Oui, disons que je me suis empressé de retranscrire au plus vite ce que j'avais ressenti ce jour-là, pour ne pas en perdre une miette. Un peu comme ces gens qui se pressent d'écrire leurs rêves avant qu'ils ne s'effacent de leur mémoire.
Bon, vite fait alors : en gros, je sors d'une dure journée d'étudiant, je monte dans l'avant-dernier bus pour mon bled : il ne reste plus de place du tout, sauf sur la lignée du fond. Je m'y rends donc, & un arabe m'accoste. Le type commence à me parler alors que j'ai le casque sur les oreilles, premier point qui me dérange, déjà. Il commence à me déballer tout un discours sur comment le monde est manipulé par "ces connards de franc-maçons, ces illuminatis de mes couilles". Il pète régulièrement des câbles en soutenant qu'on lui aurait implanté une puce, lors d'une nuit, pour surveiller ses dires & ses gestes. On lui injecterait de la drogue durant son sommeil, on viendrait le voir chez lui pour le menacer & le torturer tant physiquement que moralement, car il en sait trop & parle trop fort. Son père se serait suicidé car aurait subi le même sort. Par ailleurs, il me fait part de ses problèmes de santé, ses migraines récurrentes à cause de ladite puce.
Ayant donc affaire à un fou complet, je ne peux que l'écouter sans rechigner, sous peine d'en crever (je ne préférais pas prendre le risque). Alors il se met à insulter la société, "tous ces fils de pute qui font les ignorants, ils ne savent rien ces fils de pute, regarde-les moi ces putains de moutons !", dit-il en hurlant vers toute la population du bus. Ils semblent tous dérangés par l'attitude de ce mec. Il me dit alors que les fous ne sont pas fous, ce sont seulement des mecs qui en savent trop, qui s'intéressent trop aux questions existentielles & qui sont donc placés en asile par de hautes instances. En soi, sur ce point, j'étais assez d'accord avec lui : bon nombre de gens sont placés en HP car leurs âmes ont disjoncté à cause de révélations ou de réflexions trop fortes pour un simple humain. Ensuite, pour calmer un peu le jeu & qu'il cesse d'insulter les gens aussi ouvertement, je me suis pris à la discussion & lui ai posé des questions sur ses motivations, sur "pourquoi tu penses tout ça ? quelles preuves peux-tu m'apporter ?". Le voyant galérer, j'ai tout de suite cessé mes questions : j'ai quelques potes devenus paranos, mais eux à cause des acides abondamment pris en teuf, & je connais leurs réactions brutales face à l'incompréhension des gens ou d'eux-mêmes parfois. Alors je lui ai parlé de ce dont un pote m'a lui-même parlé, ce même jour : la conspiration des Ummites :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ummo , pour plus d'informations.
Bref, j'ai donc essayé de lui exposer mes théories, pour qu'il s'arrête de m'embrouiller & de me faire peur ("n'aie pas peur hein ?", c'est ce qu'il me répétait continuellement quand je m'égarais dans mes pensées lors de ses réflexions abrutissantes). Puis, pris de lassitude, je suis descendu à mi-chemin, pour enfin me libérer de son oppression. Je suis donc allé à Salon de Provence prendre un café dans le bar le plus proche de mon arrêt. Manque de bol, c'était un café miteux bourré de poivrots. Une demi-heure à attendre dans le froid, à décompresser de cette éprouvante discussion, puis je suis enfin rentré chez moi.
Je l'ai revu quelques jours après au fond du bus, je me suis calé le plus près possible du chauffeur.