estenia, avant sa perfide trahison, nous a appris qu'une traîtresse issue de nos rangs vous a sauvé dans le Désert de l'archipel d'Hoenn. Nos services savent de source sûre qu'elle est affiliée à ces misérables Concordiens et que leur repaire se trouve dans cette région du monde, mais nous ignorons sa localisation exacte. Dont acte, le Consortium vous écoute !
Mon sang ne fit qu'un tour. Ce que me demandait Sardonis, c'était de livrer aux chiens mes amis d'Hoenn. Irène, Xanathor et surtout ce cher Porygon-Z : on me demandait de les livrer à une mort certaine. Cela, je ne pouvais m'y résoudre. Sans vraiment réfléchir et laissant parler mon cœur, je donnai donc à Sardonis la seule réponse qui vaille vraiment.
- Jamais !
Il était évident qu'une telle réponse, aussi courageuse qu'elle soit, n'allait pas convenir à Sardonis. Il fulmina aussitôt en se rapprochant de nouveau de moi.
- Quoi ? Après la leçon que je t'ai administrée en bas, tu continues de me résister ? Tu es courageux petit, mais es-tu vraiment conscient des enjeux ? Veux-tu voir tes pokémons mourir d'une mort affreuse avant de les rejoindre dans la Mort ? Est-ce vraiment cela que tu souhaites ?
Il avait raison : nous étions en son pouvoir. Sardonis pouvait faire ce qu'il voulait de nous. Mais j'avais beau retourner le problème dans tous les sens, j'arrivais toujours à la même conclusion. Je ne pouvais pas trahir ceux qui m'avaient recueilli et fait découvrir la beauté cachée des pokémons. Oui : si trahir pouvait effectivement me permettre de m'en sortir et de sauver deux amis, trahir me remplirait de honte. Si je le faisais, je serais incapable de me regarder de nouveau dans une glace. Que valaient mes intérêts et deux vies face au combat quotidien de centaines d'hommes et de femmes contre l'oppression du Consortium ? Ma réponse à l'homme aux yeux écarlates fut donc dans le même esprit que la première.
- Inutile d'essayer, Sardonis : contrairement à toi, je suis un homme. Et les hommes dignes de ce nom ne trahissent pas. Mais comment peux-tu le savoir, toi qui as noyé ton humanité dans un océan de sang et de larmes ?
La colère du titan qui me faisait face ne faisait que s'amplifier. D'un geste brutal, il souleva la cage de Chamallot et la détruisit sur le sol, libérant du même coup le plus fragile d'entre nous. Puis, il vociféra.
- L'honneur ? Encore une de ces vieilles lubies ? Tu vas voir ce que j'en fais de l'honneur de ton pokémon ! Je vais le massacrer sous tes yeux ! Peut-être que ça t'apprendra à être moins arrogant et à savoir rester à ta place. Mackogneur, détruis-le !
A ces mots, Sardonis sortit de sa veste une de ces pokéballs et un des plus puissants pokémons combat de la création en sortit. Sans le moindre état d'âme, le colosse aux bras multiples commença par soulever le petit pokémon avec une de ses mains. Puis, il lui fracassa la tête en lui administrant une multitude de coups de poing simultanément avec ses autres bras. J'étais indigné.
- Non ! Espèce de monstre !
Sardonis exultait. En me voyant les larmes aux yeux essayer de faire cesser ces véritables actes de torture que le bébé chameau subissait, il jouissait. Dans le sourire pervers qu'il faisait, on sentait qu'il éprouvait du plaisir à faire souffrir les autres. Le Directeur de la Sécurité éclata de rire avant de se moquer ouvertement de moi.
- Alors, tu fais moins le malin maintenant n'est-ce pas ? Tu as le choix : soit tu parles, soit Mackogneur continue. Et je te conseille de le faire vite, parce que mon petit doigt me dit qu'il ne va pas tarder à crever.
Je serrais les dents. Cela ne pouvait pas finir comme ça ! Je me sentais faible, si faible. Quel affreux maître étais-je pour être incapable de protéger mes propres pokémons ? Au milieu des hurlements et des appels à l'aide du petit chameau, j'avais fermé les yeux. Je ne voulais plus en entendre davantage. Je voulais mourir. Soudain, alors que tout semblait perdu, une voix se fit entendre.
- Non, pas ça. Pas un nouveau Giovanni. Tu vas payer, monstruosité.
Surpris, j'ouvris les yeux. Mewtwo, qui était resté impassible jusqu'alors, s'était entouré d'une aura violacée. La seconde d'après, il disparut pour réapparaître derrière Mackogneur et Sardonis. Surpris, l'homme aux yeux écarlates s'exclama.
- Qu'est-ce que...Mewtwo ?
Le pokémon humanoïde chargea dans la paume de ses mains deux boules d'énergie qu'il envoya sur le Mackogneur. Au contact, les deux boules fusionnèrent avant de projeter loin dans les cieux le tortionnaire de mon pokémon. Sans perdre un instant, le pokémon psychique rechargea une autre boule d'énergie. Cette fois-ci, elle était de couleur bleue. Il la lança sur le pokémon blessé, qui l'enveloppa et le fit progressivement léviter dans le ciel. La boule s'arrêta à environ une centaine de mètres d'altitude. Là où il se trouvait, le pokémon ne risquait plus rien. Mewtwo se retourna ensuite vers Sardonis, qui semblait incapable de réagir face à ce qu'il venait de se passer. Le pokémon, qui n'avait encore rien révélé de sa véritable puissance, lui adressa un regard plein de haine tout en lui lançant une formule lapidaire.
- Et maintenant, tu vas mourir.
La mise à mort en question fut incroyablement rapide. D'abord, le pokémon ferma les paumes de ses deux mains. Puis, il se recouvra de nouveau d'aura violacée. La différence, c'était que cette fois la couche d'aura était beaucoup plus épaisse que celle qui recouvrait le pokémon avant qu'il ne se téléporte à l'extérieur de sa cage magnétique. Enfin, Mewtwo émit une déflagration psychique d'une puissance incommensurable. Partie littéralement de son corps, elle ravagea tout sur son passage dans un diamètre de cent mètres. C'était plus que suffisant pour atteindre Sardonis et les cages magnétiques qui nous retenaient encore, Sablaireau et moi. Lorsque l'onde de choc nous atteignit, les cages explosèrent littéralement. Etrangement pourtant, la déflagration nous transperça sans que nous subissions le moindre dommage.
Il en alla tout autrement pour Sardonis. Lorsque l'onde de choc le toucha, elle désintégra ses vêtements et brûla gravement tout le corps de l'homme aux yeux écarlates. Parlons-en d'ailleurs de ses yeux : sous l'effet de la vague d'énergie qui dévorait à présent son corps, ils brûlèrent eux aussi. Plus jamais ce monstre n'allait pouvoir les utiliser pour terroriser ses prisonniers. Lorsque la déflagration psychique disparut enfin de l'horizon, Sardonis était à terre. De la fumée sortait de son corps brûlé au troisième degré. Entre deux gémissements, il émit un râle. J'espérais que c'était le dernier mot qui allait sortir de la bouche de ce criminel.
- Ah...« Modifié: 25 décembre 2013, 14:22 par Tyranocif Rex »
Chapitre XXVII - Sardonis
Spoiler
3 Mai - 4 AM
Narrateur : Denaro Wolf
Narrateur : Denaro Wolf
La voix nous prit tous les deux de court. Surpris, je me retournai brusquement. Cette voix, je la connaissais. Je voulais dissiper tout doute, même si j'aurais ardemment espéré me tromper. Un homme gigantesque aux yeux rouges rubis nous faisait face, devant l'entrée. Il faisait au moins deux mètres de haut et avait une musculature à faire pâlir les plus entrainés des pokémons combat. Il était vêtu tout de noir, avec pour seules exceptions à cette monochromie des épaulettes d'or et un symbole accroché au niveau du cœur gauche. Ce symbole représentait le logo du Consortium surmonté de cinq étoiles. C'était le signe caractéristique d'un Directeur du Consortium. Mais ce n'était pas n'importe quel Directeur. Nous nous trouvions face au terrible Sardonis, celui-là même qui m'avait commandé lorsque je servais encore les noirs desseins de l'héritier de la Sylphe SARL.
Surnommé le Dieu de la Guerre par ses partisans et le Boucher par ses opposants, il était réputé pour avoir incendié des villes entières et commis dans ces localités des exactions plus horribles les unes que les autres. Le seul crime de ces pauvres cités était de s'être opposé au Consortium. Depuis la chute de Rudolph Estenia, il était devenu le seul maître du Consortium. C'était tout du moins ce qu'affirmait la Gazette de Doublonville, organe officiel de propagande du Consortium. Inutile de dire que, pour parler vulgairement, nous étions dans la merde.
Le titan bondit tout à coup, pour atterrir juste devant nous. Le choc de ses bottes sur le sol fit une onde de choc qui ébranla tout l'étage, nous assourdissant par la même occasion. Instinctivement, nous reculâmes de quelques pas. On n'était jamais trop prudent. Sardonis reprit alors la parole tout en nous fixant de son regard qu'il était impossible de soutenir sans défaillir.
- Votre petite escapade vous a certes donné un peu d'exercice, mais elle est maintenant terminée. D'ailleurs, elle ne vous a servi à rien. Vous êtes arrivés jusqu'à moi tout comme vous seriez arrivés jusqu'à moi si vous n'aviez pas eu l'idée stupide de jouer les rebelles.
Tandis que Sablaireau commençait à s'énerver et regardait Sardonis avec les yeux pleins de haine, je répondais à mon ancien mentor non sans ressentir la colère qui montait des tréfonds de mon âme. Il avait tout prévu depuis le début, ce scélérat.
- Jamais ! Laisse nous passer, Sardonis. Deux prisonniers de plus ou de moins, qu'est-ce que cela pourra bien changer pour toi et la mafia que tu commandes ?
L'homme aux yeux écarlates éclata soudainement de rire avant de revenir aussitôt plus sérieux qu'un comptable. Il entrechoqua ses deux mains, exhibant ses biceps imposants par la même occasion. Puis, il reprit la parole.
- Mon pauvre ami, tu néglige vraiment ton importance. Désolé, mais je dois vous amener jusqu'au sommet de la tour. Et lorsque le Sardonis veut quelque chose il l'obtient de gré...ou de force. Personne ne sortira d'ici sans m'être passé sur le corps, avec les conséquences que cela comporte.
En terminant ces quelques mots, il s'était mis à sourire diaboliquement. Il ne cessa point pour autant d'exercer son verbe.
- Voulez-vous vraiment courir ce risque ?
Pour toute réponse, Sablaireau bondit soudainement sur le titan. Ses griffes aiguisées, prêtes à frapper, brillaient sous la lumière du soleil. Alors que le contact allait être imminent, Sardonis se contenta de lever son bras droit et d'administrer un coup de bras d'une puissance phénoménale au porc-épic sans que celui-ci ne soit capable d'enrayer cette offensive. Le Directeur de la Sécurité l'envoya valser à l'autre bout de l'étage, où il s'écrasa sur un pilier qui s'effondra sous le choc. Puis, il s'exclama sur un ton à la fois de satisfaction et de menace.
- Ah ! De l'audace ? J'aime ça ! Très bien, s'il me faut vous subjuguer par la force ainsi soit-il.
A ces mots, il se mit à me charger. J'étais terrifié et paralysé par la peur. Sardonis était si grand qu'une ombre immense me recouvrait à présent, tandis que chacun de ses pas semblait faire trembler la terre entière. Arrivé tout près de moi, il s'arrêta et se prépara à m'envoyer un coup de poing capable de me défigurer en un coup. Paniqué, je m'étais mis en position fœtale avec les mains sur ma tête. C'était pathétique. C'était d'autant plus pathétique que ce n'est pas cela qui allait changer grand-chose à l'issue du combat. Sardonis était sur le point de m'anéantir. C'est alors qu'une fois de plus, Sablaireau me sauva. Me voyant menacé, il avait bondi de son pilier écrasé pour sauter à la tête de Sardonis. Comme il était occupé avec moi, il n'avait pas vu le coup venir et Sablaireau réussit à le griffer au niveau de la joue droite. Astucieux, le pokémon s'appuya ensuite sur la tête de Sardonis pour sauter juste devant moi. Il était désormais mon seul rempart contre Sardonis.
Parlons-en d'ailleurs de Sardonis : il avait annulé son attaque pour appliquer sa main sur la plaie que le porc-épic venait de lui causer. Lorsqu'il enleva sa main pour la regarder, il constata avec stupeur qu'elle était pleine de sang. L'homme aux yeux écarlates entra alors dans une fureur noire.
- Misèrable petite créature bleue, je vais te broyer.
Il ne semblait désormais avoir d'yeux que pour ce pokémon que j'avais rencontré tantôt dans les laboratoires. Il lança un virulent coup de poing plein de rage contre Sablaireau, mais celui-ci sauta sur un pot de fleurs qui se trouvait juste derrière moi. La seule chose que Sardonis fracassa était le sol de marbre où le pokémon se trouvait un instant auparavant.
- Mais ce n'est pas possible ! Tu vas arrêter de bouger, sale bête ?
Je m'étais à peine remis du choc, dont l'épicentre ne se trouvait tout de même qu'à une dizaine de centimètres de moi, que Sardonis repartit à la charge. Cette fois, il sauta au-dessus de ma tête pour s'écraser sur le fameux pot de fleurs. Mais encore une fois, Sablaireau avait prévu le coup et s'échappa donc. Dans sa roulade aérienne, il s'écrasa de l'autre côté de la salle. Le porc-épic était à présent juste devant la baie vitrée. Rebelote : sans le moindre sens tactique, Sardonis fonça tout droit sur ce Sablaireau décidément fort agile. Dans sa course, il faisait trembler le sol à la manière d'un dinosaure. Un saurien, cela le définissait d'ailleurs assez bien tant sur le plan physique qu'intellectuel. Etait-ce une sorte de Charkos humanoïde ? La comparaison m'apparaissait assez juste en tout cas. Comme pour les deux premiers assauts, le troisième ne fut pas plus couronné de succès. Le coup de poing de Sardonis manqua Sablaireau et s'encastra directement dans la baie vitrée qui se fracassa dans un bruit de verre brisé. Quant au pokémon, il se trouvait cette fois juste devant l'entrée.
C'est à ce moment-là que la porte automatisée de l'entrée s'ouvrit, laissant entrer un Brigadier du Consortium. Le milicien poussait derrièrelui un chariot rempli de pokéballs. Nul doute qu'elles devaient toutes contenir des pokémons. Il était quelque peu euphémistique de dire qu'il arrivait au mauvais moment. Ne s'attendant pas le moins du monde à l'accueil qu'il allait recevoir, il prit la parole lorsqu'il aperçut la silhouette de Sardonis près de la baie vitrée.
- Mon général, un nouveau chargement de pokémons est...
Le sbire n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Sablaireau, dont la diplomatie et le sens de la nuance n'était de toute évidence pas le fort, le décapita aussi sec avec ses griffes et renversa le chariot. Une bonne cinquantaine de pokéballs tombèrent alors violemment sur le sol, ce qui fut suffisant pour libérer un grand nombre de pokémons. Ainsi, on arrivait à une scène complètement ubuesque où le siège du Consortium était envahi par toutes sortes de pokémons qui se mettaient soit à s'enfuir, soit à tout détruire de rage, soit à s'attaquer à Sardonis. Tandis qu'un Tyranocif s'amusait à détruire les piliers qui soutenaient l'étage et que les plus grands pokémons s'approchaient de l'homme aux yeux écarlates, les plus petits pokémon n'avaient rien trouvé de mieux à faire que de se prendre pour des phogleur en jouant avec les pokéballs qui jonchaient un peu partout le sol.
Si Sardonis était déjà en fureur, il explosa cette fois littéralement. D'abord il se mit à sauter frénétiquement sur le sol en hurlant des insanités. Lorsqu'enfin il retrouva un calme somme toute très relatif, il ouvrit grand son uniforme. L'intérieur ainsi révélé laissait apparaître cinq pokéballs rangées soigneusement. D'un geste, il les prit toutes en main.
- C'est fini la rigolade ! Je ne pensais pas avoir à appeler mes esclaves, mais vous m'avez forcé la main. Vous allez tous rentrer dans le rang !
Après avoir dit cela, il projeta les cinq pokéballs sur le sol. Cinq pokémons en sortirent, qui formèrent un front cohérent face à la horde de pokémons qui s'étaient naturellement mis sous le commandement de Sablaireau. Quant à moi, je ne pouvais qu'assister au combat totalement impuissant. Qu'est-ce qu'un simple humain de mon gabarit pouvait faire face à Sardonis de toute façon ? Mon compagnon de route semblait très bien s'en sortir lui-même, ce qui n'était pas pour me déplaire. Les pokémons de Sardonis étaient tous aussi bourrins et aussi fous que Sardonis. Il y avait un Mackogneur, un Harriyama, un Tygnon, un Kicklee et un Simiabraz. Très rapidement, les cinq pokémons foncèrent sur Sablaireau et ses alliés. Kicklee se focalisa sur Sablaireau, tandis que les quatre autres combattaient les autres pokémons. C'était assez triste à voir : des pokémons affrontaient d'autres pokémons.
Comment en était-on arrivé là ne pouvais-je m'empêcher de m'exclamer en mon for intérieur. Le Kicklee de Sardonis déchaînait des trésors d'inventivité avec ses pieds pour tenter de percer la garde de Sablaireau, qui bloquait chacun de ses coups avec ses griffes acérées. A l'inverse, Kicklee se retirait toujours à temps pour empêcher Sablaireau de lui porter le coup fatal. La faiblesse de Kicklee, des générations de dresseurs le savent, réside en effet dans sa fragilité lorsqu'il mène l'assaut à l'aide de ses jambes élastiques. En tout cas, le combat était de haut niveau et agréable à regarder. Il m'en faisait presque oublier l'immensité de l'enjeu, c'est-à-dire notre liberté voire notre survie. Dans une autre vie, ce pokémon combat aurait pu vivre paisiblement avec ses semblables au lieu de se livrer à ce combat fratricide. Je sentais qu'au fond de lui, il souffrait.
Mais cette souffrance, Sardonis était incapable de la ressentir. Avec ses quatre autres pokémons, il s'était rué avec toute la bestialité qui le caractérisait sur les lignes de pokémons. Il soulevait avec une facilité déconcertante des pokémons de cinquante kilos qu'il projetait soit à travers les vitres, soit sur d'autres pokémons. Ses yeux rouges brillaient d'un feu ardent. Et comme Kicklee empêchait Sablaireau de s'attaquer à Sardonis, il ne pouvait rien faire pour aider ses frères d'armes. C'est pourquoi très rapidement Sardonis prit l'avantage, à force de faire des choppes sur d'innocents pokémons. A lui seul, il broyait des dizaines de colonnes vertébrales à la minute. Les quatre autres pokémons n'étaient bien sûr pas en reste. En quelques minutes, la situation était devenue désespérée et les pokémons qui restaient encore debout avaient été mis en fuite. Même le Tyranocif qui avait ravagé tout l'étage durant le combat avait pris la poudre d'escampette, ce qui n'était pourtant pas habituel chez cette race de pokémon. Sur le ring, il ne restait plus que Sablaireau. Ce samouraï des temps modernes était désormais seul. Il était seul face aux cinq pokémons de Sardonis que nul adversaire n'avait réussi à terrasser.
A un moment, Kicklee réussit à briser la garde du pokémon sol. Le choc fut tel que le porc-épic fut repoussé à une dizaine de mètres, exactement là où la première attaque de Sardonis l'avait projeté tantôt. Accoudé au bas encore intact de ce fameux pilier que son dos commençait à bien connaître, Sablaireau était fatigué. Cet épuisement se voyait sur son visage. Il s'était battu de toutes ses forces, mais Sardonis l'avait emporté. C'était impressionnant de constater à quel point les pokémons du Directeur de la Sécurité, et en particulier son Kicklee, étaient surentrainés. Sardonis, suivi par ses cinq pokémons qu'il qualifiait avec tout le mépris du monde « d'esclaves », se dirigeait avec le sourire du vainqueur vers le pokémon vaincu. Quant à moi, je me trouvais sur un banc situé en retrait entre les deux belligérants. Impuissant au début de l'affrontement, je l'avais été au milieu et je l'étais toujours à son épilogue. J'avais honte de moi. Sardonis exultait.
- Vous êtes si pathétiques. Qui étiez-vous pour croire pouvoir vaincre celui que des armées entières ont été incapables de vaincre. Vous êtes face au vainqueur des Destogorides, alors à genoux esclaves !
Aussitôt, il sauta sur moi. Avec ses mains qui étaient encore pleines du sang de dizaines de pokémons, l'homme aux yeux écarlates m'agrippa par le cou et me projeta sur le pilier où se trouvait Sablaireau. Je tombai juste à sa droite, non sans que mon crâne se cogne brutalement sur la paroi rocheuse. Dépité, je ne pouvais m'empêcher de chuchoter quelques mots d'excuse à Sablaireau.
- Je suis désolé de ne pas avoir été à la hauteur, mon ami. Tout est fini à présent.
A regarder le regard bouillonnant de rage qu'il adressait à Sardonis, il n'avait pas l'air convaincu. S'il lui manquait les forces, il avait encore l'envie de combattre. C'était comme s'il était né pour se battre. Sardonis, après s'être avancé jusqu'à nous, mis un genoux à terre pour nous regarder les yeux dans les yeux.
- Maintenant, je vais vous amener au sommet. Vous avez une dernière parole à formuler avant la grande ascension ?
Pour toute réponse, Sablaireau administra un coup de griffe bien vigoureux sur la joue encore indemne de Sardonis. A présent, ses deux joues étaient mutilées de profondes cicatrices. Le Directeur de la Sécurité émit un léger grincement, avant de soulever par la peau du cou Sablaireau. Tout en le maintenant fermement dans les airs, Sardonis le fixa quelques instants de son regard plein de colère contrôlée.
- Tu es vraiment un petit rigolo toi.
Puis, le titan fit tournoyer Sablaireau dans les airs afin de gagner de la vitesse avant de propulser violemment à ses pieds. Il se contenta alors de donner un ordre lapidaire à deux de ses pokémons, avant de se retourner et emprunter l'escalier qui menait aux étages supérieurs du siège du Consortium.
- Kicklee, tu montes cette vermine au sommet. Prends garde, il n'hésitera pas à t'échapper au moindre moment de faiblesse. N'hésite pas à l'assommer. Tygnon, tu fais la même chose avec le gamin. Quant à moi, j'ai encore une dernière chose à faire. Il a suffisamment fait de dégâts comme ça.
M'assommer, c'est d'ailleurs ce que Tygnon fit aussitôt. Sans doute ne voulait-il prendre aucun risque, de peur d'avoir à subir les foudres de son maître. Les colères de Sardonis laissent rarement de survivants. Le boxeur me donna un coup de poing bien placé qui me fit perdre connaissance aussitôt. Quant à Kicklee, il voulait faire de même mais il s'aperçut très vite que cela n'était pas nécessaire. Sardonis n'y était en effet pas allé de main morte : écrasé sur le sol, Sablaireau avait lui aussi perdu connaissance.
Après plusieurs heures dans le coma, je me réveilla enfin. C'était tout du moins l'estimation que je faisais au vu de la noirceur du ciel nocturne qui me faisait face. Comme il l'avait lui-même dit, Sardonis nous avait donc emmenés au sommet du Siège du Consortium. Là, le vent soufflait fort et était glacial. Quant à la lune, elle était noire comme l'ébène. Pour être honnête, on ne la discernait qu'à peine dans l'obscurité ambiante. Le sol était constitué d'obsidienne, comme le reste de la structure externe de la tour, et des phares l'illuminait. La surface qui s'étendait devant moi était d'une dimension considérable, ce qui était logique pour que le bâtiment puisse accueillir les centaines de bureaux qui se trouvaient à l'intérieur.
Après avoir repris mes esprits, je constatais que j'étais enchaîné sur une sorte de poteau métallique. Tout autour de moi, une cage magnétique rendait inutile toute tentative de fuite, dans l'hypothèse fort improbable où je parviendrais à me défaire de mes liens. En regardant à ma gauche et à ma droite, j'eus la stupeur de découvrir deux pokémons familiers qui étaient emprisonnés de la même manière. A l'est, Sablaireau rongeait son frein. Il était impatient d'en découdre, mais il était hélas incapable de le faire. A l'ouest, je retrouvais une vieille connaissance : mon Chamallot. En croisant mutuellement son regard, je souris avant de lui adresser amicalement quelques mots pour le mettre au courant de la situation. Après tout, le pauvre petit chameau devait être passablement affolé de se retrouver ici sans savoir vraiment pourquoi.
- Alors toi aussi il t'a eu ? Le Sablaireau que tu vois là-bas a combattu Sardonis avec courage, mais il n'est parvenu qu'à le griffer sur les joues.
Tandis que Sablaireau grognait, je restais immobile et plongé dans mes pensées. Qu'allait-il advenir de nous ? Au bout d'un moment, un bruit de moteur se fit entendre dans l'horizon. Il était accompagné de lumières d'abord faibles, puis de plus en plus fortes à mesure que le vrombissement que j'entendais se renforçait. Après cinq minutes d'inflation sonore, il devenait à présent clair qu'il s'agissait d'un hélicoptère. Comme le ciel, il était noir. Sur le flanc de la cabine figurait un « C » blanc entouré d'étoiles de la même couleur. A l'avant, une main mécanique tenait fermement une cage magnétique semblable à celle qui nous emprisonnait déjà tous les trois. Se pouvait-il qu'un quatrième larron avait été capturé par Sardonis. L'hélicoptère était à présent tout proche. Il amorçait sa phase de descente. Il devenait net désormais que l'infortuné prisonnier de cette cage n'était nul autre que Mewtwo. Ce pokémon surpuissant qui nous avait sauvés dans la centrale thermique, même lui avait été capturé ?
Avant d'atterrir définitivement, l'hélicoptère commanda à la main mécanique de déposer délicatement Mewtwo sur le sol. Il déposa la cage à droite de Sablaireau. Malgré la situation désespérée, le pokémon psychique demeurait serein comme un abra en pleine méditation. Il regardait le ciel sans que son regard n'exprime la moindre émotion. Lorsque le véhicule atteignit le sol en se posant face à nous, ses moteurs se coupèrent et la portière où était inscrit le logo du Consortium s'ouvrit. L'homme qui en sortit, c'était Sardonis. Tout en refermant la portière, il nous toisait tous les quatre du regard.
Je n'osais soutenir ses yeux malfaisants. Mewtwo, tout au contraire, le fixait d'un air tout aussi hautain que notre adversaire. Quant aux deux autres pokémons, Chamallot tremblait de peur tandis que Sablaireau grognait tout en aiguisant ses griffes sur le poteau auquel il était accroché. Une fois la portière refermée, l'hélicoptère redécolla et disparut quelques minutes plus tard. Nous étions à présent seuls face au titan qui nous avait écrasés tantôt. Que nous voulait-il ? Nous n'allions pas tarder à le savoir. Après s'être rapproché de nous, il commença à parler.
- Je m'excuse de vous avoir faire attendre, mais le ci-devant Mewtwo avait décidé de jouer les prolongations. Ce misérable n'a en effet rien de mieux à faire que de se terrer dans les friches du nord. Mais comme je vous l'ai déjà suffisamment dit, nul ne résiste bien longtemps à Sardonis.
Il fit une pause. Puis, avant de reprendre la parole il se rapprocha encore davantage de nous avant de mettre ses mains dans son dos et de commencer à faire les cent pas.
- Bien. Nous allons pouvoir commencer. Si je vous ai tous amenés devant moi, c'est pour plusieurs raisons. Chacune de ces raisons ne concerne pas chacun d'entre vous. Certains seront donc amenés à trépasser...
Il insista sur le mot « trépasser » en fixant Mewtwo du regard, lequel pokémon ne broncha pas. Ce pokémon avait-il un cœur ? Je dois avouer que je commençais à me poser des questions. Cette créature avait en effet davantage le comportement d'une machine que d'un être vivant. Quant à Sardonis, il ne s'était pas arrêté de parler. Il poursuivait son monologue tout en reprenant sa ronde devant les quatre cages magnétiques.
- ...tandis que d'autres seront épargnés dans ma grande mansuétude s'ils font preuve d'un minimum de bonne volonté, et ce malgré leurs crimes passés.
Cette fois, Sardonis avait insisté sur les mots « leurs crimes passés » en fixant Sablaireau du regard de la même manière que ce qu'il venait de faire avec Mewtwo. Comme à son habitude, le pokémon soutenait le regard du responsable de sa servitude avec un regard plein de haine et de détermination. Le monologue continuait.
- Mewtwo sera mis à mort ce soir ici-même pour prix des préjudices que vous avez tous les quatre infligés au Consortium. A l'humain, il lui sera possible de sauvegarder son intégrité physique ainsi que celle des deux pokémons qui l'accompagnent s'il coopère.
Sardonis fit alors une pause, jusqu'à ce qu'il arrive devant moi. C'était à mon tour de devoir subir son regard. Malheureusement pour moi, il ne semblait pas admettre que l'on se dérobe à ses yeux.
- Relève ta tête !
Terrifié, j'obéis. Il m'adressa alors quelques mots sur un ton péremptoire.
- Me suis-je bien fait comprendre ?
Je répondis avec une voix tout aussi terrifiée que l'était tout mon corps.
- Oui...Oui monsieur.
Visiblement satisfait, le Boucher sourit et recula d'un pas. Il continuait néanmoins de me fixer, sentant bien que son regard avait un effet psychologique certain sur moi. L'homme en uniforme me posa ensuite une question qu'il serait plus juste de qualifier d'ordre dans la mesure où de toute évidence il exigeait une réponse.
- Denaro Wolf, le Consortium exige que vous nous livriez la localisation du repaire des Concordiens ainsi que la manière d'y accéder. En outre, n'essayez pas de nous trahir. Rudolph Estenia, avant sa perfide trahison, nous a appris qu'une traîtresse issue de nos rangs vous a sauvé dans le Désert de l'archipel d'Hoenn. Nos services savent de source sûre qu'elle est affiliée à ces misérables Concordiens et que leur repaire se trouve dans cette région du monde, mais nous ignorons sa localisation exacte. Dont acte, le Consortium vous écoute !
Mon sang ne fit qu'un tour. Ce que me demandait Sardonis, c'était de livrer aux chiens mes amis d'Hoenn. Irène, Xanathor et surtout ce cher Porygon-Z : on me demandait de les livrer à une mort certaine. Cela, je ne pouvais m'y résoudre. Sans vraiment réfléchir et laissant parler mon cœur, je donnai donc à Sardonis la seule réponse qui vaille vraiment.
- Jamais !
Il était évident qu'une telle réponse, aussi courageuse qu'elle soit, n'allait pas convenir à Sardonis. Il fulmina aussitôt en se rapprochant de nouveau de moi.
- Quoi ? Après la leçon que je t'ai administrée en bas, tu continues de me résister ? Tu es courageux petit, mais es-tu vraiment conscient des enjeux ? Veux-tu voir tes pokémons mourir d'une mort affreuse avant de les rejoindre dans la Mort ? Est-ce vraiment cela que tu souhaites ?
Il avait raison : nous étions en son pouvoir. Sardonis pouvait faire ce qu'il voulait de nous. Mais j'avais beau retourner le problème dans tous les sens, j'arrivais toujours à la même conclusion. Je ne pouvais pas trahir ceux qui m'avaient recueilli et fait découvrir la beauté cachée des pokémons. Oui : si trahir pouvait effectivement me permettre de m'en sortir et de sauver deux amis, trahir me remplirait de honte. Si je le faisais, je serais incapable de me regarder de nouveau dans une glace. Que valaient mes intérêts et deux vies face au combat quotidien de centaines d'hommes et de femmes contre l'oppression du Consortium ? Ma réponse à l'homme aux yeux écarlates fut donc dans le même esprit que la première.
- Inutile d'essayer, Sardonis : contrairement à toi, je suis un homme. Et les hommes dignes de ce nom ne trahissent pas. Mais comment peux-tu le savoir, toi qui as noyé ton humanité dans un océan de sang et de larmes ?
La colère du titan qui me faisait face ne faisait que s'amplifier. D'un geste brutal, il souleva la cage de Chamallot et la détruisit sur le sol, libérant du même coup le plus fragile d'entre nous. Puis, il vociféra.
- L'honneur ? Encore une de ces vieilles lubies ? Tu vas voir ce que j'en fais de l'honneur de ton pokémon ! Je vais le massacrer sous tes yeux ! Peut-être que ça t'apprendra à être moins arrogant et à savoir rester à ta place. Mackogneur, détruis-le !
A ces mots, Sardonis sortit de sa veste une de ces pokéballs et un des plus puissants pokémons combat de la création en sortit. Sans le moindre état d'âme, le colosse aux bras multiples commença par soulever le petit pokémon avec une de ses mains. Puis, il lui fracassa la tête en lui administrant une multitude de coups de poing simultanément avec ses autres bras. J'étais indigné.
- Non ! Espèce de monstre !
Sardonis exultait. En me voyant les larmes aux yeux essayer de faire cesser ces véritables actes de torture que le bébé chameau subissait, il jouissait. Dans le sourire pervers qu'il faisait, on sentait qu'il éprouvait du plaisir à faire souffrir les autres. Le Directeur de la Sécurité éclata de rire avant de se moquer ouvertement de moi.
- Alors, tu fais moins le malin maintenant n'est-ce pas ? Tu as le choix : soit tu parles, soit Mackogneur continue. Et je te conseille de le faire vite, parce que mon petit doigt me dit qu'il ne va pas tarder à crever.
Je serrais les dents. Cela ne pouvait pas finir comme ça ! Je me sentais faible, si faible. Quel affreux maître étais-je pour être incapable de protéger mes propres pokémons ? Au milieu des hurlements et des appels à l'aide du petit chameau, j'avais fermé les yeux. Je ne voulais plus en entendre davantage. Je voulais mourir. Soudain, alors que tout semblait perdu, une voix se fit entendre.
- Non, pas ça. Pas un nouveau Giovanni. Tu vas payer, monstruosité.
Surpris, j'ouvris les yeux. Mewtwo, qui était resté impassible jusqu'alors, s'était entouré d'une aura violacée. La seconde d'après, il disparut pour réapparaître derrière Mackogneur et Sardonis. Surpris, l'homme aux yeux écarlates s'exclama.
- Qu'est-ce que...Mewtwo ?
Le pokémon humanoïde chargea dans la paume de ses mains deux boules d'énergie qu'il envoya sur le Mackogneur. Au contact, les deux boules fusionnèrent avant de projeter loin dans les cieux le tortionnaire de mon pokémon. Sans perdre un instant, le pokémon psychique rechargea une autre boule d'énergie. Cette fois-ci, elle était de couleur bleue. Il la lança sur le pokémon blessé, qui l'enveloppa et le fit progressivement léviter dans le ciel. La boule s'arrêta à environ une centaine de mètres d'altitude. Là où il se trouvait, le pokémon ne risquait plus rien. Mewtwo se retourna ensuite vers Sardonis, qui semblait incapable de réagir face à ce qu'il venait de se passer. Le pokémon, qui n'avait encore rien révélé de sa véritable puissance, lui adressa un regard plein de haine tout en lui lançant une formule lapidaire.
- Et maintenant, tu vas mourir.
La mise à mort en question fut incroyablement rapide. D'abord, le pokémon ferma les paumes de ses deux mains. Puis, il se recouvra de nouveau d'aura violacée. La différence, c'était que cette fois la couche d'aura était beaucoup plus épaisse que celle qui recouvrait le pokémon avant qu'il ne se téléporte à l'extérieur de sa cage magnétique. Enfin, Mewtwo émit une déflagration psychique d'une puissance incommensurable. Partie littéralement de son corps, elle ravagea tout sur son passage dans un diamètre de cent mètres. C'était plus que suffisant pour atteindre Sardonis et les cages magnétiques qui nous retenaient encore, Sablaireau et moi. Lorsque l'onde de choc nous atteignit, les cages explosèrent littéralement. Etrangement pourtant, la déflagration nous transperça sans que nous subissions le moindre dommage.
Il en alla tout autrement pour Sardonis. Lorsque l'onde de choc le toucha, elle désintégra ses vêtements et brûla gravement tout le corps de l'homme aux yeux écarlates. Parlons-en d'ailleurs de ses yeux : sous l'effet de la vague d'énergie qui dévorait à présent son corps, ils brûlèrent eux aussi. Plus jamais ce monstre n'allait pouvoir les utiliser pour terroriser ses prisonniers. Lorsque la déflagration psychique disparut enfin de l'horizon, Sardonis était à terre. De la fumée sortait de son corps brûlé au troisième degré. Entre deux gémissements, il émit un râle. J'espérais que c'était le dernier mot qui allait sortir de la bouche de ce criminel.
- Ah...
Tyranocif Rex
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25 décembre 2013, 14:23
Cette fois, j'avais bel et bien cru que tout était perdu. Et pourtant, grâce à la noble intervention de Mewtwo nous étions tous sauvés. Sardonis n'était plus que l'ombre de lui-même. Comment pourrait-il encore se relever dans son état ? Il n'avait eu que ce qu'il méritait. Pour ma part, j'exultais. Voyant que le Directeur de la Sécurité du Consortium agonisait, je considérais l'affaire comme gagnée. Le râle émis par notre adversaire ne faisait que renforcer ce sentiment de confiance. J'en profitai donc pour voir ce qu'était devenu mon brave Chamallot. Bien protégé dans les airs par sa bulle d'énergie, il semblait se rétablir rapidement. La substance qui l'entourait semblait en effet avoir un effet régénérateur. Décidément, ce pokémon Psy avait des pouvoirs surprenants. Il pouvait tuer d'une main tout en réparant les pires blessures de l'autre. C'était la deuxième fois qu'il me sauvait la vie, et à ce titre je lui vouais une reconnaissance tout à fait légitime. Pourtant, ses motivations me restaient totalement inconnues. Que faisait-il là ? Pourquoi était-il intervenu ? Surtout, je m'étonnais qu'il se soit laissé capturer par Sardonis. Après tout, il s'était montré durant le combat incroyablement plus puissant que le chef du Consortium. Pouvait-on réellement parler d'un combat d'ailleurs ? Sardonis n'avait porté strictement aucun coup à son adversaire humanoïde.
Pendant que je me remettais de mes émotions, Mewtwo était resté immobile. Adoptant cette attitude olympienne qu'il appréciait tant, il toisait du regard ce qu'il restait de Sardonis. C'était un comportement pour le moins curieux, si ce n'est plus, de la part d'un vainqueur. Au lieu de revenir vers moi ou de s'approcher de Sardonis pour l'achever, ce noble esprit se contenta de croiser ses bras et d'attendre. Ce n'est qu'un porc-épic très zélé que je connaissais bien qui l'obligea à rompre ce stoïcisme obstiné. Après avoir recouvré sa liberté, le hérisson ne trouva en effet très vite rien de mieux à faire que de se mettre à foncer tête baissée sur le corps consumé du Directeur de la Sécurité. Il n'avait toujours pas perdu son regard haineux à l'égard de son ennemi. Fier comme il l'était, Sablaireau n'avait toujours pas digéré cette humiliation que Sardonis lui avait infligée quelques heures auparavant au rez-de-chaussée du Siège du Consortium. Mais c'était beaucoup m'avancer que de prétendre tout savoir de la psychologie des pokémons.
Et pourtant, il fonça. Il fonça d'ailleurs si bien qu'en une poignée de secondes il avait parcouru toute la distance qui le séparait de sa cible. Son regard était de feu comme la braise et ses griffes de glace s'apprêtaient à administrer à Sardonis le coup de grâce. C'est alors qu'une chose invraisemblable se produisit sous mes yeux. Le chef du Consortium, moribond et que je pensais déjà mort, ria aux éclats. Mais cette voix qui s'esclaffait m'était inconnue. On ne retrouvait pas cette agressivité à laquelle j'avais été accoutumé durant ma captivité. Non, c'était quelque chose de différent. La voix était silencieuse et en même temps très forte. Elle exprimait une perversité différente, presque occulte, mais néanmoins tout aussi dérangeante sinon plus que celle du Sardonis que je connaissais. Instantanément, au premier mot qu'elle exprima, Mewtwo usa de ses pouvoirs télékinétiques pour attirer à lui le fougueux Sablaireau.
Cela se fit en un instant, non sans que le porc-épic émette une grimace afin d'exprimer son mécontentement. Encore une fois, on lui refusait la tête de Sardonis ! Mais pendant ce temps, le mourant parlait distinctement. C'était comme si Mewtwo ne lui avait jamais porté le moindre coup.
- Ah...Ahahah. Ahahahah.
Chamallot était terrifié, craignant le retour de l'Ankou du haut de sa bulle. J'étais stupéfait. Mewtwo ne l'était pas le moins du monde. A ce rire dément, il répondit par une formule lapidaire qui transpirait la confiance. La confiance, il fallait bien avouer qu'il était le seul à la ressentir.
- Je savais bien que tu finirais par apparaître. Tu ne m'auras pas une troisième fois !
Cette réponse me laissait, pour ainsi dire, dans la confusion la plus totale. De quoi parlait-il ? Mais mon petit doigt me disait que je n'allais pas tarder à le savoir. En effet, immédiatement après, la voix mystérieuse s'exprima de nouveau. Plus exactement, elle se contenta de se remettre à éclater de rire. La seule différence, à la fois notable et négligeable, c'était que les rires ne cessèrent plus à partir de ce moment. Pire encore : ils ne faisaient que se renforcer au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Mais au-delà de ces rires, je m'aperçus très vite que le corps de Sardonis commençait à s'entourer d'une brume de plus en plus épaisse. Et plus les rires déments étaient forts, plus la brume était épaisse. Que se passait-il ? La situation devenait de plus en plus incontrôlable. Je regardais le ciel nocturne. La Lune elle-même était devenue très difficile à discerner à cause de la brume. J'avais un mauvais pressentiment : tout cela ne me disait rien qui vaille. Surtout, tout cela me rappelait des choses que j'avais eu toutes les difficultés du monde à oublier. Mais je ne voulais pas y croire.
Et pourtant, il le fallait bien. Dans la brume noire comme le cœur de Sardonis, on ne voyait maintenant plus à trois mètres devant nous. A un moment, deux yeux rouges émergèrent du Néant. Le rire cessa enfin. Ce ne fut en revanche pas le cas de cette voix, qui était devenue d'autant plus vicieuse qu'elle était à présent parfaitement audible. Elle continuait de s'esclaffer tout en nous narguant.
- Navré de te décevoir mon petit Denaro, mais oui c'est bien moi.
Ce que je redoutais le plus était finalement arrivé Nous étions en face de la Lune Noire. Cette créature maléfique qui avait tué tous mes amis d'Hoenn sur ce puits de pétrole de sinistre mémoire. Cette créature qui m'avait vaincu. Cette créature qui m'avait déporté dans le pire endroit du monde. Cette créature qui m'avait privé de mon pokémon. Cette créature, enfin, qui m'avait épargné sans que je sache vraiment pourquoi. Elle était là, et bien là. Ma conviction était devenue une certitude : elle partageait un lien avec le Consortium. Sinon, comment aurait-elle pu intervenir aussi vite ? Mais qu'avait-elle fait de Sardonis ? Elle semblait être apparue autour de lui, et avoir généré subitement cette brume mystérieuse. Au fond, toute cette perplexité qui m'assaillait pouvait se résumer en une seule question. Malgré ma peur, j'osai la lui poser avec audace.
- Toi qui te fait appeler Lune Noire, qui es-tu ?
Aussitôt, l'entité occulte éclata de rire une fois de plus. Cela semblait être une habitude, comme si elle souffrait de démence. Après avoir repris un sérieux somme toute relatif, l'être des ténèbres me répondit non sans une pointe d'ironie.
- Moi ? Mais je suis le chef du Consortium !
Cette réponse sonnait comme une incongruité. Cela allait en effet à contresens de tout ce que l'on m'avait appris, tant au Consortium que chez les Concordiens. Je ne pouvais m'empêcher de m'indigner face à ce qui ressemblait beaucoup trop à une tromperie grossière. N'étant pas un adepte de la théorie du complot, c'était même tout à fait naturel de penser cela. Après tout, quel crédit apporter aux propos d'un être qui ne révèle même pas son vrai visage ?
- Tu mens ! C'est Sardonis le chef du Consortium. Il nous l'a dit lui-même. Arrête d'essayer de nous tromper !
Après un énième éclat de rire, celui qui ne faisait qu'un avec les ténèbres se fit de nouveau entendre. Ce qu'il affirma alors ne fit que renforcer mon incompréhension.
- Mais je suis Sardonis et Sardonis est moi.
C'était inconcevable. Oui, inconcevable : qu'est-ce que cette ombre voulait dire par là ? J'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne pouvais admettre une telle possibilité.
- Tu mens encore une fois ! Si tu étais Sardonis, Mewtwo ne t'aurait pas terrassé aussi facilement.
A chaque fois que je m'entêtais à contester les propos invraisemblables de cette entité maléfique, elle éclatait de rire. Puis, comme depuis le début de notre échange, elle consentait à me répondre en semblant s'amuser de moi.
- Parce que tu crois vraiment qu'il m'a terrassé ? Sardonis n'était qu'un hôte, comme bien d'autres avant lui. Il n'est plus qu'un déchet. Et c'est là que tu entre en jeu, mon petit Denaro. Qu'est-ce que tu croyais ? Je ne t'ai pas épargné par pure philanthropie. Je t'ai choisi comme hôte. Si tu ne me crois pas, demande donc à Mewtwo ce qu'il en pense !
La Lune Noire marquait un point. Si je ne pouvais être certain de sa sincérité, celle de Mewtwo en revanche ne pouvait être sujette à caution. Celui qui m'avait sauvé par deux fois ne pouvait être mauvais. Hélas pour moi, il opina positivement. La situation était plus grave que je le pensais. Cet être était tout simplement abominable. Il ne se contentait donc pas de dévorer l'âme des êtres. Il prenait également le contrôle des êtres humains et les utilisait comme des pantins afin d'accomplir ses volontés. Observant avec délectation mon désarroi, la créature reprit sur un ton plus menaçant.
- Bien...Je sens le désespoir t'envahir. Tu as accepté la vérité. Je dois admettre toutefois que je vous ai sous-estimé, surtout toi Mewtwo. Je ne pensais pas qu'un être tel que toi qui déteste tant la race de Giovanni puisse s'abaisser à aider ces êtres insignifiants et leurs esclaves. Il est encore temps de revenir sur ta décision : ma proposition tient toujours. Tu t'en souviens, j'espère ?
Ce véritable génie du mal tentait de le manipuler pour qu'il se retourne contre nous. J'ignorais pour ainsi dire tout des origines de Mewtwo et de ses motivations, mais je m'inquiétais de plus en plus. Le pokémon humanoïde, encaissant visiblement les propos de l'être des ténèbres, restait pourtant de marbre. Il était demeuré ainsi depuis l'apparition de cet adversaire mystérieux. Mais cela ne voulait rien dire. Je savais maintenant que cette indifférence de façade ne signifiait en rien une absence de réflexion. Qui pouvait savoir ce qu'il se tramait au fond de son esprit ? Celui qui nous avait sauvés pouvait tout aussi bien nous annihiler d'un instant à l'autre.
Soudain, le puissant pokémon psychique se retourna vers moi et me fixa de ses yeux sévères qui voulaient à la fois tout et rien dire. Je voyais dans son regard une souffrance indicible, et en même temps un calme olympien. C'était comme si deux parties de lui-même s'affrontaient sans cesse. Puis, il se retourna de nouveau vers les immenses yeux rouges qui nous observaient constamment. Il répéta la manœuvre plusieurs fois, chaque fois plus vite. Vers qui allait-il se retourner pour déchainer la colère qu'il contenait dans les tréfonds de son cœur et de son âme.
Il se retourna une dernière fois. C'était face à la Lune Noire. Il se mit alors à sourire, ce qui n'était pas bon signe, avant de prendre la parole d'un ton lyrique
Le sourire de Mewtwo était devenu malsain tandis que son visage s'était durci. Quant à moi, j'étais terrifié. Assimilant Mewtwo comme une menace, Sablaireau s'était instinctivement interposé entre l'être humanoïde et moi. C'était un rempart bien fragile face à un adversaire aussi puissant. Mais son courage et son dévouement semblait sans limite. Mewtwo se retourna alors vers moi. Il gardait la même attitude faciale qu'avec l'ombre. Elle était d'ailleurs subitement devenue silencieuse. Peut-être étudiait-elle l'attitude de Mewtwo avec intérêt ? Elle était seule à avoir la réponse à cette question.
Le regard du mutant croisa pendant un long moment celui de Sablaireau. Et puis, à un moment, il finit par reprendre la parole.
Je n'osais dire quoi que ce soit. Mewtwo soufflait le chaud et le froid, et le dilemme ne cessait de s'observer dans ses yeux. Après Sablaireau, ce fut mon tour d'être foudroyé du regard. J'éprouvais toutes les difficultés du monde à soutenir l'intensité du regard de ce pokémon tourmenté par des passions contraires et que la Lune Noire avait visiblement attisé depuis que Rudolph Estenia l'avait ressuscité. Mais je devais tenir. Je devais tenir pour Sablaireau. Je n'allais pas le laisser seul une fois de plus. Je devais tenir pour Chamallot. Si Mewtwo avait daigné sauver un de ces « esclaves » dont il parlait, comme Sardonis avait parlé avant lui et comme la Lune Noire parlait à présent, cela voulait dire qu'il avait une part de bonté. Il était capable de pardonner aux hommes les errements de quelques fous. Cela, je le croyais fermement. Et dussé-je mourir avec le vaste monde, mon trépas n'aurait pas été vain.
Cinq bonnes minutes passèrent ainsi, à regardant l'enfer d'une vie de souffrance dans le regard du pokémon mauve. Finalement, Mewtwo trancha d'une bien étrange manière qui me donna probablement la frousse de ma vie. Brusquement, il leva en effet ses deux mains en l'air et chargea une boule d'énergie qui brillait comme le soleil. Elle grossissait à vue d'œil, jusqu'à atteindre une dimension considérable. C'est à ce moment qu'il fit une de ces formules autoritaires dont il avait le secret.
- Je ne puis choisir. Un doute m'envahit. Mais j'ai cru entendre que certains des tiens croient en des dieux qui appartiennent à ma race. Un d'entre eux s'appelle Arceus, je crois. Je regrette Lune Noire, mais le regard de ces pokémons me perturbe. Alors c'est cet Arceus qui décidera pour moi !
Tout à coup, Mewtwo se retourna vers la Lune Noire à la surprise générale et lui projeta la fameuse boule d'énergie lumineuse directement dans ses yeux. Au moment du choc, une quantité astronomique de lumière dissipa instantanément la brume et éclaira pendant quelques secondes le sol. Ayant perdu sa brume protectrice, la Lune Noire ne pouvait désormais plus se cacher. C'était une créature horrible, un véritable fantôme au visage terrifiant. Ses yeux étaient tout à coup devenus bleus comme le cristal. Sa tête était surmontée de ce qui semblait être une longue traînée de gaz blanc, même s'il était difficile d'en être vraiment sûr. En effet, tout le corps de la créature semblait immatériel. Après que l'obscurité nocturne soit revenue, Mewtwo interpella la créature ainsi dévoilée en l'appelant par son vrai nom.
- Ainsi soit-il. Te voilà révélée à la lumière de la Justice, Lune Noire...ou plus exactement Darkrai ! Car tel est le nom que Rudolph Estenia t'a donné.
Darkrai, puisqu'il fallait l'appeler ainsi maintenant que Mewtwo avait brisé le secret de son identité réelle, lévitait au-dessus du cadavre de Sardonis. Son regard glacial fixait Mewtwo sans émettre la moindre émotion. L'être des ténèbres reprit la parole.
- Tu as choisi le camp des hommes ? Je ne m'y attendais pas. Une fois de plus tu me trahis, esclave. Et bien soit, tu périras comme tous les autres ! Le Xort'Majora se réveillera bientôt, et alors vous ne pourrez plus rien faire pour prévenir votre anéantissement. En attendant...je dois me débarrasser de vous. Vous ne m'avez que trop fait perdre mon temps.
A ces mots, Darkrai se mit à voler à toute vitesse en direction de la bulle où se trouvait toujours Chamallot. Une fois de plus, il s'attaquait au plus faible d'entre nous. Ce lâche ne respectait décidément aucune morale. Mais quoi de plus logique pour quelqu'un comme la Lune Noire qui absorbe les vivants et se moque bien de la mort pour l'infliger tous les jours qu'Arceus fait ? D'un bond, Mewtwo fonça alors sur celui qui avait une première fois tenté de tuer le frêle Chamallot et qui retentait une seconde fois sa folle entreprise. A l'instant précis où Darkrai allait projeter une boule d'énergie obscure qu'il avait chargée durant son ascension vers les cieux, le courageux pokémon s'interposa. Ayant lui aussi concentré une boule d'énergie, cette fois psychique, il la projeta au même moment sur celle élancée par son adversaire. Le choc entre les deux attaques, de force égale, fut si violent qu'il fit voler en éclat la bulle de Chamallot.
L'infortuné pokémon était à présent en chute libre. Aussitôt, vif comme personne, Sablaireau se mit à courir en sa direction et parvint à le récupérer in extremis avant qu'il ne s'écrase lamentablement sur le sol. Ce bon samaritain déposa finalement le petit chameau, qui me rejoignit en courant. Ses yeux perlaient de larmes de bonheur : enfin, nous étions réunis. Cette scène, véritable oasis de soleil dans une éternité de sang et de larmes, réussit à me faire oublier temporairement le combat qui se tramait dans les cieux.
Darkrai et Mewtwo : les deux pokémons menaient un combat apocalyptique l'un contre l'autre. Le premier balançait des rafales de boules d'ombre à Mewtwo, tandis que ce dernier répondait par des rafales de boules d'énergie psychique à une égale intensité. Puis, de temps à autre, le pokémon humanoïde se téléportait pour tenter de feinter la Lune Noire. A chaque fois, cela échouait. Mais à chaque fois, il recommençait. Le bruit de la fureur déchaînée par les deux combattants trouvait un écho jusqu'à nous trois, devenus une fois de plus simples spectateurs d'un affrontement qui nous dépassait. Toutefois, après un quart d'heure de combats aériens, les deux belligérants décidèrent de poursuivre sur le sommet de la tour. A cet instant, Sablaireau, qui n'attendait que cela comme à son habitude, se jeta littéralement sur Darkrai. Occupé à parer de nouvelles rafales de Mewtwo, la créature maléfique ne put esquiver le coup. Il ne lui infligea pourtant aucun dégât. Le hérisson retenta le même assaut à de multiples reprises. Le résultat fut toujours le même, c'est-à-dire un échec cuisant. C'était comme si la Lune Noire ne pouvait être vaincue par des attaques physiques.
Une demi-heure plus tard, les deux ennemis stoppèrent net le combat. A une cinquantaine de mètres l'un de l'autre, ils se fixaient du regard tout aussi impassibles l'un que l'autre. Quant à moi, j'avais eu toutes les peine du monde pour trouver un endroit à peu près à l'abri de leurs attaques mortifères. Deux minutes passèrent ainsi. Darkrai finit par prendre la parole.
- Tu es moins faible que je le pensais. Ta rage de vaincre décuple ta puissance.
Mewtwo eut alors une réponse cinglante, tout en continuant de foudroyer la Lune Noire du regard.
- C'est parce que j'ai une revanche à prendre sur l'Histoire.
Prendre une revanche sur l'Histoire : à bien y réfléchir, il était vrai que le combat que livrait Mewtwo était bel et bien celui contre lui-même. J'avais bien vu plus tôt comment la Lune Noire avait tenté de jouer sur cette dualité entre un Mewtwo du passé, vengeur, et un Mewtwo du présent, qui voulait devenir un pokémon comme un autre. C'était comme si ce combat, fut-il pour la sauvegarde de ce que chaque humain et chaque pokémon chérit le plus, était avant tout une thérapie. Il devenait presque touchant à force ce pokémon créée par les plus sinistres savants du Consortium et, avant eux, de la Team Rocket. Car oui, ce qu'il se cachait aussi derrière tout cela c'était l'occasion unique qui nous était offerte d'abattre une bonne fois pour toutes le Consortium.
Mais cela n'allait pas être simple, car jusqu'ici Mewtwo n'avait parvenu qu'à faire jeu égal avec la Lune Noire. Il allait en falloir plus pour le terrasser. Oui, il en faudrait bien plus. Je regardais le ciel. L'aube se levait : peut-être était-ce un signe de bon augure. Après tout, le jour ne chasse-t-il pas la nuit ? En tout cas, les belligérants continuaient de s'affronter. Ils ne le faisaient certes plus par les armes pour le moment, mais le verbe constituait aussi une arme de choix pour affaiblir l'adversaire. Après Mewtwo, ce fut au tour de Darkrai de prendre la parole. Mais cette fois, cela n'allait pas être pour complimenter la valeur combattive de son adversaire. Ses paroles furent lourdes de conséquences.
- Tu ignores juste un détail : l'Histoire, c'est moi qui la fais ! Et je sais précisément ce que les êtres tels que toi redoutent le plus. Venez à moi, Xort'Udur !
A ces mots, depuis les quatre points cardinaux des formes étranges apparurent en masse. Très rapidement, ces formes devinrent des sortes de fantômes noirs avec des têtes d'hommes au fur et à mesure qu'elles se rapprochaient de leur maître. Ce qu'ils étaient, je l'ignorais totalement. Etait-ce des sortes de spectres ? Je n'eus pas le temps de me poser davantage de questions métaphysiques. En effet, la Lune Noire donna auxdits Xort'Udur une mission.
- Mes chers amis, je sais que vous avez faim et que vous aimeriez de nouveaux compagnons. J'ai ici de la chair fraîche rien que pour vous. Et n'hésitez pas à prendre votre temps de bien savourer le petit chameau qui se trouve au fond. Il a beaucoup couru, alors il sera sans nul doute très juteux à manger.
Chacun des mots de la Lune Noire était un concentré de sadisme et de cruauté. Aussitôt, des milliers de spectres déferlèrent en ma direction tandis que Darkrai s'occupa de reprendre avec une sauvagerie renouvelée son combat contre Mewtwo. Il était pris au piège. Le pokémon humanoïde aurait voulu pouvoir nous aider, cela se voyait sur ses yeux. Mais s'il le faisait, Darkrai ne manquerait pas d'en profiter pour l'abattre comme un chien par derrière. Moi, Sablaireau et Chamallot étions tous trois impuissants face à ces adversaires inconnus. Ils nous encerclaient à présent et commençaient à chanter des psaumes occultes qui me donnaient un vertige et un mal de crâne abominable. Chaque seconde, chaque minute qui passait rendait plus proche le moment où j'allais perdre connaissance. Dans un ultime effort, je réussis à demander de l'aide à Mewtwo même si je ne me faisais pas beaucoup d'illusions.
- Mewtwo...Aide-nous !
Soudain, dans un courage inouï, Mewtwo rompit sa garde avec Darkrai pour foncer tout droit vers les Xort'Udur qui nous assaillaient de toutes part. La Lune Noire, comme je le redoutais, en profita pour lancer des rafales de boules d'énergie dans le dos du mutant. Mais contrairement à toutes mes prévisions, il réussit à les esquiver in extremis avant de débouler droit vers nous. Dans sa course effrénée, il se recouvrait progressivement d'une impressionnante aura d'énergie psychique. A un moment, la quantité d'énergie qui le recouvrait était d'ailleurs devenue telle que cela lui donnait l'apparence d'une météorite. En arrivant au contact, les spectres furent obligés de se disperser de peur d'être anéantis. Puis, sans prendre la peine de se reposer un instant, il nous ceintura tous les trois à l'aide de ses grands bras avant de se propulser à toute vitesse dans les airs. Finalement, il nous déposa à l'autre bout du toit du Siège du Consortium. Cela ne manqua d'ailleurs pas de désarçonner la Lune Noire, qui ne s'attendait nullement à ce que Mewtwo soit encore capable après tant d'énergie dépensée à faire des efforts aussi insensés.
Mais ce sauvetage ne constituait hélas qu'un répit éphémère. Devant nous, Mewtwo transpirait. Sa respiration était devenue haletante, signe qu'il fatiguait. Et pendant ce temps, les Xort'Udur se regroupaient autour de leur maître. La Lune Noire jubilait de l'état dans lequel se trouvait son adversaire. Il se rapprochait maintenant de nous tout en riant bruyamment. Puis, une fois arrivé à proximité, il se mit à narguer le fier pokémon psychique.
- Que tu es pitoyable...Tu croyais vraiment que tes pouvoirs insignifiants allaient suffire à me terrasser ? Ton obstination à vouloir protéger ces trois cloportes te perdra.
Mewtwo ne pouvait en entendre davantage. Malgré la fatigue, la colère lui donna un regain d'énergie qui lui permit de foncer sur Darkrai et les fantômes qui l'accompagnaient. Dans le feu de l'action, il répondit avec une détermination sans failles à l'être des ténèbres qui s'acharnait décidément à vouloir briser sa combattivité.
- Ils valent bien plus que toi !
Le combat avait repris de plus belle. A chaque coup porté par Mewtwo, des Xort'Udur se déchiraient littéralement en deux. Mais à chaque fois, ils se reconstituaient en riant. Et pendant que le courageux mutant s'acharnait à mener des assauts chaque fois plus redoutables, sa fatigue se faisait de plus en plus sentir. Darkrai le voyait parfaitement. C'était d'ailleurs pour cela qu'il s'obstinait à esquiver tous les coups que pouvait tenter de lui porter le pokémon mauve. Tout en se cachant lâchement derrière ses esclaves fantomatiques, il continuait de narguer celui qui avait choisi le parti de la vie.
- Tu es déjà vaincu. Bientôt, tu tomberas et mes Xort'Udur pourront se charger de tes petits amis. Seule ta vanité retarde l'échéance.
Les mouvements de Mewtwo devenaient de plus en plus lents et maladroits. Il n'avait plus la force de concentrer davantage d'énergie ou de porter d'autres coups. Surtout, les Xort'Udur aspiraient à présent de folles quantités d'énergie qui affaiblissaient encore davantage le pokémon psychique. A un moment, reconnaissant sa défaite, il se téléporta juste devant nous pour reprendre son souffle. Il avait mis un genou à terre, et son visage n'exprimait plus que la douleur accumulée par un effort trop prolongé. Une fois de plus, les Xort'Udur se regroupaient. Une fois de plus, ils allaient nous submerger comme ils avaient tenté de le faire par deux fois déjà. La situation semblait rigoureusement identique à celle qui avait cours il y a plusieurs minutes. Et tandis que Mewtwo s'épuisait dans des attaques épuisantes, les Xort'Udur semblaient dans le même état que lorsque la Lune Noire les avait invoqué. C'était comme s'ils étaient invulnérables. Darkrai devait probablement être la source de leur pouvoir, mais il se dérobait à chaque fois que Mewtwo tentait de le toucher.
L'heure de l'assaut final était venue. La Lune Noire ordonna à ses fantômes d'en finir. Aussitôt, ils foncèrent vers nous dans des cris stridents. Dans un ultime effort, Mewtwo allongea ses bras en direction de nos adversaires tout en lâchant quelques mots avec toutes les difficultés du monde. Il semblait les adresser autant à lui-même qu'à la Lune Noire.
- Non...Ce n'est pas...fini !
Puis, un épais bouclier d'énergie psychique se forma tout autour de nous. Quelques secondes après, Mewtwo s'écroula. Choqué par ce qu'il venait de se passer, je ne pus m'empêcher de crier pathétiquement.
- Non, Mewtwo !
En arrivant au contact avec le bouclier, les Xort'Udur furent brutalement repoussés à quelques mètres de là. C'était à présent la seule protection que Mewtwo nous avait légué avant de défaillir. C'était la seule chose qui nous séparait de l'anéantissement. La Lune Noire, qui s'était enfin avancée devant ses spectres, riait aux éclats. Puis, elle prit la parole avec son regard froid comme la glace.
- Enfin, il n'est plus de ce monde. Il ne pourra plus rien faire pour vous aider à présent. Ce n'est pas ce pitoyable mur qui va pouvoir vous sauver très longtemps.
J'étais indigné. Mewtwo était mort ? Non, cela ne pouvait être possible. Mais je n'eus pas le temps de pleurer à la mort, réelle ou supposée, de mon sauveur. En effet, très vite les Xort'Udur se regroupèrent à nouveau. Puis, après s'être concentrés, ils déferlèrent tous ensemble sur le bouclier psychique. Cette fois, ils ne visaient qu'un point unique. Lorsqu'ils arrivèrent au contact, ma stupeur fut totale. Avec une simplicité déconcertante, ils percèrent le mur d'énergie qui vola alors en éclat. Les Xort'Udur ne se trouvaient plus qu'à quelques centimètres de nous. Ils étaient sur le point de nous anéantir. Je serrais les dents. Tout semblait maintenant perdu. Qu'allait-il advenir de nous ?
Chapitre XXVIII - Le secret de Sardonis
Spoiler
3 Mai - 4 AM
Narrateur : Denaro Wolf
Narrateur : Denaro Wolf
Cette fois, j'avais bel et bien cru que tout était perdu. Et pourtant, grâce à la noble intervention de Mewtwo nous étions tous sauvés. Sardonis n'était plus que l'ombre de lui-même. Comment pourrait-il encore se relever dans son état ? Il n'avait eu que ce qu'il méritait. Pour ma part, j'exultais. Voyant que le Directeur de la Sécurité du Consortium agonisait, je considérais l'affaire comme gagnée. Le râle émis par notre adversaire ne faisait que renforcer ce sentiment de confiance. J'en profitai donc pour voir ce qu'était devenu mon brave Chamallot. Bien protégé dans les airs par sa bulle d'énergie, il semblait se rétablir rapidement. La substance qui l'entourait semblait en effet avoir un effet régénérateur. Décidément, ce pokémon Psy avait des pouvoirs surprenants. Il pouvait tuer d'une main tout en réparant les pires blessures de l'autre. C'était la deuxième fois qu'il me sauvait la vie, et à ce titre je lui vouais une reconnaissance tout à fait légitime. Pourtant, ses motivations me restaient totalement inconnues. Que faisait-il là ? Pourquoi était-il intervenu ? Surtout, je m'étonnais qu'il se soit laissé capturer par Sardonis. Après tout, il s'était montré durant le combat incroyablement plus puissant que le chef du Consortium. Pouvait-on réellement parler d'un combat d'ailleurs ? Sardonis n'avait porté strictement aucun coup à son adversaire humanoïde.
Pendant que je me remettais de mes émotions, Mewtwo était resté immobile. Adoptant cette attitude olympienne qu'il appréciait tant, il toisait du regard ce qu'il restait de Sardonis. C'était un comportement pour le moins curieux, si ce n'est plus, de la part d'un vainqueur. Au lieu de revenir vers moi ou de s'approcher de Sardonis pour l'achever, ce noble esprit se contenta de croiser ses bras et d'attendre. Ce n'est qu'un porc-épic très zélé que je connaissais bien qui l'obligea à rompre ce stoïcisme obstiné. Après avoir recouvré sa liberté, le hérisson ne trouva en effet très vite rien de mieux à faire que de se mettre à foncer tête baissée sur le corps consumé du Directeur de la Sécurité. Il n'avait toujours pas perdu son regard haineux à l'égard de son ennemi. Fier comme il l'était, Sablaireau n'avait toujours pas digéré cette humiliation que Sardonis lui avait infligée quelques heures auparavant au rez-de-chaussée du Siège du Consortium. Mais c'était beaucoup m'avancer que de prétendre tout savoir de la psychologie des pokémons.
Et pourtant, il fonça. Il fonça d'ailleurs si bien qu'en une poignée de secondes il avait parcouru toute la distance qui le séparait de sa cible. Son regard était de feu comme la braise et ses griffes de glace s'apprêtaient à administrer à Sardonis le coup de grâce. C'est alors qu'une chose invraisemblable se produisit sous mes yeux. Le chef du Consortium, moribond et que je pensais déjà mort, ria aux éclats. Mais cette voix qui s'esclaffait m'était inconnue. On ne retrouvait pas cette agressivité à laquelle j'avais été accoutumé durant ma captivité. Non, c'était quelque chose de différent. La voix était silencieuse et en même temps très forte. Elle exprimait une perversité différente, presque occulte, mais néanmoins tout aussi dérangeante sinon plus que celle du Sardonis que je connaissais. Instantanément, au premier mot qu'elle exprima, Mewtwo usa de ses pouvoirs télékinétiques pour attirer à lui le fougueux Sablaireau.
Cela se fit en un instant, non sans que le porc-épic émette une grimace afin d'exprimer son mécontentement. Encore une fois, on lui refusait la tête de Sardonis ! Mais pendant ce temps, le mourant parlait distinctement. C'était comme si Mewtwo ne lui avait jamais porté le moindre coup.
- Ah...Ahahah. Ahahahah.
Chamallot était terrifié, craignant le retour de l'Ankou du haut de sa bulle. J'étais stupéfait. Mewtwo ne l'était pas le moins du monde. A ce rire dément, il répondit par une formule lapidaire qui transpirait la confiance. La confiance, il fallait bien avouer qu'il était le seul à la ressentir.
- Je savais bien que tu finirais par apparaître. Tu ne m'auras pas une troisième fois !
Cette réponse me laissait, pour ainsi dire, dans la confusion la plus totale. De quoi parlait-il ? Mais mon petit doigt me disait que je n'allais pas tarder à le savoir. En effet, immédiatement après, la voix mystérieuse s'exprima de nouveau. Plus exactement, elle se contenta de se remettre à éclater de rire. La seule différence, à la fois notable et négligeable, c'était que les rires ne cessèrent plus à partir de ce moment. Pire encore : ils ne faisaient que se renforcer au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Mais au-delà de ces rires, je m'aperçus très vite que le corps de Sardonis commençait à s'entourer d'une brume de plus en plus épaisse. Et plus les rires déments étaient forts, plus la brume était épaisse. Que se passait-il ? La situation devenait de plus en plus incontrôlable. Je regardais le ciel nocturne. La Lune elle-même était devenue très difficile à discerner à cause de la brume. J'avais un mauvais pressentiment : tout cela ne me disait rien qui vaille. Surtout, tout cela me rappelait des choses que j'avais eu toutes les difficultés du monde à oublier. Mais je ne voulais pas y croire.
Et pourtant, il le fallait bien. Dans la brume noire comme le cœur de Sardonis, on ne voyait maintenant plus à trois mètres devant nous. A un moment, deux yeux rouges émergèrent du Néant. Le rire cessa enfin. Ce ne fut en revanche pas le cas de cette voix, qui était devenue d'autant plus vicieuse qu'elle était à présent parfaitement audible. Elle continuait de s'esclaffer tout en nous narguant.
- Navré de te décevoir mon petit Denaro, mais oui c'est bien moi.
Ce que je redoutais le plus était finalement arrivé Nous étions en face de la Lune Noire. Cette créature maléfique qui avait tué tous mes amis d'Hoenn sur ce puits de pétrole de sinistre mémoire. Cette créature qui m'avait vaincu. Cette créature qui m'avait déporté dans le pire endroit du monde. Cette créature qui m'avait privé de mon pokémon. Cette créature, enfin, qui m'avait épargné sans que je sache vraiment pourquoi. Elle était là, et bien là. Ma conviction était devenue une certitude : elle partageait un lien avec le Consortium. Sinon, comment aurait-elle pu intervenir aussi vite ? Mais qu'avait-elle fait de Sardonis ? Elle semblait être apparue autour de lui, et avoir généré subitement cette brume mystérieuse. Au fond, toute cette perplexité qui m'assaillait pouvait se résumer en une seule question. Malgré ma peur, j'osai la lui poser avec audace.
- Toi qui te fait appeler Lune Noire, qui es-tu ?
Aussitôt, l'entité occulte éclata de rire une fois de plus. Cela semblait être une habitude, comme si elle souffrait de démence. Après avoir repris un sérieux somme toute relatif, l'être des ténèbres me répondit non sans une pointe d'ironie.
- Moi ? Mais je suis le chef du Consortium !
Cette réponse sonnait comme une incongruité. Cela allait en effet à contresens de tout ce que l'on m'avait appris, tant au Consortium que chez les Concordiens. Je ne pouvais m'empêcher de m'indigner face à ce qui ressemblait beaucoup trop à une tromperie grossière. N'étant pas un adepte de la théorie du complot, c'était même tout à fait naturel de penser cela. Après tout, quel crédit apporter aux propos d'un être qui ne révèle même pas son vrai visage ?
- Tu mens ! C'est Sardonis le chef du Consortium. Il nous l'a dit lui-même. Arrête d'essayer de nous tromper !
Après un énième éclat de rire, celui qui ne faisait qu'un avec les ténèbres se fit de nouveau entendre. Ce qu'il affirma alors ne fit que renforcer mon incompréhension.
- Mais je suis Sardonis et Sardonis est moi.
C'était inconcevable. Oui, inconcevable : qu'est-ce que cette ombre voulait dire par là ? J'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne pouvais admettre une telle possibilité.
- Tu mens encore une fois ! Si tu étais Sardonis, Mewtwo ne t'aurait pas terrassé aussi facilement.
A chaque fois que je m'entêtais à contester les propos invraisemblables de cette entité maléfique, elle éclatait de rire. Puis, comme depuis le début de notre échange, elle consentait à me répondre en semblant s'amuser de moi.
- Parce que tu crois vraiment qu'il m'a terrassé ? Sardonis n'était qu'un hôte, comme bien d'autres avant lui. Il n'est plus qu'un déchet. Et c'est là que tu entre en jeu, mon petit Denaro. Qu'est-ce que tu croyais ? Je ne t'ai pas épargné par pure philanthropie. Je t'ai choisi comme hôte. Si tu ne me crois pas, demande donc à Mewtwo ce qu'il en pense !
La Lune Noire marquait un point. Si je ne pouvais être certain de sa sincérité, celle de Mewtwo en revanche ne pouvait être sujette à caution. Celui qui m'avait sauvé par deux fois ne pouvait être mauvais. Hélas pour moi, il opina positivement. La situation était plus grave que je le pensais. Cet être était tout simplement abominable. Il ne se contentait donc pas de dévorer l'âme des êtres. Il prenait également le contrôle des êtres humains et les utilisait comme des pantins afin d'accomplir ses volontés. Observant avec délectation mon désarroi, la créature reprit sur un ton plus menaçant.
- Bien...Je sens le désespoir t'envahir. Tu as accepté la vérité. Je dois admettre toutefois que je vous ai sous-estimé, surtout toi Mewtwo. Je ne pensais pas qu'un être tel que toi qui déteste tant la race de Giovanni puisse s'abaisser à aider ces êtres insignifiants et leurs esclaves. Il est encore temps de revenir sur ta décision : ma proposition tient toujours. Tu t'en souviens, j'espère ?
Ce véritable génie du mal tentait de le manipuler pour qu'il se retourne contre nous. J'ignorais pour ainsi dire tout des origines de Mewtwo et de ses motivations, mais je m'inquiétais de plus en plus. Le pokémon humanoïde, encaissant visiblement les propos de l'être des ténèbres, restait pourtant de marbre. Il était demeuré ainsi depuis l'apparition de cet adversaire mystérieux. Mais cela ne voulait rien dire. Je savais maintenant que cette indifférence de façade ne signifiait en rien une absence de réflexion. Qui pouvait savoir ce qu'il se tramait au fond de son esprit ? Celui qui nous avait sauvés pouvait tout aussi bien nous annihiler d'un instant à l'autre.
Soudain, le puissant pokémon psychique se retourna vers moi et me fixa de ses yeux sévères qui voulaient à la fois tout et rien dire. Je voyais dans son regard une souffrance indicible, et en même temps un calme olympien. C'était comme si deux parties de lui-même s'affrontaient sans cesse. Puis, il se retourna de nouveau vers les immenses yeux rouges qui nous observaient constamment. Il répéta la manœuvre plusieurs fois, chaque fois plus vite. Vers qui allait-il se retourner pour déchainer la colère qu'il contenait dans les tréfonds de son cœur et de son âme.
Il se retourna une dernière fois. C'était face à la Lune Noire. Il se mit alors à sourire, ce qui n'était pas bon signe, avant de prendre la parole d'un ton lyrique
Oui, Lune Noire
Je me souviens de ta proposition
J'ai longtemps haï Rudolph Estenia
Lui qui me fit renaître
Je détestais tant ce monde
Où les hommes ont fait souffrir tant des miens
Comme Giovanni me fit jadis souffrir
Je voulais soit mourir soit l'anéantir
Ô Lune Noire
Tu m'as tant donné
Te souviens-tu de notre rencontre à Jadielle ?
Tu m'as fait ressentir le souffle de la vie qui s'étiole
Nous détruisîmes ensemble tant de vies
Coupables de passivité devant le crime quotidien
Oui, Lune Noire
Je me souviens de ta proposition
L'holocauste de tous ces insignifiants
L'holocauste de tous leurs esclaves
Et à l'horizon, une seule chose
La Justice
Je me souviens de ta proposition
J'ai longtemps haï Rudolph Estenia
Lui qui me fit renaître
Je détestais tant ce monde
Où les hommes ont fait souffrir tant des miens
Comme Giovanni me fit jadis souffrir
Je voulais soit mourir soit l'anéantir
Ô Lune Noire
Tu m'as tant donné
Te souviens-tu de notre rencontre à Jadielle ?
Tu m'as fait ressentir le souffle de la vie qui s'étiole
Nous détruisîmes ensemble tant de vies
Coupables de passivité devant le crime quotidien
Oui, Lune Noire
Je me souviens de ta proposition
L'holocauste de tous ces insignifiants
L'holocauste de tous leurs esclaves
Et à l'horizon, une seule chose
La Justice
Le sourire de Mewtwo était devenu malsain tandis que son visage s'était durci. Quant à moi, j'étais terrifié. Assimilant Mewtwo comme une menace, Sablaireau s'était instinctivement interposé entre l'être humanoïde et moi. C'était un rempart bien fragile face à un adversaire aussi puissant. Mais son courage et son dévouement semblait sans limite. Mewtwo se retourna alors vers moi. Il gardait la même attitude faciale qu'avec l'ombre. Elle était d'ailleurs subitement devenue silencieuse. Peut-être étudiait-elle l'attitude de Mewtwo avec intérêt ? Elle était seule à avoir la réponse à cette question.
Le regard du mutant croisa pendant un long moment celui de Sablaireau. Et puis, à un moment, il finit par reprendre la parole.
Toi aussi, petit pokémon
Tu as été conçu par l'Homme
Je vois cette souffrance au fond de tes yeux
Tout comme tu la vois dans le fond des miens
Et pourtant, tu sers l'Homme
Ce monde mérite-t-il d'être sauvé ?
Tes yeux répondent oui
D'autres yeux répondent non
Tu as été conçu par l'Homme
Je vois cette souffrance au fond de tes yeux
Tout comme tu la vois dans le fond des miens
Et pourtant, tu sers l'Homme
Ce monde mérite-t-il d'être sauvé ?
Tes yeux répondent oui
D'autres yeux répondent non
Je n'osais dire quoi que ce soit. Mewtwo soufflait le chaud et le froid, et le dilemme ne cessait de s'observer dans ses yeux. Après Sablaireau, ce fut mon tour d'être foudroyé du regard. J'éprouvais toutes les difficultés du monde à soutenir l'intensité du regard de ce pokémon tourmenté par des passions contraires et que la Lune Noire avait visiblement attisé depuis que Rudolph Estenia l'avait ressuscité. Mais je devais tenir. Je devais tenir pour Sablaireau. Je n'allais pas le laisser seul une fois de plus. Je devais tenir pour Chamallot. Si Mewtwo avait daigné sauver un de ces « esclaves » dont il parlait, comme Sardonis avait parlé avant lui et comme la Lune Noire parlait à présent, cela voulait dire qu'il avait une part de bonté. Il était capable de pardonner aux hommes les errements de quelques fous. Cela, je le croyais fermement. Et dussé-je mourir avec le vaste monde, mon trépas n'aurait pas été vain.
Cinq bonnes minutes passèrent ainsi, à regardant l'enfer d'une vie de souffrance dans le regard du pokémon mauve. Finalement, Mewtwo trancha d'une bien étrange manière qui me donna probablement la frousse de ma vie. Brusquement, il leva en effet ses deux mains en l'air et chargea une boule d'énergie qui brillait comme le soleil. Elle grossissait à vue d'œil, jusqu'à atteindre une dimension considérable. C'est à ce moment qu'il fit une de ces formules autoritaires dont il avait le secret.
- Je ne puis choisir. Un doute m'envahit. Mais j'ai cru entendre que certains des tiens croient en des dieux qui appartiennent à ma race. Un d'entre eux s'appelle Arceus, je crois. Je regrette Lune Noire, mais le regard de ces pokémons me perturbe. Alors c'est cet Arceus qui décidera pour moi !
Tout à coup, Mewtwo se retourna vers la Lune Noire à la surprise générale et lui projeta la fameuse boule d'énergie lumineuse directement dans ses yeux. Au moment du choc, une quantité astronomique de lumière dissipa instantanément la brume et éclaira pendant quelques secondes le sol. Ayant perdu sa brume protectrice, la Lune Noire ne pouvait désormais plus se cacher. C'était une créature horrible, un véritable fantôme au visage terrifiant. Ses yeux étaient tout à coup devenus bleus comme le cristal. Sa tête était surmontée de ce qui semblait être une longue traînée de gaz blanc, même s'il était difficile d'en être vraiment sûr. En effet, tout le corps de la créature semblait immatériel. Après que l'obscurité nocturne soit revenue, Mewtwo interpella la créature ainsi dévoilée en l'appelant par son vrai nom.
- Ainsi soit-il. Te voilà révélée à la lumière de la Justice, Lune Noire...ou plus exactement Darkrai ! Car tel est le nom que Rudolph Estenia t'a donné.
Darkrai, puisqu'il fallait l'appeler ainsi maintenant que Mewtwo avait brisé le secret de son identité réelle, lévitait au-dessus du cadavre de Sardonis. Son regard glacial fixait Mewtwo sans émettre la moindre émotion. L'être des ténèbres reprit la parole.
- Tu as choisi le camp des hommes ? Je ne m'y attendais pas. Une fois de plus tu me trahis, esclave. Et bien soit, tu périras comme tous les autres ! Le Xort'Majora se réveillera bientôt, et alors vous ne pourrez plus rien faire pour prévenir votre anéantissement. En attendant...je dois me débarrasser de vous. Vous ne m'avez que trop fait perdre mon temps.
A ces mots, Darkrai se mit à voler à toute vitesse en direction de la bulle où se trouvait toujours Chamallot. Une fois de plus, il s'attaquait au plus faible d'entre nous. Ce lâche ne respectait décidément aucune morale. Mais quoi de plus logique pour quelqu'un comme la Lune Noire qui absorbe les vivants et se moque bien de la mort pour l'infliger tous les jours qu'Arceus fait ? D'un bond, Mewtwo fonça alors sur celui qui avait une première fois tenté de tuer le frêle Chamallot et qui retentait une seconde fois sa folle entreprise. A l'instant précis où Darkrai allait projeter une boule d'énergie obscure qu'il avait chargée durant son ascension vers les cieux, le courageux pokémon s'interposa. Ayant lui aussi concentré une boule d'énergie, cette fois psychique, il la projeta au même moment sur celle élancée par son adversaire. Le choc entre les deux attaques, de force égale, fut si violent qu'il fit voler en éclat la bulle de Chamallot.
L'infortuné pokémon était à présent en chute libre. Aussitôt, vif comme personne, Sablaireau se mit à courir en sa direction et parvint à le récupérer in extremis avant qu'il ne s'écrase lamentablement sur le sol. Ce bon samaritain déposa finalement le petit chameau, qui me rejoignit en courant. Ses yeux perlaient de larmes de bonheur : enfin, nous étions réunis. Cette scène, véritable oasis de soleil dans une éternité de sang et de larmes, réussit à me faire oublier temporairement le combat qui se tramait dans les cieux.
Darkrai et Mewtwo : les deux pokémons menaient un combat apocalyptique l'un contre l'autre. Le premier balançait des rafales de boules d'ombre à Mewtwo, tandis que ce dernier répondait par des rafales de boules d'énergie psychique à une égale intensité. Puis, de temps à autre, le pokémon humanoïde se téléportait pour tenter de feinter la Lune Noire. A chaque fois, cela échouait. Mais à chaque fois, il recommençait. Le bruit de la fureur déchaînée par les deux combattants trouvait un écho jusqu'à nous trois, devenus une fois de plus simples spectateurs d'un affrontement qui nous dépassait. Toutefois, après un quart d'heure de combats aériens, les deux belligérants décidèrent de poursuivre sur le sommet de la tour. A cet instant, Sablaireau, qui n'attendait que cela comme à son habitude, se jeta littéralement sur Darkrai. Occupé à parer de nouvelles rafales de Mewtwo, la créature maléfique ne put esquiver le coup. Il ne lui infligea pourtant aucun dégât. Le hérisson retenta le même assaut à de multiples reprises. Le résultat fut toujours le même, c'est-à-dire un échec cuisant. C'était comme si la Lune Noire ne pouvait être vaincue par des attaques physiques.
Une demi-heure plus tard, les deux ennemis stoppèrent net le combat. A une cinquantaine de mètres l'un de l'autre, ils se fixaient du regard tout aussi impassibles l'un que l'autre. Quant à moi, j'avais eu toutes les peine du monde pour trouver un endroit à peu près à l'abri de leurs attaques mortifères. Deux minutes passèrent ainsi. Darkrai finit par prendre la parole.
- Tu es moins faible que je le pensais. Ta rage de vaincre décuple ta puissance.
Mewtwo eut alors une réponse cinglante, tout en continuant de foudroyer la Lune Noire du regard.
- C'est parce que j'ai une revanche à prendre sur l'Histoire.
Prendre une revanche sur l'Histoire : à bien y réfléchir, il était vrai que le combat que livrait Mewtwo était bel et bien celui contre lui-même. J'avais bien vu plus tôt comment la Lune Noire avait tenté de jouer sur cette dualité entre un Mewtwo du passé, vengeur, et un Mewtwo du présent, qui voulait devenir un pokémon comme un autre. C'était comme si ce combat, fut-il pour la sauvegarde de ce que chaque humain et chaque pokémon chérit le plus, était avant tout une thérapie. Il devenait presque touchant à force ce pokémon créée par les plus sinistres savants du Consortium et, avant eux, de la Team Rocket. Car oui, ce qu'il se cachait aussi derrière tout cela c'était l'occasion unique qui nous était offerte d'abattre une bonne fois pour toutes le Consortium.
Mais cela n'allait pas être simple, car jusqu'ici Mewtwo n'avait parvenu qu'à faire jeu égal avec la Lune Noire. Il allait en falloir plus pour le terrasser. Oui, il en faudrait bien plus. Je regardais le ciel. L'aube se levait : peut-être était-ce un signe de bon augure. Après tout, le jour ne chasse-t-il pas la nuit ? En tout cas, les belligérants continuaient de s'affronter. Ils ne le faisaient certes plus par les armes pour le moment, mais le verbe constituait aussi une arme de choix pour affaiblir l'adversaire. Après Mewtwo, ce fut au tour de Darkrai de prendre la parole. Mais cette fois, cela n'allait pas être pour complimenter la valeur combattive de son adversaire. Ses paroles furent lourdes de conséquences.
- Tu ignores juste un détail : l'Histoire, c'est moi qui la fais ! Et je sais précisément ce que les êtres tels que toi redoutent le plus. Venez à moi, Xort'Udur !
A ces mots, depuis les quatre points cardinaux des formes étranges apparurent en masse. Très rapidement, ces formes devinrent des sortes de fantômes noirs avec des têtes d'hommes au fur et à mesure qu'elles se rapprochaient de leur maître. Ce qu'ils étaient, je l'ignorais totalement. Etait-ce des sortes de spectres ? Je n'eus pas le temps de me poser davantage de questions métaphysiques. En effet, la Lune Noire donna auxdits Xort'Udur une mission.
- Mes chers amis, je sais que vous avez faim et que vous aimeriez de nouveaux compagnons. J'ai ici de la chair fraîche rien que pour vous. Et n'hésitez pas à prendre votre temps de bien savourer le petit chameau qui se trouve au fond. Il a beaucoup couru, alors il sera sans nul doute très juteux à manger.
Chacun des mots de la Lune Noire était un concentré de sadisme et de cruauté. Aussitôt, des milliers de spectres déferlèrent en ma direction tandis que Darkrai s'occupa de reprendre avec une sauvagerie renouvelée son combat contre Mewtwo. Il était pris au piège. Le pokémon humanoïde aurait voulu pouvoir nous aider, cela se voyait sur ses yeux. Mais s'il le faisait, Darkrai ne manquerait pas d'en profiter pour l'abattre comme un chien par derrière. Moi, Sablaireau et Chamallot étions tous trois impuissants face à ces adversaires inconnus. Ils nous encerclaient à présent et commençaient à chanter des psaumes occultes qui me donnaient un vertige et un mal de crâne abominable. Chaque seconde, chaque minute qui passait rendait plus proche le moment où j'allais perdre connaissance. Dans un ultime effort, je réussis à demander de l'aide à Mewtwo même si je ne me faisais pas beaucoup d'illusions.
- Mewtwo...Aide-nous !
Soudain, dans un courage inouï, Mewtwo rompit sa garde avec Darkrai pour foncer tout droit vers les Xort'Udur qui nous assaillaient de toutes part. La Lune Noire, comme je le redoutais, en profita pour lancer des rafales de boules d'énergie dans le dos du mutant. Mais contrairement à toutes mes prévisions, il réussit à les esquiver in extremis avant de débouler droit vers nous. Dans sa course effrénée, il se recouvrait progressivement d'une impressionnante aura d'énergie psychique. A un moment, la quantité d'énergie qui le recouvrait était d'ailleurs devenue telle que cela lui donnait l'apparence d'une météorite. En arrivant au contact, les spectres furent obligés de se disperser de peur d'être anéantis. Puis, sans prendre la peine de se reposer un instant, il nous ceintura tous les trois à l'aide de ses grands bras avant de se propulser à toute vitesse dans les airs. Finalement, il nous déposa à l'autre bout du toit du Siège du Consortium. Cela ne manqua d'ailleurs pas de désarçonner la Lune Noire, qui ne s'attendait nullement à ce que Mewtwo soit encore capable après tant d'énergie dépensée à faire des efforts aussi insensés.
Mais ce sauvetage ne constituait hélas qu'un répit éphémère. Devant nous, Mewtwo transpirait. Sa respiration était devenue haletante, signe qu'il fatiguait. Et pendant ce temps, les Xort'Udur se regroupaient autour de leur maître. La Lune Noire jubilait de l'état dans lequel se trouvait son adversaire. Il se rapprochait maintenant de nous tout en riant bruyamment. Puis, une fois arrivé à proximité, il se mit à narguer le fier pokémon psychique.
- Que tu es pitoyable...Tu croyais vraiment que tes pouvoirs insignifiants allaient suffire à me terrasser ? Ton obstination à vouloir protéger ces trois cloportes te perdra.
Mewtwo ne pouvait en entendre davantage. Malgré la fatigue, la colère lui donna un regain d'énergie qui lui permit de foncer sur Darkrai et les fantômes qui l'accompagnaient. Dans le feu de l'action, il répondit avec une détermination sans failles à l'être des ténèbres qui s'acharnait décidément à vouloir briser sa combattivité.
- Ils valent bien plus que toi !
Le combat avait repris de plus belle. A chaque coup porté par Mewtwo, des Xort'Udur se déchiraient littéralement en deux. Mais à chaque fois, ils se reconstituaient en riant. Et pendant que le courageux mutant s'acharnait à mener des assauts chaque fois plus redoutables, sa fatigue se faisait de plus en plus sentir. Darkrai le voyait parfaitement. C'était d'ailleurs pour cela qu'il s'obstinait à esquiver tous les coups que pouvait tenter de lui porter le pokémon mauve. Tout en se cachant lâchement derrière ses esclaves fantomatiques, il continuait de narguer celui qui avait choisi le parti de la vie.
- Tu es déjà vaincu. Bientôt, tu tomberas et mes Xort'Udur pourront se charger de tes petits amis. Seule ta vanité retarde l'échéance.
Les mouvements de Mewtwo devenaient de plus en plus lents et maladroits. Il n'avait plus la force de concentrer davantage d'énergie ou de porter d'autres coups. Surtout, les Xort'Udur aspiraient à présent de folles quantités d'énergie qui affaiblissaient encore davantage le pokémon psychique. A un moment, reconnaissant sa défaite, il se téléporta juste devant nous pour reprendre son souffle. Il avait mis un genou à terre, et son visage n'exprimait plus que la douleur accumulée par un effort trop prolongé. Une fois de plus, les Xort'Udur se regroupaient. Une fois de plus, ils allaient nous submerger comme ils avaient tenté de le faire par deux fois déjà. La situation semblait rigoureusement identique à celle qui avait cours il y a plusieurs minutes. Et tandis que Mewtwo s'épuisait dans des attaques épuisantes, les Xort'Udur semblaient dans le même état que lorsque la Lune Noire les avait invoqué. C'était comme s'ils étaient invulnérables. Darkrai devait probablement être la source de leur pouvoir, mais il se dérobait à chaque fois que Mewtwo tentait de le toucher.
L'heure de l'assaut final était venue. La Lune Noire ordonna à ses fantômes d'en finir. Aussitôt, ils foncèrent vers nous dans des cris stridents. Dans un ultime effort, Mewtwo allongea ses bras en direction de nos adversaires tout en lâchant quelques mots avec toutes les difficultés du monde. Il semblait les adresser autant à lui-même qu'à la Lune Noire.
- Non...Ce n'est pas...fini !
Puis, un épais bouclier d'énergie psychique se forma tout autour de nous. Quelques secondes après, Mewtwo s'écroula. Choqué par ce qu'il venait de se passer, je ne pus m'empêcher de crier pathétiquement.
- Non, Mewtwo !
En arrivant au contact avec le bouclier, les Xort'Udur furent brutalement repoussés à quelques mètres de là. C'était à présent la seule protection que Mewtwo nous avait légué avant de défaillir. C'était la seule chose qui nous séparait de l'anéantissement. La Lune Noire, qui s'était enfin avancée devant ses spectres, riait aux éclats. Puis, elle prit la parole avec son regard froid comme la glace.
- Enfin, il n'est plus de ce monde. Il ne pourra plus rien faire pour vous aider à présent. Ce n'est pas ce pitoyable mur qui va pouvoir vous sauver très longtemps.
J'étais indigné. Mewtwo était mort ? Non, cela ne pouvait être possible. Mais je n'eus pas le temps de pleurer à la mort, réelle ou supposée, de mon sauveur. En effet, très vite les Xort'Udur se regroupèrent à nouveau. Puis, après s'être concentrés, ils déferlèrent tous ensemble sur le bouclier psychique. Cette fois, ils ne visaient qu'un point unique. Lorsqu'ils arrivèrent au contact, ma stupeur fut totale. Avec une simplicité déconcertante, ils percèrent le mur d'énergie qui vola alors en éclat. Les Xort'Udur ne se trouvaient plus qu'à quelques centimètres de nous. Ils étaient sur le point de nous anéantir. Je serrais les dents. Tout semblait maintenant perdu. Qu'allait-il advenir de nous ?
Tyranocif Rex
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25 décembre 2013, 14:25
Je n'avais jamais vu la mort d'aussi près. Mewtwo ne pouvait plus m'être d'aucun secours. Si ce puissant pokémon avait échoué à vaincre ces créatures, qui pourrait en être capable ? En cet instant, j'avais accepté un trépas qui semblait inéluctable. Je fermai donc les yeux. Soudain, une détonation se fit entendre juste devant moi. Pris de surprise, j'ouvris de nouveau mes globes oculaires. Quelle ne fut alors ma surprise de voir des éclairs jaillir du ciel et vaporiser avec une précision chirurgicale mes assaillants. Je venais de m'apercevoir que le ciel s'était subitement recouvert de nuages noirs, symptôme de cet orage violent qui se déchainait à présent. A chaque choc avec les esclaves de la Lune Noire, plusieurs d'entre eux disparaissaient dans un cri strident. La puissance de ces éclairs était incommensurable. Mais ce qui m'étonnait le plus, c'était qu'ils ne semblaient viser que mes adversaires. La foudre ne tombait en effet qu'autour de moi, non sans que je manque à plusieurs reprises de finir rôti comme un magicarpe. En l'espace de quelques secondes, les milliers de Xort'Udur qui s'apprêtaient à m'anéantir tantôt avaient tous été désintégrés.
Etonné, je l'étais assurément. Qui ne le serait pas ? Mais Darkrai l'était plus encore. Devant ce spectrocide dont il venait d'être témoin, il se mouvait dans tous les sens tout en hurlant des insanités dans je ne sais quel volapuk. Lorsqu'il redevint enfin immobile, les décharges électriques venues des cieux reprirent de plus belle. Cette fois, elles le visaient. A chaque fois, elles le manquaient de peu. Pour survivre à son mystérieux agresseur, le pokémon ténébreux s'était mis à slalomer entre les éclairs à la manière d'un cycliste. Cela n'était pas sans avoir quelque aspect comique. J'avais toutes les difficultés du monde pour ne pas rire aux éclats. Mon hilarité, tout comme celle des deux pokémons qui m'accompagnaient, finit d'ailleurs par prendre le dessus. Voyant cela, l'être d'ombre s'énerva encore davantage.
Ce qu'il se produisit ensuite me fit nettement moins rire. Profitant d'un couloir qui s'était entrouvert dans le bombardement électrique dont il était la cible, Darkrai fonça en effet vers moi. Puis, comme pour me surprendre, il disparut soudainement avant de réapparaître juste derrière moi. Il mit alors ses bras spectraux sur mes épaules. Ils étaient si froids que mon sang sembla comme se figer. En un instant, je m'étais retrouvé une fois de plus à sa merci. Les orages avaient cessé. Quant au pokémon maléfique qui m'empêchait de bouger à cause de la terreur que son contact m'inspirait, il adopta son traditionnel sourire narquois avant de siffloter quelques mots dans mes oreilles.
- Tu fais moins le malin maintenant, n'est-ce pas ?
Aussitôt, il leva sa tête vers le ciel orageux et se mit à lui parler. Oui, c'est précisément cela que Darkrai fit : parler au ciel. Voilà qui ne faisait qu'achever de me convaincre que cette créature était complètement folle.
- Et toi là-haut, arrête de te cacher ! Je sais parfaitement qui tu es, alors montre-toi ! J'ai le petit avec moi, alors je te conseille de ne pas faire le malin. Qui sait ce qu'il pourrait lui arriver...
L'ironie de la Lune Noire était détestable. On ne savait jamais vraiment si ce qu'elle disait était de l'ordre de la menace ou du trait d'esprit. Pourtant, il me fallait bien avouer que ses propos ne furent pas sans conséquence sur la suite des évènements. En effet, une lumière aveuglante perça aussitôt dans l'épais voile nuageux qui gouvernait les cieux. Ce n'est qu'à ce moment-là que la vérité émergea enfin du Néant. Un nouvel éclair fondit des cieux en ma direction. Il était beaucoup plus épais, beaucoup plus puissant, et surtout beaucoup plus étincelant que les précédents.
Ce qu'il se passa ensuite fut extrêmement confus. En arrivant en contact avec cette force de lumière, je perdis en effet conscience aussitôt sous l'effet de l'électricité. J'entendis simplement un bruit derrière moi qui devait être celui de la Lune Noire, touchée de plein fouet par la foudre. Lorsque je finis par me réveiller, j'étais sur le dos d'un être qui dégageait une folle quantité d'électricité statique. Après avoir entrouvert les yeux, j'étudiai avec attention le corps de ce mystérieux sauveur. Il avait le corps d'un oiseau, avec des ailes et des griffes acérées. Pourtant, ses plumes n'étaient similaires à celles d'aucun oiseau que je connaissais. Dures comme l'acier et piquantes comme le dos de Sablaireau, elles étaient insensibles au vent. Mais il y avait plus étonnant encore. En regardant ce qu'il se passait en dessous, je fus pris d'un vertige soudain. Nous nous trouvions à plusieurs dizaines de mètres d'altitude par rapport au sommet du Siège du Consortium, qui était lui-même à plusieurs centaines de mètres de la terre ferme. Je manquai de défaillir et de toucher de ce destrier électrique qui m'avait recueilli. Heureusement, un jeune homme m'attrapa par la main afin que je retrouve l'équilibre. Je n'étais donc pas seul ! Je me retournai pour remercier ce nouveau sauveur, tout honteux d'avoir une fois de plus mis mon existence en danger. Décidément, cela commençait à devenir une habitude.
Le garçon était un aveugle vêtu tout de gris avec une écharpe bleu ciel autour du cou. Il me sourit, avant de se retourner et de prendre un pokémon que je connaissais bien dans ses mains délicates de pianiste. En regardant l'arrière du dos du volatile, je me rendis d'ailleurs très vite compte que j'étais loin d'être le seul puisque Sablaireau se trouvait également derrière le jeune aveugle. Après m'avoir tendu mon mignon petit Chamallot qui s'empressa alors de grimper sur mon épaule, il me dit amicalement quelques mots.
- J'ai cru comprendre que ce pokémon était à toi.
Je me devais de remercier une seconde fois ce brave homme. Je le fis donc.
- Merci, mais dis-moi comment sais-tu que je suis le maître de ce Chamallot ?
L'aveugle, qui ne semblait aucunement souffrir de sa cécité, se mit alors à sourire. Il répondit ensuite, sans jamais perdre sa jovialité.
- Electhor m'a appris beaucoup de choses sur toi, tu sais ?
Electhor ? Ce nom ne me disait rien. Je ne pouvais m'empêcher de poser une question pleine de naïveté à mon nouvel ami.
- C'est qui Electhor ?
Il répondit aussitôt, avant de se mettre soudainement à paniquer.
- Mais tu es sur lui ! C'est le dieu de la foudre et...Attention, il revient !
En effet, je voyais à ma gauche une silhouette familière fondre vers nous. C'était Darkrai, et j'étais sa cible. Cela ne faisait aucun doute. Avec toutes ces découvertes, j'avais presque fini par oublier jusqu'à son existence. La créature ténébreuse vociférait dans les airs.
- Misérable petit impudent de couleur jaune. Je déteste qu'on se mette entre moi et mes repas !
Il allait sans dire que c'était moi le repas. Aussitôt, le volatile que le jeune aveugle avait appelé Electhor fit une pirouette aérienne pour esquiver les multiples boules d'énergie sombre que Darkrai lui avait lancées. Les manœuvres que s'acharnait à effectuer avec virtuosité l'oiseau de l'électricité étaient d'ailleurs tellement violentes que j'avais du mal à ne pas lâcher prise. Toutefois, elles eurent au moins le mérite de m'aider à voir un peu mieux la tête de ce pilote de chasse sur lequel je siégeais. Sur le sommet de sa tête, un galegon trônait. Il semblait imperturbable, ce qui était quelque peu étonnant. En effet, du fait de son poids la gravité aurait dû le desservir. Décidément, il y avait vraiment des créatures intrigantes dans le vaste monde. Il faut croire que j'avais beaucoup de choses à apprendre sur les pokémons.
Bref : comme à son habitude, Darkrai était furieux. Lorsqu'Electhor redevint stable, il faisait face au pokémon de l'ombre. Les deux êtres s'échangèrent alors des amabilités dans une langue inconnue, que le jeune aveugle me traduisit.
- Alors en gros, la Lune Noire dit qu'Electhor n'aurait jamais dû sortir du Monde Distorsion même si cela ne le surprend pas vraiment que Noctale l'ait trahi. C'est une tapette.
Etonné d'entendre une telle grossièreté de la bouche d'une âme si noble, je me retournai soudain vers lui. Je le regardais avec des yeux globuleux, ce qui n'était pas sans le gêner quelque peu. Adoptant un sourire niais au possible, il répondit dans le même esprit que ce que son visage exprimait.
- Bah quoi, pourquoi tu me regarde comme ça ? Je ne fais que retranscrire ce que dit cette pourriture, ne le prend pas pour toi.
Il rit aussitôt de nervosité. J'étais face à un individu bizarre, vraiment bizarre. Après quelques autres échanges de mots doux, l'affrontement reprit de plus belle. Virevoltant au zénith des cieux, Electhor agitait ses ailes pour projeter des décharges électriques sur Darkrai tandis que le dévoreur d'hommes le bombardait de boules d'énergies noires comme la nuit. A un moment toutefois, grâce à un mouvement bien orchestré, Electhor réussit à surprendre son adversaire par derrière et à lui administrer un coup d'aile d'une puissance phénoménale qui le projeta violemment sur le sol du sommet de la tour du Consortium. C'était la première fois depuis le début du combat, qui l'opposait d'abord à Mewtwo puis maintenant à Electhor, que la Lune Noire avait subi des dégâts. Comme pour ne laisser aucun répit à cet être qui avait déjà prouvé à de maintes reprises sa fourberie, le pokémon oiseau effectua ensuite une attaque en piqué. Nul doute qu'il escomptait empaler Darkrai à l'aide de son bec pointu et en finir une bonne fois pour toutes. Malheureusement, le vainqueur de Mewtwo se releva bien vite et réussit à esquiver in extremis le coup d'Electhor, qui s'écrasa alors avec moult fracas sur le sol bétonné du sommet du Siège du Consortium.
Le choc fut tel que le volatile réussit à percer le béton et à transpercer plusieurs étages de la tour, non sans déranger divers miliciens qui furent réveillés dans leur sieste. Lorsqu'Electhor arrêta enfin de jouer à la perceuse électrique, il faisait face à un soldat en caleçon qui s'exclama de terreur.
- Ah ! Qu'est-ce que c'est que ce truc ! Maman, je démissionne !
Il s'enfuit aussitôt, mais le dieu de la foudre n'en avait cure. Après avoir endommagé accidentellement le bâtiment, il remonta sur le sommet et atterrit avec fracas sur le sol encore intact. Un trou béant le séparait de Darkrai, qui feintait d'être abasourdi. Il fit semblant de s'indigner, mais c'était bien trop théâtral pour être crédible. En réalité, une fois de plus il se fichait de nous. Voir des gens mourir, cela semblait l'amuser au plus haut point. Je retrouvais bien là tout le sadisme qu'il avait déjà fait preuve lorsqu'il se cachait encore dans le corps de Sardonis.
- Non regarde ce que tu as fait, sombre idiot ! Ça se prétend protecteur des hommes, et ce n'est même pas foutu de respecter les maisons des gens ? Ceci dit, en y réfléchissant j'espère que tu en as tué quelques-uns. Ces fumistes commençaient à me taper sur le système. Mais revenons à nos moutons ! Nous n'en sommes encore qu'au début.
Mais tandis qu'Electhor s'attendait à une nouvelle et chargeait son énergie électrique au point d'en laisser échapper des mégawatts entiers autour de lui, Darkrai se contenta de se téléporter tout près du corps gisant de Mewtwo. Le dieu de la foudre fronça les yeux, avant de s'adresser à la Lune Noire sur un ton menaçant. Cette fois, il le faisait dans la langue des hommes. C'était la première fois qu'il le faisait, en tout cas la première fois depuis mon sauvetage. Pour le passé, le garçon aveugle en savait peut-être plus.
- Qu'essayes-tu de faire, Darkrai ?
En entendant la question de son ennemi, la Lune Noire éclata de rire. C'était encore un de ces rires maléfiques, puants de perversité. Puis, il répondit ironiquement à Electhor.
- Ne te montre pas plus stupide que tu ne l'es. Tu sais parfaitement ce que je vais faire.
Un nouveau rire démoniaque s'ensuivit. Le volatile étincelant n'avait pas vraiment apprécié cette réponse, et c'était un euphémisme de le dire. Sa colère grandissait. A présent, de dangereuses ondes électriques se propageaient dans tout le champ de bataille. Il reprit la parole avec un ton encore plus menaçant que précédemment.
- N'essaie même pas !
Darkrai éclata une nouvelle fois de rire. Décidément, cela devenait agaçant à la fin. Quant à sa réponse, il fut tout aussi ironique et moqueuse que la précédente.
- Je vais me gêner. Allons, cela va rendre notre petite joute encore plus divertissante. Après tout, puisque tu as retrouvé la lumière du soleil il serait dommage de ne pas fêter ça par un beau feu d'artifice.
Que voulait-il dire par feu d'artifice ? En tout cas, subitement et sans laisser le temps à Electhor de réagir, Darkrai se transforma en onde gazeuse et se mit à entourer le corps du mutant mauve avant de pénétrer dans ses narines. Darkrai, tout du moins son corps physique, avait disparu. Un silence glaçant s'installa ensuite pendant plusieurs secondes, avant que les yeux de Mewtwo ne s'ouvrent de nouveau et que son corps ne se remette à bouger. Lorsque finalement il se releva, ses yeux étaient devenus écarlates. Quant à son apparence, elle était légèrement différente de celle du Mewtwo que je connaissais. En effet, un tatouage noir en forme de V était apparu progressivement. Surtout, un signe étrange sur le front du pokémon psychique interpella le garçon aveugle. Trois V rouges y figuraient. Pris de terreur, il s'exclama.
- Trois V rouges...Non ça ne peut pas être ça !
Quant à moi, naïvement, je m'adressai directement au Mewtwo ressuscité.
- M...Mewtwo c'est bien toi ?
Il me fixa quelques instants, avant d'éclater de rire. Il me répondit ensuite.
- Tu es vraiment sans espoir, mon petit Denaro. Tu n'as toujours rien compris ? Je t'aurais bien fait un cours, mais de toute façon ça ne servirait à rien. Bah oui, puisque tu vas mourir...maintenant !
Sans avoir à concentrer son énergie, le nouveau Mewtwo qui était de toute évidence possédé par la Lune Noire, déclencha une déflagration noire et mauve de la taille du rayon d'explosion d'une bombe atomique. Electhor, vif comme l'éclair, n'eut qu'à peine le temps de s'envoler au loin pour être hors de portée de ce nouveau coup fourré que Darkrai avait prévu pour nous. Le choc de l'attaque fut d'une violence inimaganible. En plus d'achever de détruire ce qu'il restait du sommet du Siège du Consortium, l'onde de choc détruisit également sur plus de cinquante mètres une des façades de la tour. Des tonnes d'obsidienne déferlèrent sur d'innocentes maisons qui se trouvaient tout en bas, ne laissant rien subsister. Le mutant corrompu par les ténèbres éclata alors de rire, comme satisfait par l'acte criminel qu'il venait d'accomplir. Nous n'en étions encore qu'au début. Avant de nous vociférer dessus, il s'envola dans les cieux afin de se mettre à la même hauteur qu'Electhor.
- Regardez comme c'est amusant. Vous ne voulez pas venir ? Je saurais vous y contraindre.
Aussitôt, il joignit ses mains au-dessus de sa tête avant de charger une immense boule d'énergie. Elle semblait être un mélange d'énergie psychique et ténébreuse dans la mesure où elle n'était pas d'une couleur uniforme. Deux couleurs se mélangeaient en effet, et ce dans des proportions à peu près égales. La première était un mauve très vif qui rappelait inconstestablement les pouvoirs psychiques de Mewtwo. La première était noire comme l'ébène : cela devait être le pouvoir corrupteur de la Lune Noire. La sphère nous inspirait à tous une terreur non dissimulée. Electhor était aux aguets, mais encore une fois son adversaire le feinta. Au lieu de la projeter sur lui, ce fou la projeta sur une autre cible : la tour du Consortium elle-même. Le choc fut encore plus intense que celui causé par la première attaque de cet hybride entre Mewtwo et Darkrai. Cette fois, la tour fut touchée dans ses fondations et commençait à s'effondrer sur l'artère principale de Doublonville.
Une ombre immense commença alors à recouvrir la plus grande ville de Johto. Une tour de plusieurs centaines de mètres, avec à l'intérieur une centrale thermique et probablement des explosifs, allait bientôt entrer en contact avec des millions de vies innocentes. Même à plusieurs centaines de mètres d'altitude, nous observions en temps réel la panique des habitants. Les citadins sortaient de leur maison. Les voitures rebroussaient chemin pour fuir le plus loin possible, tout en s'encastrant bien souvent dans des camions qui avaient le même objectif. D'une minute à l'autre, Doublonville allait être rayée de la carte. Nous observions les conséquences de l'horreur incarnée qu'était la Lune Noire avec horreur. En particulier, le garçon aveugle en souffrait plus que les autres. Des larmes perlaient de ses yeux. Il apostropha avec colère Electhor.
- Tu dois faire quelque chose ! On ne peut pas le laisser faire ça.
Mais le dieu de la foudre restait stoïque. C'était tout le contraire du mutant, qui hurlait de démence.
- J'ai attendu ce jour depuis si longtemps, Electhor. Depuis ce funeste jour où vous m'avez banni. Regarde, Electhor. Regarde tes petits protégés mourir. Tu aimerais les sauver, n'est-ce pas ? Tu aimerais empêcher le destin. Mais tu sais que tu ne le peux pas, car si tu empêches la tour de s'écrouler je te tuerais. Ce n'est qu'un avant-goût de ma vengeance implacable, mais en attendant tu as le choix mon cher dieu de la foudre. Que feras-tu ? Mourir pour tes idéaux ou regarder le monde agoniser ?
Chaque mot, chaque syllabe de ce véritable génie du mal agissait comme un venin. Paradoxalement pourtant, cela ne faisait qu'accroître la colère d'Electhor. Sa concentration électrique ne faisait que se renforcer. Soudain, il releva la tête et se mit à hurler de rage. Une véritable sphère d'électricité nous entourait à présent. Elle ne faisait que grossir, jusqu'à ce que le point de non-retour soit atteint. Dans un hurlement encore plus fort que les précédents, l'oiseau étincelant projeta plusieurs millions de volts dans toutes les directions, y compris celle du Mewtwo corrompu.
En voyant ce déchainement soudain de la fureur d'Electhor, Mewtwo répliqua aussitôt par une nouvelle onde de choc psychoténébreuse [1]. Lorsque les deux déflagrations arrivèrent au contact, elles firent tout d'abord jeu égal. Les deux pokémons ne faisaient que se fixer tout en serant les dents ou, pour le cas du maître incontesté de l'électricité, le bec. Régulièrement, ils augmentaient la puissance de l'énergie qu'ils libéraient l'un vers l'autre. Et plus cette puissance augmentait, plus le rapport de force entre les deux ondes de choc devenait instable. Tantôt, Electhor semblait prendre l'avantage. Tantôt, c'était l'inverse. Nous avions, à chaque instant, la peur d'être annihilés. Mais la Lune Noire semblait commencer à faiblir, même si elle refusait de l'admettre. A un moment, elle s'adressa à notre protecteur.
- Je vois...que tu n'as rien perdu de tes...talents, Electhor. Mais c'est...trop tard.
Finalement, après un dernier soubresaut en notre défaveur, le dieu de la foudre eut le dernier mot. Dans une dernière augmentation d'énergie que le mutant mauve et noir fut incapable de soutenir, il balaya l'onde de choc de son adversaire et son attaque le toucha de plein fouet. Sous la puissance inimaginable du coup qu'il venait d'encaisser, la Lune Noire fut projetée dans l'horizon. Elle avait disparue. Nous l'avions emporté.
Mais c'était trop tard. A cet instant précis, la tour du Consortium s'effondra définitivement sur la grand-rue de Doublonville. Les derniers piliers qui soutenaient encore l'édifice se brisèrent finalement. Au contact avec le sol, un séisme phénoménal se propagea dans toute la ville. Les routes se délitèrent. Les arbres furent arrachés. Les maisons, en briques comme en béton, furent aussitôt détruites en ne laissant subsister que les fondations. Mais le pire restait encore à venir. Très rapidement après le déclenchement du séisme, la tour implosa littéralement. Le métal en fusion de la centrale thermique venait d'entrer en contact avec les fameux explosifs. Je craignais leur existence. Elle était maintenant attestée. Dans un nuage de fumée rouge et jaune, l'explosion se propagea à toute la cité. Elle était déjà ravagée.
Maintenant, elle venait d'être rayée de la carte. Les rares bâtiments qui avaient pu résister au séisme n'avaient pas résisté à cette véritable atomisation qui venait de se dérouler sous nos yeux. Je fondis en larmes, traumatisé par ce spectacle de fin du monde. En un instant, par la folie criminelle d'un psychopathe, la plus grande ville du monde connu avait été anéantie. Les derniers recensements démographiques que j'avais lu, lorsque je servais encore ce maudit Consortium, parlaient de près de dix-huit millions d'habitants. Y avait-il ne serait-ce que dix survivants ? Rien n'était moins sûr.
Si j'étais anéanti, le jeune aveugle l'était encore plus. Dans sa souffrance, il hurlait de rage tout en prenant le dieu de la foudre à témoin.
- Electhor, pourquoi ne poursuis-tu pas ce monstre après tout ce qu'il a fait ? Il doit payer pour ses crimes !
Le volatile, qui avait difficilement réussi à vaincre la Lune Noire et semblait éreinté, ne répondit pas tout de suite. Il avait baissé d'altitude, désireux d'évaluer de plus près les dégâts. La situation était encore plus horrible de près que de loin. L'odeur était épouvantable. Cela ressemblait à un mélange d'essence, de soufre et de cadavres calcinés. Cette puanteur était tellement insoutenable que nous nous étions tous bouchés le nez, humains comme pokémons. Seul Electhor ne semblait ne pas en être affecté. Quant à la tour du Consortium, ses débris s'étalaient sur toute la longueur de la grand-rue. Des étages entiers avaient été séparés de la structure du bâtiment. Certains étaient à même le sol, d'autres avaient atterri sur ce qui était jadis des hôtels ou des magasins. Mais partout, les cadavres pourrissaient dans la fumée encore chaude dégagée par la combustion soudaine qui avait causé leur décès soudain. Toutes ces horreurs, un seul être en était le responsable. Mais le dieu de la foudre s'entêtait à ne pas vouloir répondre. Le garçon aveugle le supplia une nouvelle fois.
- Mais pourquoi gardes-tu le silence ? Tu t'en fiche de tous ces pauvres gens qui n'ont rien demandé ? Ils voulaient juste vivre leur vie, et ce fou a débarqué. Il a fait entrer dans leurs têtes des idées fausses sur les pokémons et sur l'avenir. Même Rudolph Estenia n'était pas aussi fou que lui. Je l'ai vu dans son journal.
Oui, c'était un dément assoiffé de pouvoir lui aussi. Mais même dans son esprit malade, avec le recul j'ai réalisé qu'il avait servi le Bien. Il me l'a dit lui-même : il a voulu ressusciter Mewtwo parce qu'il pensait que c'était le seul à même de vaincre la Lune Noire. Et pourtant, malgré tout le secret qu'il a entretenu sur son double jeu, même ce génie malade a fini par être trahi. J'ignore par qui, mais je suis convaincu que ce traître est lié d'une manière ou d'une autre avec Darkrai. Combien d'autres victimes te faudra-t-il pour te décider à parler, Electhor ? N'es-tu pas chargé de rendre la justice ?
La mention de Rudolph Estenia sembla soudainement faire l'effet d'un déclic pour Electhor. Cela se voyait dans ses yeux. Brusquement, ils perdirent cette attitude triste que le volatile avait adoptée au cours de notre exploration aérienne de ce qu'il restait de Doublonville. A la place, ses globes oculaires renouèrent avec cette détermination combattive si caractéristique du dieu de la foudre que je commençais maintenant à connaître. Il parlait peu mais agissait beaucoup. Cette fois-ci néanmoins, sous l'insistance de ce garçon qui connaissait si bien l'ancien Directeur Scientifique du Consortium, Electhor accepta de répondre.
- Nous ne sommes pas capable de vaincre la Lune Noire. Même Arceus n'est jamais parvenu à triompher de lui totalement. Il a simplement réussi à le bannir temporairement, et c'était à une époque où il se souciait encore de l'univers qu'il avait conçu. Aujourd'hui, corrompu par l'indifférence qu'ont instillée en lui des siècles d'inaction, il ne nous est plus d'aucun secours.
En revanche, Rudolph Estenia en sait peut-être plus qu'il ne t'en a dit, Prophète. Lui...ou ce qu'il a laissé derrière lui nous aidera peut-être à trouver le point faible de cet être qui a prouvé aujourd'hui encore toute sa malfaisance.
Mais dans tous les cas, nous ne sommes pas assez puissants. Nous devons trouver...quelqu'un d'autre. Quelqu'un d'autre qui puisse nous aider dans ce combat décisif qui nous attend. Pour le moment, nous avons un peu de temps devant nous. Les dégâts que notre auguste puissance lui ont infligés l'ont affaibli. Il lui faudra du temps avant de retrouver sa pleine puissance. Et lorsque le jour de son retour sera venu...nous devrons être prêts.
C'est sur ces mots pleins de sagesse que le silence de la mort reprit ses droits sur Doublonville et que nous partîmes vers l'est. Certaines victoires ont le goût de la défaite. Un monde finissait. Les dernières fumerolles s'éteignaient à présent. Quant à la Lune, elle se levait sur le crépuscule de Johto. Cette fois-ci, elle était blanche. Elle était blanche pour la première fois depuis longtemps. Mais jusqu'à quand ?
« Modifié: 25 décembre 2013, 14:26 par Tyranocif Rex »
Chapitre XXIX - Le secret de Sardonis
Spoiler
3 Mai - 4 AM
Narrateur : Denaro Wolf
Narrateur : Denaro Wolf
Je n'avais jamais vu la mort d'aussi près. Mewtwo ne pouvait plus m'être d'aucun secours. Si ce puissant pokémon avait échoué à vaincre ces créatures, qui pourrait en être capable ? En cet instant, j'avais accepté un trépas qui semblait inéluctable. Je fermai donc les yeux. Soudain, une détonation se fit entendre juste devant moi. Pris de surprise, j'ouvris de nouveau mes globes oculaires. Quelle ne fut alors ma surprise de voir des éclairs jaillir du ciel et vaporiser avec une précision chirurgicale mes assaillants. Je venais de m'apercevoir que le ciel s'était subitement recouvert de nuages noirs, symptôme de cet orage violent qui se déchainait à présent. A chaque choc avec les esclaves de la Lune Noire, plusieurs d'entre eux disparaissaient dans un cri strident. La puissance de ces éclairs était incommensurable. Mais ce qui m'étonnait le plus, c'était qu'ils ne semblaient viser que mes adversaires. La foudre ne tombait en effet qu'autour de moi, non sans que je manque à plusieurs reprises de finir rôti comme un magicarpe. En l'espace de quelques secondes, les milliers de Xort'Udur qui s'apprêtaient à m'anéantir tantôt avaient tous été désintégrés.
Etonné, je l'étais assurément. Qui ne le serait pas ? Mais Darkrai l'était plus encore. Devant ce spectrocide dont il venait d'être témoin, il se mouvait dans tous les sens tout en hurlant des insanités dans je ne sais quel volapuk. Lorsqu'il redevint enfin immobile, les décharges électriques venues des cieux reprirent de plus belle. Cette fois, elles le visaient. A chaque fois, elles le manquaient de peu. Pour survivre à son mystérieux agresseur, le pokémon ténébreux s'était mis à slalomer entre les éclairs à la manière d'un cycliste. Cela n'était pas sans avoir quelque aspect comique. J'avais toutes les difficultés du monde pour ne pas rire aux éclats. Mon hilarité, tout comme celle des deux pokémons qui m'accompagnaient, finit d'ailleurs par prendre le dessus. Voyant cela, l'être d'ombre s'énerva encore davantage.
Ce qu'il se produisit ensuite me fit nettement moins rire. Profitant d'un couloir qui s'était entrouvert dans le bombardement électrique dont il était la cible, Darkrai fonça en effet vers moi. Puis, comme pour me surprendre, il disparut soudainement avant de réapparaître juste derrière moi. Il mit alors ses bras spectraux sur mes épaules. Ils étaient si froids que mon sang sembla comme se figer. En un instant, je m'étais retrouvé une fois de plus à sa merci. Les orages avaient cessé. Quant au pokémon maléfique qui m'empêchait de bouger à cause de la terreur que son contact m'inspirait, il adopta son traditionnel sourire narquois avant de siffloter quelques mots dans mes oreilles.
- Tu fais moins le malin maintenant, n'est-ce pas ?
Aussitôt, il leva sa tête vers le ciel orageux et se mit à lui parler. Oui, c'est précisément cela que Darkrai fit : parler au ciel. Voilà qui ne faisait qu'achever de me convaincre que cette créature était complètement folle.
- Et toi là-haut, arrête de te cacher ! Je sais parfaitement qui tu es, alors montre-toi ! J'ai le petit avec moi, alors je te conseille de ne pas faire le malin. Qui sait ce qu'il pourrait lui arriver...
L'ironie de la Lune Noire était détestable. On ne savait jamais vraiment si ce qu'elle disait était de l'ordre de la menace ou du trait d'esprit. Pourtant, il me fallait bien avouer que ses propos ne furent pas sans conséquence sur la suite des évènements. En effet, une lumière aveuglante perça aussitôt dans l'épais voile nuageux qui gouvernait les cieux. Ce n'est qu'à ce moment-là que la vérité émergea enfin du Néant. Un nouvel éclair fondit des cieux en ma direction. Il était beaucoup plus épais, beaucoup plus puissant, et surtout beaucoup plus étincelant que les précédents.
Ce qu'il se passa ensuite fut extrêmement confus. En arrivant en contact avec cette force de lumière, je perdis en effet conscience aussitôt sous l'effet de l'électricité. J'entendis simplement un bruit derrière moi qui devait être celui de la Lune Noire, touchée de plein fouet par la foudre. Lorsque je finis par me réveiller, j'étais sur le dos d'un être qui dégageait une folle quantité d'électricité statique. Après avoir entrouvert les yeux, j'étudiai avec attention le corps de ce mystérieux sauveur. Il avait le corps d'un oiseau, avec des ailes et des griffes acérées. Pourtant, ses plumes n'étaient similaires à celles d'aucun oiseau que je connaissais. Dures comme l'acier et piquantes comme le dos de Sablaireau, elles étaient insensibles au vent. Mais il y avait plus étonnant encore. En regardant ce qu'il se passait en dessous, je fus pris d'un vertige soudain. Nous nous trouvions à plusieurs dizaines de mètres d'altitude par rapport au sommet du Siège du Consortium, qui était lui-même à plusieurs centaines de mètres de la terre ferme. Je manquai de défaillir et de toucher de ce destrier électrique qui m'avait recueilli. Heureusement, un jeune homme m'attrapa par la main afin que je retrouve l'équilibre. Je n'étais donc pas seul ! Je me retournai pour remercier ce nouveau sauveur, tout honteux d'avoir une fois de plus mis mon existence en danger. Décidément, cela commençait à devenir une habitude.
Le garçon était un aveugle vêtu tout de gris avec une écharpe bleu ciel autour du cou. Il me sourit, avant de se retourner et de prendre un pokémon que je connaissais bien dans ses mains délicates de pianiste. En regardant l'arrière du dos du volatile, je me rendis d'ailleurs très vite compte que j'étais loin d'être le seul puisque Sablaireau se trouvait également derrière le jeune aveugle. Après m'avoir tendu mon mignon petit Chamallot qui s'empressa alors de grimper sur mon épaule, il me dit amicalement quelques mots.
- J'ai cru comprendre que ce pokémon était à toi.
Je me devais de remercier une seconde fois ce brave homme. Je le fis donc.
- Merci, mais dis-moi comment sais-tu que je suis le maître de ce Chamallot ?
L'aveugle, qui ne semblait aucunement souffrir de sa cécité, se mit alors à sourire. Il répondit ensuite, sans jamais perdre sa jovialité.
- Electhor m'a appris beaucoup de choses sur toi, tu sais ?
Electhor ? Ce nom ne me disait rien. Je ne pouvais m'empêcher de poser une question pleine de naïveté à mon nouvel ami.
- C'est qui Electhor ?
Il répondit aussitôt, avant de se mettre soudainement à paniquer.
- Mais tu es sur lui ! C'est le dieu de la foudre et...Attention, il revient !
En effet, je voyais à ma gauche une silhouette familière fondre vers nous. C'était Darkrai, et j'étais sa cible. Cela ne faisait aucun doute. Avec toutes ces découvertes, j'avais presque fini par oublier jusqu'à son existence. La créature ténébreuse vociférait dans les airs.
- Misérable petit impudent de couleur jaune. Je déteste qu'on se mette entre moi et mes repas !
Il allait sans dire que c'était moi le repas. Aussitôt, le volatile que le jeune aveugle avait appelé Electhor fit une pirouette aérienne pour esquiver les multiples boules d'énergie sombre que Darkrai lui avait lancées. Les manœuvres que s'acharnait à effectuer avec virtuosité l'oiseau de l'électricité étaient d'ailleurs tellement violentes que j'avais du mal à ne pas lâcher prise. Toutefois, elles eurent au moins le mérite de m'aider à voir un peu mieux la tête de ce pilote de chasse sur lequel je siégeais. Sur le sommet de sa tête, un galegon trônait. Il semblait imperturbable, ce qui était quelque peu étonnant. En effet, du fait de son poids la gravité aurait dû le desservir. Décidément, il y avait vraiment des créatures intrigantes dans le vaste monde. Il faut croire que j'avais beaucoup de choses à apprendre sur les pokémons.
Bref : comme à son habitude, Darkrai était furieux. Lorsqu'Electhor redevint stable, il faisait face au pokémon de l'ombre. Les deux êtres s'échangèrent alors des amabilités dans une langue inconnue, que le jeune aveugle me traduisit.
- Alors en gros, la Lune Noire dit qu'Electhor n'aurait jamais dû sortir du Monde Distorsion même si cela ne le surprend pas vraiment que Noctale l'ait trahi. C'est une tapette.
Etonné d'entendre une telle grossièreté de la bouche d'une âme si noble, je me retournai soudain vers lui. Je le regardais avec des yeux globuleux, ce qui n'était pas sans le gêner quelque peu. Adoptant un sourire niais au possible, il répondit dans le même esprit que ce que son visage exprimait.
- Bah quoi, pourquoi tu me regarde comme ça ? Je ne fais que retranscrire ce que dit cette pourriture, ne le prend pas pour toi.
Il rit aussitôt de nervosité. J'étais face à un individu bizarre, vraiment bizarre. Après quelques autres échanges de mots doux, l'affrontement reprit de plus belle. Virevoltant au zénith des cieux, Electhor agitait ses ailes pour projeter des décharges électriques sur Darkrai tandis que le dévoreur d'hommes le bombardait de boules d'énergies noires comme la nuit. A un moment toutefois, grâce à un mouvement bien orchestré, Electhor réussit à surprendre son adversaire par derrière et à lui administrer un coup d'aile d'une puissance phénoménale qui le projeta violemment sur le sol du sommet de la tour du Consortium. C'était la première fois depuis le début du combat, qui l'opposait d'abord à Mewtwo puis maintenant à Electhor, que la Lune Noire avait subi des dégâts. Comme pour ne laisser aucun répit à cet être qui avait déjà prouvé à de maintes reprises sa fourberie, le pokémon oiseau effectua ensuite une attaque en piqué. Nul doute qu'il escomptait empaler Darkrai à l'aide de son bec pointu et en finir une bonne fois pour toutes. Malheureusement, le vainqueur de Mewtwo se releva bien vite et réussit à esquiver in extremis le coup d'Electhor, qui s'écrasa alors avec moult fracas sur le sol bétonné du sommet du Siège du Consortium.
Le choc fut tel que le volatile réussit à percer le béton et à transpercer plusieurs étages de la tour, non sans déranger divers miliciens qui furent réveillés dans leur sieste. Lorsqu'Electhor arrêta enfin de jouer à la perceuse électrique, il faisait face à un soldat en caleçon qui s'exclama de terreur.
- Ah ! Qu'est-ce que c'est que ce truc ! Maman, je démissionne !
Il s'enfuit aussitôt, mais le dieu de la foudre n'en avait cure. Après avoir endommagé accidentellement le bâtiment, il remonta sur le sommet et atterrit avec fracas sur le sol encore intact. Un trou béant le séparait de Darkrai, qui feintait d'être abasourdi. Il fit semblant de s'indigner, mais c'était bien trop théâtral pour être crédible. En réalité, une fois de plus il se fichait de nous. Voir des gens mourir, cela semblait l'amuser au plus haut point. Je retrouvais bien là tout le sadisme qu'il avait déjà fait preuve lorsqu'il se cachait encore dans le corps de Sardonis.
- Non regarde ce que tu as fait, sombre idiot ! Ça se prétend protecteur des hommes, et ce n'est même pas foutu de respecter les maisons des gens ? Ceci dit, en y réfléchissant j'espère que tu en as tué quelques-uns. Ces fumistes commençaient à me taper sur le système. Mais revenons à nos moutons ! Nous n'en sommes encore qu'au début.
Mais tandis qu'Electhor s'attendait à une nouvelle et chargeait son énergie électrique au point d'en laisser échapper des mégawatts entiers autour de lui, Darkrai se contenta de se téléporter tout près du corps gisant de Mewtwo. Le dieu de la foudre fronça les yeux, avant de s'adresser à la Lune Noire sur un ton menaçant. Cette fois, il le faisait dans la langue des hommes. C'était la première fois qu'il le faisait, en tout cas la première fois depuis mon sauvetage. Pour le passé, le garçon aveugle en savait peut-être plus.
- Qu'essayes-tu de faire, Darkrai ?
En entendant la question de son ennemi, la Lune Noire éclata de rire. C'était encore un de ces rires maléfiques, puants de perversité. Puis, il répondit ironiquement à Electhor.
- Ne te montre pas plus stupide que tu ne l'es. Tu sais parfaitement ce que je vais faire.
Un nouveau rire démoniaque s'ensuivit. Le volatile étincelant n'avait pas vraiment apprécié cette réponse, et c'était un euphémisme de le dire. Sa colère grandissait. A présent, de dangereuses ondes électriques se propageaient dans tout le champ de bataille. Il reprit la parole avec un ton encore plus menaçant que précédemment.
- N'essaie même pas !
Darkrai éclata une nouvelle fois de rire. Décidément, cela devenait agaçant à la fin. Quant à sa réponse, il fut tout aussi ironique et moqueuse que la précédente.
- Je vais me gêner. Allons, cela va rendre notre petite joute encore plus divertissante. Après tout, puisque tu as retrouvé la lumière du soleil il serait dommage de ne pas fêter ça par un beau feu d'artifice.
Que voulait-il dire par feu d'artifice ? En tout cas, subitement et sans laisser le temps à Electhor de réagir, Darkrai se transforma en onde gazeuse et se mit à entourer le corps du mutant mauve avant de pénétrer dans ses narines. Darkrai, tout du moins son corps physique, avait disparu. Un silence glaçant s'installa ensuite pendant plusieurs secondes, avant que les yeux de Mewtwo ne s'ouvrent de nouveau et que son corps ne se remette à bouger. Lorsque finalement il se releva, ses yeux étaient devenus écarlates. Quant à son apparence, elle était légèrement différente de celle du Mewtwo que je connaissais. En effet, un tatouage noir en forme de V était apparu progressivement. Surtout, un signe étrange sur le front du pokémon psychique interpella le garçon aveugle. Trois V rouges y figuraient. Pris de terreur, il s'exclama.
- Trois V rouges...Non ça ne peut pas être ça !
Quant à moi, naïvement, je m'adressai directement au Mewtwo ressuscité.
- M...Mewtwo c'est bien toi ?
Il me fixa quelques instants, avant d'éclater de rire. Il me répondit ensuite.
- Tu es vraiment sans espoir, mon petit Denaro. Tu n'as toujours rien compris ? Je t'aurais bien fait un cours, mais de toute façon ça ne servirait à rien. Bah oui, puisque tu vas mourir...maintenant !
Sans avoir à concentrer son énergie, le nouveau Mewtwo qui était de toute évidence possédé par la Lune Noire, déclencha une déflagration noire et mauve de la taille du rayon d'explosion d'une bombe atomique. Electhor, vif comme l'éclair, n'eut qu'à peine le temps de s'envoler au loin pour être hors de portée de ce nouveau coup fourré que Darkrai avait prévu pour nous. Le choc de l'attaque fut d'une violence inimaganible. En plus d'achever de détruire ce qu'il restait du sommet du Siège du Consortium, l'onde de choc détruisit également sur plus de cinquante mètres une des façades de la tour. Des tonnes d'obsidienne déferlèrent sur d'innocentes maisons qui se trouvaient tout en bas, ne laissant rien subsister. Le mutant corrompu par les ténèbres éclata alors de rire, comme satisfait par l'acte criminel qu'il venait d'accomplir. Nous n'en étions encore qu'au début. Avant de nous vociférer dessus, il s'envola dans les cieux afin de se mettre à la même hauteur qu'Electhor.
- Regardez comme c'est amusant. Vous ne voulez pas venir ? Je saurais vous y contraindre.
Aussitôt, il joignit ses mains au-dessus de sa tête avant de charger une immense boule d'énergie. Elle semblait être un mélange d'énergie psychique et ténébreuse dans la mesure où elle n'était pas d'une couleur uniforme. Deux couleurs se mélangeaient en effet, et ce dans des proportions à peu près égales. La première était un mauve très vif qui rappelait inconstestablement les pouvoirs psychiques de Mewtwo. La première était noire comme l'ébène : cela devait être le pouvoir corrupteur de la Lune Noire. La sphère nous inspirait à tous une terreur non dissimulée. Electhor était aux aguets, mais encore une fois son adversaire le feinta. Au lieu de la projeter sur lui, ce fou la projeta sur une autre cible : la tour du Consortium elle-même. Le choc fut encore plus intense que celui causé par la première attaque de cet hybride entre Mewtwo et Darkrai. Cette fois, la tour fut touchée dans ses fondations et commençait à s'effondrer sur l'artère principale de Doublonville.
Une ombre immense commença alors à recouvrir la plus grande ville de Johto. Une tour de plusieurs centaines de mètres, avec à l'intérieur une centrale thermique et probablement des explosifs, allait bientôt entrer en contact avec des millions de vies innocentes. Même à plusieurs centaines de mètres d'altitude, nous observions en temps réel la panique des habitants. Les citadins sortaient de leur maison. Les voitures rebroussaient chemin pour fuir le plus loin possible, tout en s'encastrant bien souvent dans des camions qui avaient le même objectif. D'une minute à l'autre, Doublonville allait être rayée de la carte. Nous observions les conséquences de l'horreur incarnée qu'était la Lune Noire avec horreur. En particulier, le garçon aveugle en souffrait plus que les autres. Des larmes perlaient de ses yeux. Il apostropha avec colère Electhor.
- Tu dois faire quelque chose ! On ne peut pas le laisser faire ça.
Mais le dieu de la foudre restait stoïque. C'était tout le contraire du mutant, qui hurlait de démence.
- J'ai attendu ce jour depuis si longtemps, Electhor. Depuis ce funeste jour où vous m'avez banni. Regarde, Electhor. Regarde tes petits protégés mourir. Tu aimerais les sauver, n'est-ce pas ? Tu aimerais empêcher le destin. Mais tu sais que tu ne le peux pas, car si tu empêches la tour de s'écrouler je te tuerais. Ce n'est qu'un avant-goût de ma vengeance implacable, mais en attendant tu as le choix mon cher dieu de la foudre. Que feras-tu ? Mourir pour tes idéaux ou regarder le monde agoniser ?
Chaque mot, chaque syllabe de ce véritable génie du mal agissait comme un venin. Paradoxalement pourtant, cela ne faisait qu'accroître la colère d'Electhor. Sa concentration électrique ne faisait que se renforcer. Soudain, il releva la tête et se mit à hurler de rage. Une véritable sphère d'électricité nous entourait à présent. Elle ne faisait que grossir, jusqu'à ce que le point de non-retour soit atteint. Dans un hurlement encore plus fort que les précédents, l'oiseau étincelant projeta plusieurs millions de volts dans toutes les directions, y compris celle du Mewtwo corrompu.
En voyant ce déchainement soudain de la fureur d'Electhor, Mewtwo répliqua aussitôt par une nouvelle onde de choc psychoténébreuse [1]. Lorsque les deux déflagrations arrivèrent au contact, elles firent tout d'abord jeu égal. Les deux pokémons ne faisaient que se fixer tout en serant les dents ou, pour le cas du maître incontesté de l'électricité, le bec. Régulièrement, ils augmentaient la puissance de l'énergie qu'ils libéraient l'un vers l'autre. Et plus cette puissance augmentait, plus le rapport de force entre les deux ondes de choc devenait instable. Tantôt, Electhor semblait prendre l'avantage. Tantôt, c'était l'inverse. Nous avions, à chaque instant, la peur d'être annihilés. Mais la Lune Noire semblait commencer à faiblir, même si elle refusait de l'admettre. A un moment, elle s'adressa à notre protecteur.
- Je vois...que tu n'as rien perdu de tes...talents, Electhor. Mais c'est...trop tard.
Finalement, après un dernier soubresaut en notre défaveur, le dieu de la foudre eut le dernier mot. Dans une dernière augmentation d'énergie que le mutant mauve et noir fut incapable de soutenir, il balaya l'onde de choc de son adversaire et son attaque le toucha de plein fouet. Sous la puissance inimaginable du coup qu'il venait d'encaisser, la Lune Noire fut projetée dans l'horizon. Elle avait disparue. Nous l'avions emporté.
Mais c'était trop tard. A cet instant précis, la tour du Consortium s'effondra définitivement sur la grand-rue de Doublonville. Les derniers piliers qui soutenaient encore l'édifice se brisèrent finalement. Au contact avec le sol, un séisme phénoménal se propagea dans toute la ville. Les routes se délitèrent. Les arbres furent arrachés. Les maisons, en briques comme en béton, furent aussitôt détruites en ne laissant subsister que les fondations. Mais le pire restait encore à venir. Très rapidement après le déclenchement du séisme, la tour implosa littéralement. Le métal en fusion de la centrale thermique venait d'entrer en contact avec les fameux explosifs. Je craignais leur existence. Elle était maintenant attestée. Dans un nuage de fumée rouge et jaune, l'explosion se propagea à toute la cité. Elle était déjà ravagée.
Maintenant, elle venait d'être rayée de la carte. Les rares bâtiments qui avaient pu résister au séisme n'avaient pas résisté à cette véritable atomisation qui venait de se dérouler sous nos yeux. Je fondis en larmes, traumatisé par ce spectacle de fin du monde. En un instant, par la folie criminelle d'un psychopathe, la plus grande ville du monde connu avait été anéantie. Les derniers recensements démographiques que j'avais lu, lorsque je servais encore ce maudit Consortium, parlaient de près de dix-huit millions d'habitants. Y avait-il ne serait-ce que dix survivants ? Rien n'était moins sûr.
Si j'étais anéanti, le jeune aveugle l'était encore plus. Dans sa souffrance, il hurlait de rage tout en prenant le dieu de la foudre à témoin.
- Electhor, pourquoi ne poursuis-tu pas ce monstre après tout ce qu'il a fait ? Il doit payer pour ses crimes !
Le volatile, qui avait difficilement réussi à vaincre la Lune Noire et semblait éreinté, ne répondit pas tout de suite. Il avait baissé d'altitude, désireux d'évaluer de plus près les dégâts. La situation était encore plus horrible de près que de loin. L'odeur était épouvantable. Cela ressemblait à un mélange d'essence, de soufre et de cadavres calcinés. Cette puanteur était tellement insoutenable que nous nous étions tous bouchés le nez, humains comme pokémons. Seul Electhor ne semblait ne pas en être affecté. Quant à la tour du Consortium, ses débris s'étalaient sur toute la longueur de la grand-rue. Des étages entiers avaient été séparés de la structure du bâtiment. Certains étaient à même le sol, d'autres avaient atterri sur ce qui était jadis des hôtels ou des magasins. Mais partout, les cadavres pourrissaient dans la fumée encore chaude dégagée par la combustion soudaine qui avait causé leur décès soudain. Toutes ces horreurs, un seul être en était le responsable. Mais le dieu de la foudre s'entêtait à ne pas vouloir répondre. Le garçon aveugle le supplia une nouvelle fois.
- Mais pourquoi gardes-tu le silence ? Tu t'en fiche de tous ces pauvres gens qui n'ont rien demandé ? Ils voulaient juste vivre leur vie, et ce fou a débarqué. Il a fait entrer dans leurs têtes des idées fausses sur les pokémons et sur l'avenir. Même Rudolph Estenia n'était pas aussi fou que lui. Je l'ai vu dans son journal.
Oui, c'était un dément assoiffé de pouvoir lui aussi. Mais même dans son esprit malade, avec le recul j'ai réalisé qu'il avait servi le Bien. Il me l'a dit lui-même : il a voulu ressusciter Mewtwo parce qu'il pensait que c'était le seul à même de vaincre la Lune Noire. Et pourtant, malgré tout le secret qu'il a entretenu sur son double jeu, même ce génie malade a fini par être trahi. J'ignore par qui, mais je suis convaincu que ce traître est lié d'une manière ou d'une autre avec Darkrai. Combien d'autres victimes te faudra-t-il pour te décider à parler, Electhor ? N'es-tu pas chargé de rendre la justice ?
La mention de Rudolph Estenia sembla soudainement faire l'effet d'un déclic pour Electhor. Cela se voyait dans ses yeux. Brusquement, ils perdirent cette attitude triste que le volatile avait adoptée au cours de notre exploration aérienne de ce qu'il restait de Doublonville. A la place, ses globes oculaires renouèrent avec cette détermination combattive si caractéristique du dieu de la foudre que je commençais maintenant à connaître. Il parlait peu mais agissait beaucoup. Cette fois-ci néanmoins, sous l'insistance de ce garçon qui connaissait si bien l'ancien Directeur Scientifique du Consortium, Electhor accepta de répondre.
- Nous ne sommes pas capable de vaincre la Lune Noire. Même Arceus n'est jamais parvenu à triompher de lui totalement. Il a simplement réussi à le bannir temporairement, et c'était à une époque où il se souciait encore de l'univers qu'il avait conçu. Aujourd'hui, corrompu par l'indifférence qu'ont instillée en lui des siècles d'inaction, il ne nous est plus d'aucun secours.
En revanche, Rudolph Estenia en sait peut-être plus qu'il ne t'en a dit, Prophète. Lui...ou ce qu'il a laissé derrière lui nous aidera peut-être à trouver le point faible de cet être qui a prouvé aujourd'hui encore toute sa malfaisance.
Mais dans tous les cas, nous ne sommes pas assez puissants. Nous devons trouver...quelqu'un d'autre. Quelqu'un d'autre qui puisse nous aider dans ce combat décisif qui nous attend. Pour le moment, nous avons un peu de temps devant nous. Les dégâts que notre auguste puissance lui ont infligés l'ont affaibli. Il lui faudra du temps avant de retrouver sa pleine puissance. Et lorsque le jour de son retour sera venu...nous devrons être prêts.
C'est sur ces mots pleins de sagesse que le silence de la mort reprit ses droits sur Doublonville et que nous partîmes vers l'est. Certaines victoires ont le goût de la défaite. Un monde finissait. Les dernières fumerolles s'éteignaient à présent. Quant à la Lune, elle se levait sur le crépuscule de Johto. Cette fois-ci, elle était blanche. Elle était blanche pour la première fois depuis longtemps. Mais jusqu'à quand ?
Fin de la première partie