Pokémon, marketing et communication en 2014
Pokémon X Y a été l’occasion d’un changement à 180° de la stratégie de communication sur Pokémon. J’imagine que vous l’avez remarqué et j’aimerais qu’on en discute ensemble.
Un avant, un après
Souvenez-vous d’avant 2010. Les informations étaient livrées au compte-goutte pour le seul Japon via le Corocoro (un magazine japonais) ou parfois par la télévision nippone entre deux épisodes de Pokémon. On disposait souvent des informations une semaine avant qu’elles soient révélées officiellement par un leaker ayant fait une photo floue des images à venir. C’était l’époque où l’information sur Pokémon tombait inopinément sur d’obscurs forums japonais …
Les sites Pokémon avaient alors toute leur utilité : chercher, traduire et informer.
Un scan en 2006 et c'était la folie !
Et puis il y a eu Pokémon XY : la communication est devenue mondiale et plus strictement japonaise. On a reçu dans nos boites mail des articles prêt-à-poster sous forme de communiqué de presse, avec des artworks, des images in-game et même des vidéos Youtube. Nintendo annonce en grand, avec des lives et des émissions (Nintendo Direct), en mettant en avant des « visages » de la firme (starification). Jamais nous n’avons eu autant d’informations avant un jeu Pokémon. Le tout strictement encadré par la communication officielle. Fini de déconner !
Les problèmes de la sur-communication
Disons-le, Pokémon est un RPG. C’est une aventure longue, entrecoupée de combats, d’exploration et de mystères. Tout l’intérêt du jeu est la surprise qu’il provoque en découvrant de nouveaux monstres, de nouveau ennemis, de nouveaux champions d’arènes et de nouveaux lieux. Si bien que beaucoup arrêtent de suivre nos sites et se désabonnent des réseaux sociaux par peur d’être « spoilés » lors de la sortie des jeux.
Mais est-ce vraiment encore du spoil quand c’est Nintendo qui communique officiellement ? Quand la firme lève le voile sur tous les mystères du jeu avant même sa sortie ? Impossible à rater, c’est sur YouTube, les sites de jeux vidéo, les sites d’informations généralistes et même la presse papier ! Or c’est problématique quand le jeu se met totalement à nu. A-t-on vraiment envie de découvrir un mois et demi à l’avance « Méga-Rayquaza », le monstre ultime du jeu ? A-t-on envie de connaitre toutes les Méga-Évolutions du jeu en brûlant ainsi ce qu’il restait de surprises à des remakes ? On dit ça pour Pokémon, mais ça a été le cas pour Super Smash Bros for Nintendo 3DS. Il n'y a pas eu besoin de « leak » mal photographié avec iPhone de personnages secrets : tout nous était déjà quasiment donné.
Vous ne vivrez plus jamais un moment pareil.
Pourquoi avoir changé ?
Dévoiler des Pokémon est une arme de communication puissante pour occuper le terrain médiatique. Pokémon doit aussi se vendre aux fans de Call of Duty de 12 ans qui ne sont pas des « Pokéfans ». Et pour cela il faut faire parler de soi. Beaucoup. Le monde du jeu vidéo est en effet bruyant. Difficile pour un jeu même comme Pokémon de faire la une de jeuxvidéo.com. Dévoiler Méga-Rayquaza permet de frapper fort, d’exciter les foules et de faire du « share ». Et tant pis pour le spoiler.
Pas de nouveaux Pokémon ? Osef alors, je retourne sur la vidéo de DiabloX9
Le deuxième problème de Nintendo c’est Internet.
Souvenez-vous de Pokémon XY. Des gens streamaient déjà le jeu une semaine avant sa sortie, dévoilant en clair tous les Pokémon. L’information se diffuse très vite, encore plus vite quand la maison mère est obligée de déléguer la transmission de cette information. Quand elle est mal maîtrisée, elle peut nuire aux plannings de communication. Il y a même quelque chose d’un peu honteux à dévoiler officiellement en grande pompe une information que tout le monde connait déjà.
Enfin il y a probablement quelque chose qui tient de l’image de marque. Une volonté d’être proche de son public, de créer des icônes vivantes, d’être « à l’heure du 21ème siècle ».
Swaggance
Des pistes pour faire mieux
Autant dire que les buts sont louables et qu’il faut savoir rester réaliste. On ne rend pas une entreprise comme Nintendo prospère avec le simple fan-service.
Mais alors, comment faire pour concilier un « esprit » Pokémon perdu (mystère, découverte, spéculation) et une communication efficace ?
Quelques pistes à explorer :
- Communiquer mondial / local : ne plus déployer une communication transparente et simultanée dans le monde, mais égrener les indices à travers les différents canaux de communication. On diffuserait une ombre en exclusivité pour un site Pokémon américain, le lendemain sur Corocoro en clair et une semaine après une présentation officielle à la télévision nipponne. On ne se dévoile jamais totalement d’un coup, on n’inonde pas d’informations ! L’idée est de créer un effet de « quête » informative, de secrets. On m’objectera que les journalistes n’ont pas le temps de jouer à cache-cache. Mais veulent-ils vraiment réécrire des communiqués de presse ? Créer de la rareté est un puissant ressort psychologique.
- Ne plus communiquer sur YouTube avec de la vidéo : le problème en effet c’est que la vidéo enlève tout effet surprise. Un artwork ne dévoile pas tout. On ne sait pas vraiment ce que l’on verra sur notre écran 3DS en mouvement avec une image fixe comme un artwork. La vidéo sans apporter de valeur ajoutée à la communication (sinon la facilité de partage) nuit à l’expérience de jeu.
- Faire du bruit médiatique en offrant autre chose que de nouveaux Pokémon. C’est un peu facile de sortir de nouveaux Pokémon de son chapeau, mais Pokémon c’est aussi de nouveaux lieux, nouveaux évènements, nouvelles fonctionnalités. À force de trop tirer sur la corde du nouveau Pokémon, il faudrait faire attention qu’elle ne rompe pas.
En France, une communauté puissante
Le Pokéweb français est l’un des plus puissants au monde. Pensez donc : 75 millions de natifs francophones contre 335 millions d’anglophones et 414 millions d’hispanophones. Et pourtant, nos sites font des scores plus qu’honorables face aux Américains : 1 million de visites mensuelles pour un site comme Trash ou Bip contre 8 millions … pour le géant et international Serebii ! Les deux plus gros sites espagnols font deux fois moins que les français et le reste du monde n’a quasi pas de Pokeweb … bref. Les Français gèrent. Grâce à vous lecteurs.
Nintendo France a bien compris cela en donnant à la communauté de sacrées surprises :
- Presque 3000 codes à distribuer par les sites Pokémon et ce en exclusivité
- Jeux concours via les sites avec des consoles et jeux à faire gagner
- La visite de Masuda par trois fois
- L’invitation des communautés aux évènements et soirées
- Un Pokémon Center à Paris
- Tournage de publicité mettant en scène la communauté
Et bien d’autres choses ! C’est unique dans le monde et c’est la bonne voie à prendre, car il n'y a pas mieux que des individus et des communautés pour maintenir une flamme, une hype, un jeu organisé et régulier !
Masuda avec le crew Pokémon Trash, en train de caresser la toison douce de notre rédacteur en chef.
Conclusion
Pas facile de communiquer sur une licence aussi vaste que Pokémon. En plus de devoir contenter tous les types de joueurs (allant de tous les âges, sexes, pays), il faut aussi faire face à des défis d’entreprise : décentraliser les décisions du Japon pour commencer. Aujourd’hui toute action doit être validée par Nintendo France, puis la Pokémon Company anglaise, puis la Pokémon Company japonaise voir Nintendo World. Ça peut durer des mois et il faut à chaque fois prouver le bien-fondé de sa décision. Le tout sur fond de luttes « nationales » car le Japon veut bien évidemment garder la main sur son « Disney ».
Autant dire que la communication actuelle, même maladroite (au sens de nuisible au jeu) a déjà été un grand pas pour Nintendo pour aborder une communication plus cool, plus efficace, plus en phase avec un air du temps hyper connecté.