Nouveau record pour la run Coop Diploma en TAS sur Rouge et Bleu !
Vous le savez certainement : ce monde est fou. Complètement fou. Alors que Nintendo prépare tranquillement mais sûrement les prochains opus de la saga Pokémon, à savoir Soleil et Lune, certains joueurs, eux, continuent de passer leur temps sur les premiers épisodes européens : Rouge et Bleu. Vous devez vous demander : "Mais qu'est ce qu'il y a encore à découvrir sur Pokémon Rouge et Bleu ?" Toutes les rumeurs ont été démenties depuis de nombreuses années, le jeu a livré tous ses secrets, ils sont même sortis sur console virtuelle...
On va remonter un peu dans le temps. Pas 20 ans en arrière, hein, seulement 2 mois. Je vous avais rédigé un petit dossier à propos du speedrunning de Pokémon Rouge et Bleu, si vous vous en souvenez encore (d'ailleurs, merci beaucoup pour vos retours, ça m'a fait plaisir). Dedans, j'avais évoqué le speedrunning de Pokémon dans sa globalité, et je vous avais ensuite présenté 4 types de runs effectuées directement par des joueurs. Aujourd'hui, j'avais envie de mettre en avant un autre type de speedrunning : le TAS, abréviation de Tool Assisted Speedrunning (du speedrunning assisté par ordinateur, si vous préférez sa version française). L'occasion pour moi de revenir sur cette pratique à la fois si proche et si éloignée du speedrunning "classique" (durant la suite de cette article, le mot "speedrunning" désignera le speedrunning classique uniquement).
Le Tool Assisted Speedrunning, c'est quoi ?
Plutôt que d'utiliser des termes compliqués dès le début, je vais m’essayer à une belle analogie pour que vous compreniez sans difficulté ce concept parfois un peu flou.
Admettons qu'un joueur de jeux vidéo soit un musicien. La console qu'il utilise est un instrument. Un musicien, lorsqu'il veut jouer de son instrument, suit généralement une partition, composée de notes. Pour un joueur, c'est plus ou moins la même chose, si on considère que la touche sur laquelle vous appuyez pour jouer est une note. C'est bon, vous suivez ? Je sais, je suis un peu mauvais avec les analogies, mais vous allez comprendre où je veux en venir.
Imaginons maintenant un robot qui puisse jouer d'un instrument si vous lui donnez la partition à jouer. Si on transpose ça dans le domaine du jeu vidéo, ça donnerait un robot qui joue à un jeu en appuyant sur les touches qu'on lui a donné dans une "partition". Attention en revanche ! Il ne joue pas de manière automatique, il joue "bêtement" la partition que vous avez écrit pour lui. Tout est clair ? Et bien le Tool Assisted Speedrun, c'est basiquement écrire une "partition" pour un jeu et la faire jouer à un ordinateur. C'est tout simple, en vrai.
Illustration de mes propos version 1.01 (source directement sur l'image)
Je voudrais tout ce suite mettre un terme au débat "le TAS, c'est de la triche" : non, le Tool Assisted Speedrunning ce n'est pas de la "triche". Certes, ce n'est pas vous qui jouez la partition, c'est quelqu'un d'autre (en l’occurrence ici un ordinateur), mais est-ce que vous traitez tous les compositeurs de musique de "tricheurs" pour autant ? Il faut savoir une chose sur cette pratique dérivée du speedrunning : c'est qu'elle est d'une extrême rigueur. Tiens, je vais lister les principales règles du TAS afin que vous sachiez bien de quoi il en retourne ! Pour m'aider dans l'exercice, l'ami Haykira vous a concocté quelques jolies illustrations. Rendez-vous au bas de l'article pour retrouver sa galerie et ses informations. C'est parti !
Ça peut sembler évident, mais il est important de le rappeler : dans le TAS, comme dans le speedrunning d'ailleurs, les codes de triche sont absolument INTERDITS. Par code de triche, on entend tous les codes type Gameshark/Action Replay qui visent à modifier directement la mémoire du jeu pour obtenir un résultat impossible à obtenir en temps normal. Je tiens à préciser cette règle car le TAS, encore plus que le speedrunning, peut donner l'impression que le runner « triche ». C'est faux, car « glitcher » n'est pas « tricher ». Je ne vais pas passer cinquante paragraphes à argumenter là dessus : c'est un fait accompli et reconnu par la communauté du speedrunning.
Voici une spécificité bien propre au TAS : la partition que les runners créent doit être lisible sur une vraie console en circuit et composants électroniques. De loin, la règle paraît simple, mais laissez-moi vous replacer dans le contexte de l'analogie avec la musique : admettons que vous composiez une chanson à 120 bpm (battements par minute, c'est une unité rythmique). Vous faites jouer votre partition par un musicien X, qui lit cette partition à 120 bpm : le rendu est conforme à vos attentes, votre chanson est comme vous la vouliez, c'est parfait. Maintenant, donnez cette partition à un musicien Y, qui lui, étant un peu plus novice en la matière, va lire votre partition à 110 bpm. Forcément, le résultat va être différent de ce que vous attendiez, et votre chanson ne sera plus vraiment la même. Et bien c'est exactement ce qu'il peut se passer avec un TAS mal réalisé !
En effet, les émulateurs de nos jours sont connus pour bien faire fonctionner les jeux que vous souhaitez utiliser, mais également pour améliorer votre expérience de jeu, par exemple en réduisant les ralentissements. Si vous écrivez un TAS sur un émulateur de ce genre, vous risquez cependant de ne pas pouvoir le lire sur une véritable console qui elle souffrira de ces ralentissements. Un décalage va donc se créer entre les « inputs » (les touches lues par le robot qui joue à votre place) et ce qu'il se passe réellement dans le jeu, ruinant ainsi votre run. La désynchronisation est en effet le pire ennemi du TASseur qui va ensuite devoir revenir sur des centaines voire des milliers d'inputs pour tout recalibrer.
Certains émulateurs se spécialisent donc dans les reproductions absolument EXACTES des comportements d'une console, émulant ainsi tous les ralentissements auxquels celle-ci peut faire face. Comme quoi, l'évolution n'a pas que du bon selon ce que vous souhaitez en faire !
Je ne vous apprends rien : se documenter est la meilleure façon de réussir quelque chose, qu'on parle de speedrunning, de TAS ou de toute autre pratique qui demande une certaine rigueur et des connaissances techniques. Et il faut bien avouer que la communauté du speedrunning et du TAS ne manque pas de documentation technique : forums remplis de speedrunners, de passionnés qui s'amusent à démonter le code de vos jeux préférés, de spectateurs toujours plus curieux de découvrir les dernières folies des TASseurs, mais aussi wikis détaillés et souvent mis à jour, threads Reddit, vidéos spécialisées (genre celle-ci qui doit être une de mes préférées de l'Internet), événements… Si vous cherchez des informations, vous n'en manquerez pas, c'est moi qui vous le dis !
Le credo des speedrunners est de toute façon le partage des informations. Et ça peut se comprendre : si chacun restait dans son petit coin à jouer, on ne découvrirait pas de nouvelles techniques, de nouveaux bug exploits, de nouvelles backup-strats, etc. Tout le monde s'entraide, dans cette communauté ! Les speedrunners se filent des conseils, essayent d'appliquer les techniques des TASseurs pour voir si elles sont faisables à la main, qui eux-mêmes obtiennent des informations des petits malins qui fouillent dans la cartouche pour en déceler les secrets… Chaque personne est un pilier de la pratique générale du speedrunning, et c'est une chose qui fait vraiment plaisir à voir.
Lorsqu'un TASseur finalise sa séquence, il a la possibilité de la soumettre au site TASVideos.org, la plus grande communauté autour du TAS de nos jours. Dites-vous bien qu'une séquence de TAS, ce n'est pas une vidéo comme vous le voyez sur des sites de streaming, non non : c'est tout simplement un fichier qui contient, frame par frame, les touches sur lequel l'ordinateur va devoir appuyer. C'est la fameuse « partition » qui va être jouée par le robot. Un TAS tient donc généralement en moins d'une centaine de kilooctets. Une fois reçu par le site, il a être analysé par des spécialistes du TAS pour vérifier la conformité de la run aux diverses règles de la catégorie (Any %, 151 Pokémon, ce genre de catégories là). Si votre TAS est accepté par l'équipe du site, félicitations : vous serez officiellement affichés dans la rubrique du jeu en question, et quelqu'un s'occupera certainement de l'encodage vidéo de votre TAS (l'enregistrement des actions de l'émulateur sous un format vidéo, histoire de partager plus facilement votre travail).
Globalement, TASVideos est vraiment LE site de référence du Tool Assisted Speedrunning. Si vous voulez vous lancer là dedans, regarder des soumissions d'autres TASseurs ou vous renseigner à propos d'un jeu en particulier, foncez, vous trouverez très certainement tout ce dont vous avez besoin.
Bien, on a réussi à définir le Tool Assisted Speedrunning, j'espère que c'est clair pour vous ! Si vous avez d'autres questions, j'y répondrai dans les commentaires. Si j'ai pris le temps d'écrire cette longue partie, c'est pour mieux vous introduire un TAS qui vient d'être soumis il y a quelques jours par MrWint.
La run « CoopDiploma » de MrWint en 3h48
Alors oui, 3 heures et 48 minutes, c'est long à regarder, je vous l'accorde. Je me suis personnellement enfilé la run en vitesse x2, histoire de ne pas piquer un petit somme devant. Je la laisse quand même ici pour les plus courageux :
En réalité, parler de cette run était surtout un prétexte pour vous présenter la pratique du TAS et vous montrer qu'il y a toujours une communauté très active sur Pokémon Rouge et Bleu. Néanmoins, il est intéressant de se pencher sur ce TAS un peu particulier dont je vais vous énoncer les caractéristiques. Tout d'abord, il appartient à la catégorie particulière des "2 games 1 movie". Ce nom barbare signifie que toutes les touches que l'émulateur va devoir lire sont stockées dans le même fichier. En clair, c'est comme si vous aviez la main posée sur deux manettes en même temps et que vous complétiez vos deux jeux de cette façon. Ça paraît assez fou, non ? J'ai encore mieux : terminer des jeux différents avec une seule manette. Si vous voulez voir un exemple très connu de TAS multiples, cliquez ici pour visionner les 4 jeux Mario Bros sur NES réalisés avec une seule séquence de touches.
Ensuite, vous l'aurez deviné, il appartient à la catégorie "2 players", qui, comme son nom l'indique, implique des échanges entre les deux versions qui tournent. Vous imaginez bien qu'il est impossible de compléter un Pokédex avec une seule version et sans utiliser de glitch. Les deux versions vont donc procéder à des échanges (que je ne vais pas vous résumer ici parce qu'il y en a BEAUCOUP) afin de compléter le Pokédex des deux côtés. Enfin, le jeu utilise énormément de manipulation de l'aléatoire (notion que j'avais détaillée dans mon article sur le speedrunning que je vous laisse relire si ce n'est pas déjà fait), chose possible puisque l'on se trouve sur un TAS et qu'on connaît toutes les variables nécessaires à la capture d'un Mewtwo avec une simple Pokéball, par exemple. Dans tous les cas, je vous conseille très fortement d'activer les annotations vidéo qui contiennent les commentaires de l'auteur.
226021275 re-record plus tard, la consécration !
Enfin voilà ! Un boulot impressionnant et propre que je devais absolument vous présenter. J'ai bon espoir que cet article vous aura intéressé. N'hésitez pas à parcourir le site de TASVideos pour découvrir des films encore plus fous (et peut être plus dynamiques) que celui-ci.
Comme promis, vous pouvez retrouver Haykira, le pixel-artist qui a illustré les règles du TAS sur son compte Twitter et sa galerie DeviantArt. Je vous le conseille fortement, c'est du très très bon ! Je le remercie grandement pour le travail fourni, et j'espère que vous ferez de même !
À la prochaine !
Laissons dormir ce Brindibou dessiné par Haykira...